Le classique se rebiffe

Marché International du Film Classique / Au cœur du Festival Lumière se tient pour la septième année un rendez-vous dédié aux professionnels : le Marché International du Film Classique. L’occasion de se pencher sur la “grandeur (et la décadence ?) des petits commerces de cinéma“ pour reprendre le mot de Godard à l’ère de la dématérialisation forcenée…

À bientôt 125 ans, le cinéma entre dans un âge où l’innovation technologique bénéficie concomitamment à la création contemporaine — à travers l’amélioration continu des supports d’enregistrement de son et d’image, comme des procédés de diffusion de l’objet filmique dans les salles, toujours réinventés en 3D, 4DX etc. — et à son patrimoine. Étrange paradoxe que l’abandon de la pellicule analogique originelle pour le numérique : le transfert des images sur bobines en encodages digitaux plaçant à égalité de traitement œuvres contemporaines et œuvres classiques, il permet à ces dernières de faciliter leur renaissance, donc d’accroître leur visibilité. Or les procédés de restauration demeurent coûteux. Et même si certaines émanations des institutions culturelles nationales (le CNC, l’INA, les Cinémathèques…) ou quelques-unes des fondations privées adossées à des distributeurs nantis d’un puissant catalogue (Pathé, Gaumont…) assument ce qui relève d’une mission de service public, la nécessité de trouver des débouchés économiques reste cruciale.

L’état des choses

Première source de revenus évidente, la salle de cinéma souffre d’un manque de disponibilité : avec 5 981 écrans, l’Hexagone est certes bien pourvu en salles de cinéma — et ce parc progresse régulièrement. Mais avec 684 films inédits sortis en 2018, quelle place accorder aux reprises ? Deuxième source, la vente de supports vidéo (DVD ou Blu-ray) est en chute libre — -16, 9 % entre juillet 2018 et juin 2019 —, au point que les distributeurs hésitent à engager des frais supplémentaires pour l’édition d’une galette. La télévision maintient une fenêtre grâce à l’offre pléthorique de chaînes, avides de contenus et tenues à des obligations légales de programmation de cinéma. Ainsi, en 2018, sur les 2 366 films diffusés sur les chaînes françaises, 69, 1% étaient des rediffusions — preuve que la nouveauté n’est pas l’alpha ni l’oméga des grilles. Une autre source est en train de progresser nettement : la vidéo à la demande sur les plates-formes généralistes légales (+38, 5%, dont +82, 7% pour les seuls services par abonnement en 2018).

Dominé par l’ogre Netflix et son alter ego Amazon Prime Video, le marché actuel propose également les offres d’opérateurs télévisuels (Arte, Canal+…), de fournisseurs d’accès (OCS…) mais aussi quelques indépendants, dont certains spécialisés dans une programmation plus auteur et patrimoine (Tënk, La Cinetek…). Or ce nouvel écosystème risque d’être furieusement chamboulé par l’arrivée de nouveaux entrants : Apple TV+ pour la firme à la pomme ouvrira son service le 1er novembre prochain et Disney+, réunissant tous les catalogues du studio de Burbank, fera de même 11 jours plus tard. Autant dire que le futur mastodonte français Salto conjointement porté par les ennemis intimes FranceTélévisions, TF1 et M6, semblera minuscule par comparaison lorsqu’il naîtra début 2020…

Classics tout risque

Si la viabilité du cinéma de patrimoine est questionnée, la curiosité des spectateurs dans les manifestations ponctuelles comme les festivals (Il Cinema ritrovato à Bologne, Lumière à Lyon) est bien réelle et l’attention portée aux sections programmant les dernières restaurations (Cannes Classics, Venise Classics, Berlinale Classics et désormais Lumière Classics) atteste d’un potentiel à exploiter dans tous les sens du terme. Alors que l’Institut Lumière, par la bouche de son directeur Thierry Frémaux a annoncé en septembre le projet d’une DVDthèque mondiale et que cette édition du Festival a accueilli dimanche dernier la première édition du Salon du DVD en présence des éditeurs, le Marché International du Film 2019 semble vouloir mettre tous les professionnels en ordre de bataille pour lui donner toutes les chances de perdurer. Le choix de Peter Becker comme Grand Témoin de la manifestation, à qui la conférence inaugurale mardi a été confiée, le confirme. Patron de The Criterion Collection, éditeur de vidéos de référence depuis 1984 et pionnier dans “l’accompagnement“ cinéphile des films classiques (au moyen de bonus originaux, restaurations, etc.), le pape du DVD n’a pas attendu pour prendre le virage de la VOD : présent depuis 2008 en streaming sur différents sites ou plates-formes, il a lancé The Criterion Channel proposant son catalogue en streaming payant — un exemple vertueux résonnant une table-ronde débattue par la suite ("L'avenir de la distribution et de l’exploitation du patrimoine à l'heure du streaming").

Qu’on se rassure, les autres tables rondes n’enterrent pas la salle, bien au contraire ("Quelle place pour le cinéma de patrimoine dans les salles en Europe ?" ou "Apocalypse Now Final Cut : Stratégie de restauration, financement et ressortie" par exemple). Mais ils ne font pas l’autruche face à Internet, nouvel ogre ayant supplanté la TV en terme de trésorerie et d’audience. L’équation économique est douloureuse pour les professionnels, mais ils n’ont guère le choix : pour préserver leur filière, ils doivent intégrer un peu de plates-formes, à condition de les brider fortement. Ce genre de position ambiguë, plutôt contradictoire, consentie pour des raisons diplomatiques ou de gentlemen agreement, s’avère plus fréquente que l’on croit. Tenez, le Festival Lumière a bien programmé cette année un film Netflix tout neuf et destiné au petit écran parce qu’il permettait de faire revenir Martin Scorsese à Lyon…

*Source de tous les chiffres : CNC - juillet 2019

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