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Romain Cogitore : « l'amour reste à découvrir »
Par Vincent Raymond
Publié Jeudi 13 juin 2019 - 2166 lectures
Photo : © DR
L'Autre Continent
De Romain Cogitore (2019, Fr-Tai, 1h30) avec Déborah François, Paul Hamy...
L’Autre continent / Histoire d’amour en forme rupture, d’un deuil effectué du vivant de l’un des amants ; mariage d’une comédie sentimentale et d’un mélo, d’un drame réaliste et d’un film expérimental, "L’Autre continent" allie les contraires. Explications avec le réalisateur, entre les Rencontres du Sud et les Rencontres de Gérardmer…
Pourquoi ce jeu autour des différentes langues ?
Romain Cogitore : Comme le film est tiré d’une histoire vraie, c’est venu de la réalité : les protagonistes s’étaient rencontrés en Asie et s’étaient retrouvés autour de cette question des langues. Dans mon travail de fiction, pour donner du sens à ce magma d’événement, je me suis posé la question de la communication amoureuse : dans quelle langue se parle-t-on, se comprend-on (ou pas) ? Au début du film, les personnages de Deborah et de Paul sont comme deux extraterrestres : l’un est dans un monde complètement intérieur, l’autre complètement extérieure ; une fois qu’ils se connaissent mieux, en France, ils communiquent en chinois pour que les parents ne les comprennent pas. La langue leur permet de créer un monde qui n’appartient qu’à eux.
à lire aussi : Maria, pour mémoire : "L'Autre continent"
La dimension plastique de votre film est très importante. Considérez-vous le cinéma, à l’instar de Bazin, comme un langage ou comme un territoire à explorer ?
Je le sens surtout en terme de matière : j’étais poussé par un désir de matière et de texture. Quant au fait de filmer des plans aériens, dont la perspective n’est pas humaine, ça a trait à cette question de la mémorisation des lieux : comment rendre compte d’un lieu cinématographiquement ou comment rendre un lieu abstrait pour évoquer la mémoire ? Le drone est une réponse. Au-delà, j’avais un désir de couture et je m’interrogeais sur la manière de créer ce patchwork : comment mêler des continents, des villes, des langues différentes, pour créer de l’émotion.
Au reste, c’était un des défis du film pour moi d’apprendre le drone pour pouvoir ensuite tourner les scènes. Au montage, on a privilégié ce qui était le plus aérien, d’être sur un point de vue zénital complet et d’éviter ce qu’on voit le plus souvent en drone : le trois-quart. C’est peut-être ça qui ôte de la rigidité.
À un moment, vos personnages ne sont plus en phase : leurs territoires ne coïncident plus, ils se trouvent entre l’Orient et l’Occident. En racontant la perte de la mémoire, votre film raconte aussi la perte de leur territoire intérieur…
Tout à fait (rires). Il y a beaucoup de jeux sur les mots possibles, mais on peut se dire qu'il part à l’ouest, lorsqu’il se croit dans un Canada immatériel… Quand j’ai présenté le film à Taiwan, ils m’ont dit que pour eux la neige était la douceur à la violence en même temps — ça m’a beaucoup touché. Le film s’ouvre sur de la neige, qui donne la tonalité du film et quelque chose de très doux, de vaporeux, mais aussi de violent par rapport à ce que disent les personnages.
Le continent à découvrir aujourd’hui, est-ce le cerveau, l’esprit ?
Et l’amour : à chaque génération, on se rend compte des erreurs de la génération précédente. Saint-Exupéry disait du langage que c’était « comme l'amour chez les tortues. Pas très au point. » Je crois qu’on a toujours ce côté malhabile, ce côté non découvert sur le continent qu’est l’amour, le couple, les relations sur le long terme… On sait bien ce qu’est la passion ou la fin de la passion. Mais l’amour, de façon plus vaste et plus longue, ça reste à découvrir pour chacun.
Vous abordez les possibilités “thérapeutiques“ de l’amour…
Mais c’est prouvé ! Dans certaines expériences, on parle à des plantes : celles auxquelles on donne de l’amour vont être plus belles que celles à qui on dit des saloperies. Ça fait partie des choses que peut émettre le cerveau, ça passe par le corps, par la voix.
Ici, il s’est produit une guérison “miraculeuse“ que la médecine ne sait pas expliquer. Quand elle advient, on ne peut pas dire que c’est pour des raisons religieuses ni que c’est grâce aux massages chinois ; pourtant elle existe. Ce qui est en revanche indéniable, c’est la force de l’amour que porte le personnage de Maria au personnage d’Olivier.
Dans le même temps, vous montrer que cet amour magique ne peut se survivre à la dégradation du désir…
Ça fait partie, pour moi, de l’aspect tragique de l’histoire : une potentialité magnifique qui n’adviendra jamais. Ces contradictions m’ont attiré : pouvoir raconter dans la même histoire qu’un amour est magnifique, qu’il permet de sauver de la mort mais qu’il va falloir y renoncer pour pouvoir se sauver soi… sans que la deuxième partie ne contredise la première. J’ai vu beaucoup de films où l’on raconte que l’amour est forcément destiné à la déchéance, et où l’on tombe dans le cynisme, où l’on se dit que rien n’est possible…
Quand la vraie Maria m’a raconté cette histoire, j’ai vécu des émotions très fortes en ressentant cette contradiction : l’amour peut être extrêmement puissant, mais il n’est pas plus fort que tout — je le vois autour de moi. Mais après la génération des années 1990-2000 qui a connu des divorces assez violents, je vois aussi des belles séparations, avec des couples qui continuent d’avoir une belle relation. Je manquais de ces histoires-là au cinéma qui parlent de l’amour d’aujourd’hui, qui disent qu’une séparation ne brise pas forcément tout et n’annule pas toute la beauté vécue auparavant.
Vous hybridez deux “territoires“ cinématographiques : la comédie sentimentale et le mélo. Comment se prépare-t-on à la bascule d’une tonalité vers l’autre ?
Ça c’est beaucoup joué au montage. L’humour, pour moi, c’est le personnage de Maria qui l’apportait et qui le nourrissait dans l’écriture : en suivant son personnage, elle me conduisait à voir les choses de manière souvent très décalées. Quant au mélo, c’était une envie de tragique, d’un sort qui s’acharne sur une personne qui ne sait pas forcément l’expliquer, et qui n’est pas responsable.
Il y avait plus de comédie tout au long du film, mais au cours du montage, on s’est rendu compte avec le monteur Florent Vassault, que dans la seconde partie, on avait besoin de resserrer sur le couple, sur cette émotion au premier degré. Il a fallu couper ce qui était de l’ordre de la comédie. Notamment une intrigue très drôle entre Vincent Perez et Aviis Zhong. Les gens qui n’ont pas lu le synopsis et pas vu de bande d’annonce pensent être devant une comédie romantique quand le film commence. C’est ce basculement du film qui m’intéresse.
Pourquoi avoir choisi Strasbourg ?
Parce que je suis originaire d’Alsace ; donc je suis soutenu très fortement par la Région et par les gens qui sont là-bas. Une partie de mon équipe également s’y trouve : il y a des choses qu’on a pu faire à Strasbourg qu’on n’aurait pas pu faire ailleurs — comme la scène du mariage — où beaucoup de gens sont prêts à m’aider. Ça devient tout de suite plus simple de tourner là où l’on connaît les gens.
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