Vincent Lindon : « on fait ce métier pour s'oublier »

Dernier amour
De Benoît Jacquot (Fr, 1h38) avec Vincent Lindon, Stacy Martin...

Dernier Amour / Passionné comme toujours et comme toujours passionnant, Vincent Lindon évoque sa nouvelle collaboration avec l’un de ses metteurs en scène fétiche. De l’approche d’un rôle historique et de la philosophie de l’interprétation des personnages…

Comment avez-vous convaincu Benoît Jacquot, avec qui vous avez une longue complicité, de vous confier ce rôle de Casanova ?
Vincent Lindon
: Au départ, je venais le chercher pour déjeuner, il était dans son bureau et il parlait de son prochain film avec ses producteurs. Il m’a annoncé : « je vais faire Casanova ». Et j’ai aussitôt répondu : « Non, c’est moi qui vais faire Casanova. — Non, il a 26 ans, c’est l’histoire d’un jeune Casanova avec une dame plus âgée. — Ben, c’est plus ça. Il y a bien un moment où il est vieux ? — Tu plaisantes ? — Non, non, je suis très sérieux. — Fais attention, Vincent : si je te prends au mot, tu vas être bien embêté — Pas du tout : prends-moi au mot ! — Il y a bien un épisode avec la Charpillon… » Et ils ont bifurqué sur cette histoire.

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Qu’est-ce qui vous a séduit à ce point dans ce personnage ?
Casanova, quand même ! Il n’y a pas beaucoup de personnages de cette dimension. J’ai fait Rodin, le professeur Charcot.

Si demain on me demande de jouer Enzo Ferrari je vais le faire ! Napoléon aussi, si je peux ; jouer Picasso, je veux bien ! C’est un peu compliqué de passer à côté.

On fait ce métier pour se déguiser, pour s’oublier, prendre son cerveau, le laisser à la maison et rentrer dans la peau d’un autre. Tout le monde est unique, mais c’est vrai qu’il y a des peaux passionnantes.

Être dans celle d’un premier ministre avec Alain Cavalier en président de la République dans Pater, ça me passionne ; entrer dans celle d’un type En guerre qui va se battre pour une usine entière où il n’y a pas une chose qui n’est pas vraie (et très proche de ce qui s’est passé chez Continental), ça me plaît. Faire Rodin, ça me plaît. Faire un homme à Calais dans Welcome, pareil — comme En guerre vis-à-vis des gilets jaunes, Welcome était précurseur par rapport aux migrants. Ce sont des personnages et des peaux dans lesquelles on rêve d’entrer ; c’est à ça que sert le cinéma ; ce sont des panoplies. C’est surement pour ça que je le fais, pour échapper à moi. C’est pas de la tarte d’être soi, parfois !

Justement, après En guerre de Stéphane Brizé, vous recherchiez un contrepoint ?
Les films se présentent comme des rencontres dans la vie : on ne les planifie pas. C’est comme les amours. On ne dit pas : « tiens, après telle personne, la prochaine que je vais rencontrer sera comme ça ». On se balade et on tombe sur quelqu’un. Je lis beaucoup, beaucoup de scénarios et j’en refuse énormément. Mais jamais je me dis : « j’ai fait un film où j’étais syndicaliste, ce qui serait bien serait d’être un mec avec des bagues ». Tout ce qui est calculé, voulu à l’avance ne marche pas. Je pourrais faire trois films de suite où j’aurais quasiment le même rôle. Et si trois histoires d’amours me plaisaient, je les ferais de suite : à partir du moment où chaque scénario est formidable, pourquoi ne pas les faire ? Des comiques font trois comédies de suite qui sont quasiment les mêmes… Comme elles plaisent à chaque fois, il font la quatrième.

Tout personnage est donc susceptible de vous intéresser ?
Je ferais tous les personnages s’ils sont bien écrits. Par exemple, celui de Ralph Fiennes dans La Liste de Schindler : il est inouï, inoubliable. Si je me mets à juger les personnages en tant que tel, je fais plus rien, pas Casanova, ni En Guerre.

Si quelqu’un m’écrit demain le rôle d’un monstre dans un très très bon scénario mis en scène par un très grand réalisateur, je le ferai !

Rappelez-vous Le Parrain : on ne va se raconter d’histoire, c’est un film sur une famille de monstres ! Ils vendent de la drogue, un frère tue un autre frère sur une barque, ils sont infréquentables ! C’est l’une des seules familles de mafieux qui ont des casinos au départ et se reconvertissent dans la drogue ; pourtant on les regarde en tremblant pour eux, fascinés… Je suis comme les spectateurs. Le héros de Breaking Bad est un pourriture, mais c’est écrit génialement bien.

Si vous racontez de grandes histoires bien écrites, tout est acceptable. Plus un film est bien écrit et un méchant est bien joué, plus il est ciselé, plus les gens vont le prendre en haine et cela fera du bien à la communauté. Si un personnage monstrueux est maltraité, moins on a envie d’adhérer et ça fait du bien à la cause.

Casanova aime les femmes avant, pendant et après : il aime la femme en tant qu’être humain, il aime sa compagnie et son intelligence. Ce n’est pas un consommateur, pas qu’un jouisseur, et pas du tout Don Juan qui fait des conquêtes et qui les abandonne.

La douceur du personnage était-elle dans le scénario ou bien est-ce vous qui l’avez ajoutée ?
La douceur de Casanova ? (songeur) J’ai dû l’amener ; je ne vais pas arriver les mains vides (sourire) Il y a des gens qui trimballent des choses consciemment et inconsciemment ; probablement que pour cet état crépusculaire, Benoît pensait que j’étais mélancolique. Et même nostalgique, ce qui n’est pas la même chose :

je me considère plus mélancolique que nostalgique. La nostalgie est empreinte de regrets et de remords, la mélancolie est juste une pensée, un état.

Il y a un jugement dans la nostalgie, un “c’était mieux avant et moins bien aujourd’hui“ ; alors que la mélancolie, c’est “ça me va aujourd’hui mais j’aimais bien avant“.

Le rôle a pourtant deux visages et deux époques : l’une contemporaine où il raconte le passé et celle où il vit son dernier amour, traversée par la mélancolie.
C’est vrai : j’oublie à chaque fois qu’il y a un autre visage et une autre époque. Mais je suis très dans le Casanova vivant son dernier amour. J’oublie que le film commence par un homme racontant son histoire — c’est le scénario. Je me suis concentré sur le temps de l’amour.

Ce Casanova vieilli ne se voit que de dos…
J’avais prévenu Benoît : le côté vieilli-grimé, avec la peau plissée, il faut oublier. Je trouve ça ridicule. J’avais envie de jouer le vieillissement avec la voix et pas le physique : il y a plus de force. Très essoufflé, très fatigué, c’est plus efficace que de montrer quelqu’un de face.

Ce Casanova est aussi l’ombre de lui-même : non seulement il est de dos, mais également dans de basses lumières, voûté, la voix triste…
Alors ça… (souriant) Vous voyez des choses que je n’ai pas forcément mises ou que je n’ai pas vues. C’est très intéressant ce que l’on fait sans s’en rendre compte et qui est étudié comme si on les avait faites exprès. Si j’étais très prétentieux, je pourrais un jour tenter l’expérience de reprendre tout ce que les journalistes me disent en disant « oui, ça a été un travail très long, j’ai dégradé ma voix tout au long du film… » Et ça donnerait une force à mon travail incroyable ! Mais c’est surement inconscient : le film avance, et en quatrième semaine, vous savez plus de choses sur le personnage et vous mettez moins la gomme, vous lâchez un peu de lest…

Benoît Jacquot explique que vous aviez un rapport particulier à votre perruque…
Non, en fait je lui ai dit avant de commencer le film que je ne ferai le rôle et je ne viendrai me présenter sur le plateau que dès qu’on aurait trouvé une perruque absolument géniale, qui fait qu’elle a quelque chose de différent des autres. Si c’est pour en avoir une comme tout le monde avec les roudoudous ici, je ne peux pas ! Il fallait qu’elle donne quelque chose de rock’n roll à Casanova. Elle est différente, je la trouve très belle.

Heath Ledger en avait une assez intéressante dans son Casanova ; Tom Hulce dans Amadeus aussi. J’ai pensé que la perruque n’était pas rien. L’autre chose, c’est que je l’ai, je ne l’ai pas, comme dans la vie. C’est un chapeau — il l’a très souvent quand il sort.

Et Casanova a des bagues ! C’était un gros travail, surtout pour quelqu’un comme moi. J’ai aimé cette chose intéressante : porter des bagues et des mains pas soignées du tout, avec des ongles rongés. Être en même temps extrêmement distingué, et manger comme un sanglier. Être très précieux et très animal.

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