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Sur les pavés la misogynie
Par Sarah Fouassier
Publié Mardi 30 avril 2019 - 5599 lectures
Photo : © MissMe - Ailen Possamay
Par le biais du street art, les femmes s’approprient en filigrane l’espace de la rue, espace profondément masculin voire sexiste. Visant à contrer cette oppression, des artistes et activistes bâtissent à l’échelle planétaire, un musée à ciel ouvert constéllé d’utopies.
Une femme française sur deux éviterait de sortir seule le soir par peur de rencontrer des personnes mal intentionnées selon une étude de L'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) datant de septembre 2018, une crainte renforcée par le faible éclairage nocturne. L’espace de la rue, la manière dont il est conçu (95% des infrastructures sportives publiques sont occupées par des hommes), ainsi que le comportement de certains individus entravent la liberté de circuler des femmes, et exercent sur elles une oppression psychologique et parfois même physique.
Défier l'offenseur
Confrontée elle-même à ces agressions, l’Américaine Tatyana Fazlalizadeh a amorcé un projet de collage dans les rues de New York il y a sept ans. À la suite d’entretiens avec des femmes relatant leur expérience de harcèlement de rue, elle dessine le portrait monochrome de chacune d’entre elles qu’elle accompagne d’une citation extraite de leur conversation : « je ne devrais pas me sentir en danger quand je sors », « garde ton avis sur mon corps pour toi », etc. Stop Telling Women to Smile donne un visage à la parole des femmes et personnifie les conséquences du harcèlement, témoignant ainsi sa tangibilité. Dernièrement, le compte Instagram suivi par trente-deux mille utilisateurs et utilisatrices est passé à l’offensive en les invitant à participer à une nuit d’affichage massif le 12 avril.
D’autresœuvres, comme le collage de Bonno (Je vous présente ma chatte) que nous évoquions dans notre précédente édition, sont teintées de "body positive", courant visant à représenter le corps des femmes dépourvu des dictats engendrés par la publicité, la mode ou l’industrie du porno. L’acceptation de soi quelle que soit sa morphologie, la lutte contre les stéréotypes, l’objectivation ou encore l’hypersexualisation des femmes, tel est le crédo de ce mouvement lancé, une fois encore, sur les réseaux sociaux. L'artiste MissMe, présente à Peinture Fraîche le 8 mai pour une conférence sur le street art et l'engagement politique, détonne avec son projet de collage Don't Tell Me What to Wear où des femmes portant fièrement le hijab semblent défier les passants. Le voile, souvent présenté comme un symbole d'oppression, est ici libérateur et le vecteur d'une parole qui unit et vise à stopper les injonctions. « Les femmes que j'ai peintes sont mes amies, et il y a bien une chose qu'elles ne sont pas : opprimées. Elles sont intelligentes, libres, spirituelles et puissantes. Ce n'est pas une tribune "pour" le hijab » précise l'artiste sur son site Web.
Apostropher l'oppresseur
En Amérique du Sud, le street art se veut profondément politique, dénonçant féminicide, interdiction de l’IVG, violences conjugale et économique. La muraliste argentine Ailen Possamay s’inspire des travaux de la militante féministe italienne Silvia Federici et expose des femmes de tout âge pratiquant des tâches domestiques pour lesquelles elles ne sont pas rémunérées. Avec ses fresques, elle exhorte les femmes à la désobéissance domestique. En 2018, elle a activement participé aux manifestations luttant pour la légalisation de l’IVG en apposant aux rues de Buenos Aires, des pochoirs représentant le Pape ou des hommes politiques qui s'y opposent, enceints.
Ravagé par les conséquences de la guerre, l’Afghanistan voit peu à peu son paysage changer sous l’impulsion de femmes et de bombes aérosols. Celle qui a amorcé la marche, Shamsia Hassani, décrite comme la première femme street artiste afghane, tente de faire accepter sa pratique aux Kabouliens et Kabouliennes les plus conservateurs, opposés à toute forme d’expression artistique. Victime d’agressions et d’insultes, Hassani, aujourd’hui professeure à l’École des Beaux-Arts de Kaboul, se voit obligée d’autocensurer son travail de street art. Ne pouvant pas montrer autant qu’elle le souhaite ses fresques murales, elle a imaginé une série, Dreaming graffiti, où sont peintes sur des murs et bâtiments des œuvres qu’elle aurait souhaité exécuter in situ. Avec ses portraits de femmes, avec ou sans burqa, jouant de la musique, elle construit une métaphore d’une femme libre de s’exprimer et d’exercer une pratique artistique.
Toutes ces artistes créent un espace empli d’utopies féministes. Elles exhibent une protestation silencieuse et créative nécessaire à la prise de conscience globale des problèmes auxquels les femmes sont confrontées au quotidien, notamment dans la rue.
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