Raoul Taburin / En incarnant le personnage dessiné par son idole Sempé, Benoît Poelvoorde se laisse aller à son penchant pour la tendresse. Et force sa nature en effectuant une performance physique : du sport...
Pensez-vous que Raoul Taburin soit un conte philosophique ?
Benoît Poelvoorde : En tout cas, c'est une histoire très humaniste. Il faudrait poser la question à Sempé — moi-même j'avais envie — mais il ne répondra jamais. Pour moi, faire du vélo, c'est l'image de l'apprentissage ; faire du vélo en retirant les petites roulettes, c'est entrer dans la vie. Une fois que tu commences à pédaler, c'est exponentiel, tu vas bouger et te dire : « comment ai-je pu avoir si peur ? ». D'ailleurs, on pourrait réfléchir : est-ce que mettre les roulettes n'encombre pas ? À force d'être tombé trois ou quatre fois, on se dit qu'on va faire du vélo uniquement pour le plaisir de ne plus tomber. Et une fois qu'on commence à pédaler, on se dit : « c'était aussi con que ça ? ». C'est un peu comme rentrer dans l'eau froide.
Alors, est-ce qu'on a fait un film philosophique ? Sempé en tout cas a fait un ouvrage philosophique. On peut le prendre comme toutes les choses très simples et universelles, de manière philosophique : il est plus compliqué qu'il n'y paraît, mais en même temps on peut le regarder de manière simple. C'est pour cela qu'il peut s'adresser aux enfants.
De quand date votre rencontre avec l'univers de Sempé ?
D'un livre qui s'appelle Saint-Tropez ; je devais avoir six ans. C'est le seul album où il a trouvé qu'il avait été méchant et qu'il ne referait pas. Mais ça n'avait rien à voir avec le sens du livre. À l'époque, je l'avais trouvé en occasion, édité en Folio, et je pensais qu'il dessinait au format. Comme je suis maniaque, tout ce qui est petit me fascine. Mais la plume et le porte-mine ne marchaient pas, alors j'ai dû acheter des Rotring 0, 3mm qui coûtaient 320 francs belges. Et j'ai commencé à dessiner comme ça... Après, on m'a expliqué que Sempé faisait des planches taille normale qui étaient réduites (rires).
Ensuite, je suis entré dans le sens, et il ne m'a jamais quitté, dans tout ce que j'ai fait. La bonté, la bienveillance... C'est un humaniste, quelqu'un qui observe le rien et je trouve que je me caractérise assez bien dans son travail, en tant qu'acteur du dimanche — dans le bon sens du terme. Qui mieux que Sempé a dessiné les gens du quotidien ? Ce qu'il observe, c'est le détail qu'il rend énorme.
Vous avez fait Le Vélo de Guislain Lambert avec Philippe Harel. À votre avis, pourquoi les cinéastes vous associent-ils à la bicyclette ?
Alors ça... C'est comme les films avec les piscines : pourquoi on pense à moi ? J'ai été maître-nageur, on m'a foutu au bord d'une piscine avec une bite énorme — bon, d'accord c'est moi qui avais écrit le rôle, mais c'est assimilé à du sport. Or s'il y a bien un mec qui fait pas de sport, c'est moi ! J'ai quand même fait Les Randonneurs et je déteste marcher ! Est-ce que j'ai un physique de sportif ?? Non !
Il faut quand même imaginer l'ironie de l'histoire, j'ai été cinq ans la voix de Décathlon — (il hurle : « à fond la forme ! »— jusqu'à ce qu'un jour on voie une image de moi bourré qui dise « je ne suis pas persuadé que ce type pue la forme ». Et on m'a retiré les pubs. Il a fallu cinq ans pour qu'ils se rendent compte que je ne présentais aucune aptitude pour le sport, ni pour la randonnée. Je fume comme un pompier, je buvais de l'alcool, j'ai rien à voir avec le sport, et pendant cinq ans ma voix a pourri les radios en faisant « à fond la forme ! » Va comprendre l'imbécillité des publicitaires...