Frères Dardenne / Après un passage à l'acte, un ado radicalisé est placé dans un centre de réinsertion semi-ouvert où, feignant le repentir, il prépare sa récidive. Un nouveau et redoutable portrait de notre temps, renforcé par l'ascèse esthétique des frères Dardenne. En compétition Cannes 2019.
Ahmed, treize ans, vient de basculer dans l'adolescence et fréquente avec assiduité la mosquée du quartier dirigée par un imam fondamentaliste. Fasciné par le destin de son cousin djihadiste et désireux de plaire à son mentor, Ahmed commet une tentative d'assassinat sur une professeure...
Toujours identique à lui-même et cependant constamment différent, le cinéma des frères Dardenne n'en finit pas de cartographier le paysage social contemporain, à l'affût de ses moindres inflexions pour en restituer dans chaque film la vision la plus rigoureuse. À eux (donc à nous) les visages de la précarité, la situation des migrants ou des réfugiés ; à eux également comme ici — avant peut-être un jour leur regard sur l'exploitation “uberissime“ de la misère — la radicalisation dans les quartiers populaires d'ados paumés entre deux cultures, la cervelle lessivée par de faux prophètes les brossant dans le sens du poil pour mieux les manipuler. À l'horreur économique s'est en effet ajoutée une très concrète abomination terroriste tout aussi internationalisée, usant de techniques de recrutement n'ayant rien à envier au cynisme des entreprises capitalistes : tout est bon pour alimenter “l'organisation“ en chair fraîche sacrificielle comme les usines en ouvriers serviles. L'Adieu à la nuit de Téchiné n'est pas si loin.
Thriller à froid
Comme à leur habitude, les Dardenne nous précipitent in medias res : l'endoctrinement déjà accompli, leur protagoniste ayant “pivoté“, c'est la tentative de “désincarcération mentale“ et l'attente de la rédemption qu'ils accompagnent en nous plaçant sur les talons d'Ahmed. De fait, ils créent le mécanisme d'un thriller éprouvant pour le spectateur qui sait que la repentance, feinte, masque un incoercible désir de récidive. Montrant le fiasco des mesures de prévention et déradicalisation, Le Jeune Ahmed est un film désespéré et désespérant. Le geste coupable y est perpétré sur une professeure ayant toujours aidé le jeune Ahmed, dont les “torts“ sont, en somme, d'être une femme indépendante, non soumise ni voilée, et désireuse d'enseigner de l'arabe conversationnel hors du Coran, ce qui lui vaut d'être perçue comme apostate. Donc condamnée. Impossible de tirer de cette histoire une morale universelle ou quelque généralité, bien sûr, mais le questionnement et cette impuissance que les Dardenne nous laissent résonnent violemment. Comme une ultime mise en garde, une invite à faire décidément encore plus et mieux pour réparer les vivants.