Exposition / Un peu plus de quarante ans après le fameux "Lyon capitale du rock" de Libération, le Département Musique de la Bibliothèque Municipale revient, sous la forme d'une exposition merveilleusement documentée, sur la grande aventure rock qui agita la ville entre 1978 et 1983 et rend hommage aux acteurs qui l'ont menée. Forcément capital.
On le sait, quelque part dans le Surmoi lyonnais vient se nicher un complexe vieux comme Lugdunum. Celui de n'être pas capitale à la place de l'arrogante Paris, fille trop facile du jacobinisme. Étrange quand on sait, car on le sait aussi, que Lyon croule sous les titres de "capitale" : des Gaules sous l'Empire Romain ; de la Résistance ; de la gastronomie ; de la soie ; des goals même pendant une décennie 2000 où la bande à Coupet et Juni rêgna sur la Ligue 1 pré-Qataris. Il est même établi qu'en 1528, François 1er hésita à faire de Lyon la capitale de son royaume. Même le journal... Le Parisien surnomma Lyon, "L'autre capitale" dans un article daté du 8 juin 2018. Et puis bien sûr, il y eut ce titre, historique, éphémère mais éternel, décerné un jour de juillet 1978 par Libération, à l'époque bible du bon goût s'il en fut : "Lyon, capitale du rock".
Un titre justifié par l'effervescence musicale qui agita la ville pendant une poignée d'années, au tournant des années 70 et 80, du punk et de la new-wave, et à laquelle la Bibliothèque Municipale de Lyon consacre une exposition très fouillée. Dans le documentaire Saloperie de rock'n'roll : Cœur de Lyon de Jean-Paul Delamarre, diffusé mercredi 15 mai dernier en marge de l'expo, cet impayable puriste punko-marxiste de Pochron Back (Born to Kill) martèle ainsi : « le rock c'est New-York, Londres et Lyon, Paris c'est le business. »
Guérilla rock
Pourtant en 1978, les conditions ne sont guère réunies pour voir s'épanouir une scène rock digne de ce nom. Ou peut-être que si, justement. Au fond, tout commence, c'est en tout cas là que l'exposition place la première balise, avec un concert de Patti Smith à la Bourse du Travail pour lequel on a vendu plus de billets que la salle ne contient de places. Frustration, incidents, blessés et interventions policières s'en suivent qui aboutissent à un arrêté d'interdiction des concerts de rock à Lyon – l'agitation ça fait désordre. Et puis on ne peut pas dire que les salles rock soient légion dans l'ancienne Lugdunum, le Salut pour les groupes locaux résidant dans d'hypothétiques premières parties pour lesquelles on s'écharpe volontiers – quand on n'est pas carrément tiré au sort, comme pour le concert des Stones à Gerland en 1982.
Alors les initiatives personnelles et le do it yourself s'organisent. La guérilla rock prend forme. Les frères Demonet ouvrent le Rock 'n' Roll Mops inauguré par Jacques Higelin en avril 1978. Une aventure qui ne dure que deux mois en dépit du succès et de têtes d'affiche comme les Talking Heads, mais aboutira par la bande le 29 juillet 1978 à un concert de... quinze heures au Théâtre Antique de Fourvière – le mythique New Wave French Connection. Starshooter, Ganafoul, Bijou, Téléphone, les canettes de bière pleuvant sur Marie et les Garçons, la chose est entrée dans l'Histoire.
Au rythme de Bajard
À Lyon on n'a pas de salle rock, ou peu – Le Palais d'Hiver et les concerts organisés à l'ENTPE par Emmanuel de Buretel comblent le vide – mais on a des groupes, par dizaines, avec parfois de l'or plein les doigts. C'est à eux que l'exposition consacre logiquement l'espace central de l'exposition, via un focus important sur huit d'entre eux, incontournables : les "trois" de Givors : Factory, Ganafoul, le Killdozer de Robert Lapassade ; Starshooter évidemment, porte-drapeau d'un punk coloré et malin ; les cultes Marie et les Garçons (qui enregistrèrent avec John Cale) et Electric Callas ; la doublette Affection Place/Petersen et bien sûr Carte de Séjour, qu'on ne présente plus.
Ici, l'on peut admirer pochettes de disques, affiches de concerts et objets de collection (la guitare de Kent, la batterie de Marie, la pochette de Starshooter designée par Kiki Picasso du collectif Bazooka, un costume d'Yves Matrat, chanteur jaggerien de Factory...), visionner ou écouter des interviews des groupes dans leur jus. Et tout du long, les photographies noir et blanc de Jean-Paul Bajard, grand témoin de l'époque, dont le travail rythme l'exposition et en constitue le ciment. Plus loin une salle d'écoute propose une playlist exhaustive de la période mais aussi des fanzines et journaux d'époque (le fameux Libé "fondateur").
L'histoire de "Lyon Capitale du rock" s'arrête en 1983, le changement d'époque est là, nombre de groupes se séparent à l'orée des 80's, épuisés par une ascension météorique (Starshooter), les exigences stériles du business (Ganafoul, Killdozer) ou les inévitables divergences esthétiques (Marie et les Garçons), vaporisant peu à peu l'effet "capitale". Mais pour certains, comme Carte de Séjour (avec le succès de Douce France en 1986), l'aventure continue, ou commence (L'Affaire Louis Trio naît en 1982), les salles fleurissent enfin peu à peu et d'autres esthétiques ne vont pas tarder à installer durablement Lyon sur la carte des musiques actuelles. Mais ça évidemment c'est une autre histoire. Pas moins capitale.
Lyon capitale du rock – 1978-1983
À la Bibliothèque de la Part-Dieu jusqu'au 21 septembre