Mardi 23 janvier 2024 De tous les festivals de courts ayant lieu dans la métropole, Un poing c’est court à Vaulx-en-Velin a toujours eu un statut à part : c’est un festival engagé, (...)
Jérémy Clapin : « j'ai dû détruire le roman pour construire le film »
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 5 novembre 2019 - 3233 lectures
Photo : © DR
J'ai perdu mon corps
De Jérémy Clapin (Fr, 1h21) avec Hakim Faris, Victoire du Bois...
J’ai perdu mon corps / Avant de remporter le Grand Prix de la Semaine de la Critique (une première pour un film d’animation) et le Cristal à Annecy, le premier long-métrage de Jérémy Clapin a connu une lente maturation en dialogue et confiance avec son producteur ainsi que l’auteur du roman (et coscénariste) Guillaume Laurant.
Comment le livre dont est inspiré J’ai perdu mon corps, Happy Hand, vous est-il tombé entre les mains ? Il semble vous avoir été destiné…
Jérémy Clapin : On le doit à mon producteur, Marc du Pontavice. Il a demandé à me rencontrer en 2011 après avoir vu mes courts-métrages : dans tous mes films, il y a un élément fantastique qui vient interroger la réalité. Cette intrusion du fantastique me permet d’aborder des thèmes plus délicats à aborder frontalement, d'éclairer certaines zones d’ombre. Ce n’est pas un fantastique gratuit juste parce qu’il est spectaculaire ; il parle d’autre chose que du sujet lui-même.
Comme dans le réalisme magique dans la littérature sud-américaine ?
Oui : la combinaison des deux crée une autre réalité qu’on accepte en tant que telle. Et ces éléments fantastiques et réels sont séparés, chacun appartenant à leur monde, ils fabriquent une autre réalité. Mais c’est très présent aussi dans la littérature asiatique, japonaise, notamment chez Murakami, où le fantastique n’est pas sur-appuyé : il arrive comme un élément naturaliste, s’impose en tant que tel, on ne tente surtout pas de l’expliquer. C’est absurde, mais je trouve que dès qu’on tente de l’expliquer, il perd de son pouvoir.
Au-delà du fantastique, il y a dans chacun de vos films le même goût pour les couleurs éteintes, mais un traitement jamais semblable. Comme si vous cultiviez une volonté d’être formellement différent à chaque opus, en maintenant une cohérence globale…
Il y a des choses que je fais sciemment ; d’autres non.
À chaque projet, j’essaie de trouver une écriture visuelle adaptée, et ça m’amène à d’autres territoires graphiques. Certains arrivent, en restant dans le même style graphique, à l’enrichir, mais moi j’ai toujours eu un peu peur de m’enfermer dans un style particulier, alors je profite de chaque sujet pour aller sur de nouveaux territoires.
Pour J’ai perdu mon corps, qui est peut-être le plus réaliste de mes films, je suis allé vers des personnages qui me ressemblent, qui ne sont pas dénaturés graphiquement et restent dans des proportions humaines. Comme je parlais d’une main, je voulais que ce soit une main dessinée mais qui soit comme la nôtre ; qu’il n’y ait pas de cheminement esthétique à faire, ni de distance.
Sur un tel film, comment composez-vous votre moodboard ?
En étalant différentes pistes sur la table — enfin, sur ordinateur. Je ne m’interdis pas d’aller chercher très très loin, des trucs différents, et petit à petit je me fige sur un rendu, sur une ambiance, sur quelques images qui me parlent, en tout cas en terme d’ambiance, d’univers, et me paraissent assez emblématiques de ce que je veux sur le film : ça peut être du Edward Hopper, ou des dessins de l’illustrateur Henri Meyer, et encore d’autres références qui peuvent être théâtrales. Et petit à petit, on fabrique ses propres références.
Plus qu’une adaptation, il s’agit là d’une transposition du roman de Guillaume Laurant. Comment s’est déroulée votre collaboration ?
Je n’avais jamais fait d’adaptation puisque je partais toujours sur mes idées. Il a fallu trouver nos marques, donc qu’il se mette au service du scénario, du film, comme s’il n’était pas de lui. Comme il était très ouvert, j’avais cette chance qu’il ne s’arc-boute pas pour garder des choses de son livre. Ce qui était compliqué pour moi au début, c’est que je n’ai pas complètement endossé la volonté de le trahir : je suis resté très proche du livre et il a fallu que Marc du Pontavice me dise qu’il n’était pas content — personne n’était content de ce qu’on arrivait à produire — et m’encourage à me l’approprier.
Un été, j’ai décidé de tout reprendre. Je suis parti de l’essentiel ; de ce qui m’avait plu dans le livre : ce point de vue nouveau de la main partant à la recherche de son corps. Et j’ai vraiment essayé de démarrer une histoire comme si je venais d’avoir cette idée-là. Évidemment, j’avais digéré le bouquin, j’ai construit le personnage autour et l’ai beaucoup fait évoluer. J’ai dû amener une dimension sensorielle qu’il n’y avait pas : je l’ai trouvée quand j’ai créé cette passion pour les sons, un rapport sonore au monde. La main, elle, a un rapport tactile qui les fait se rapprocher tous les deux. Tout ça m’a amené à créer une situation : la rencontre avec Gabrielle est ainsi une rencontre sonore via un interphone.
J’ai amené des petits éléments, que j’aime bien disséminer dans mes films parce qu’ils structurent un peu le récit : la mouche enjolive un peu le dessin mais n’est pas dans le roman. Beaucoup d’autres éléments apportent de la poésie… Tout cela, c’est parce que j’ai eu un déclenchement cet été-là, où j’ai dû vraiment détruire pour reconstruire.
Il vous fallait avoir acquis une légitimité, et peut-être aussi oublier suffisamment le livre pour pouvoir le “réécrire à votre main“ ?
Clairement, la vision n’était pas là : c’est compliqué à se projeter, puisque déjà le pitch est compliqué… Ça marchait très bien en littérature, mais une fois porté au cinéma, il fallait transfigurer, raconter autrement, en utilisant le vocabulaire cinématographique. Or j’étais trop dans l’écrit, pas encore assez dans la vision du film. Il fallait vraiment que ce soit moi qui donne le cap… Guillaume m’a suivi là-dessus et sur tout. En fait ce n’était pas à lui de se réapproprier le livre, mais à moi.
Pour vous qui êtes dessinateur/animateur, être une main autonome, cela tiendrait-il de l’horreur suprême ou du fantasme secret ?
(sourire) C’est vrai que le côté main, forcément ça fait sens. Après, le dessin, ça n’a jamais été une finalité pour moi qui ai toujours voulu faire des films. Le dessin permet de faire ces étapes qui, à la fin, vont raconter une histoire. Mon quotidien n’est pas de faire des dessins forcément jolis qui ont une existence autonome, mais de communiquer des idées pour le film.
Et vous fondre dans un groupe ? Métaphoriquement, c’est l’histoire de J’ai perdu mon corps…
Oui, c’est tout à fait ça (rires). De toute façon, c’est un film puzzle, on a plein de petits morceaux épars au début du film, plein de petits morceaux de la vie, et ces morceaux se regroupent à la fin, pour former une seule chose.
Qu’est-ce que ça fait de se retrouver Grand Prix de la Semaine de la Critique quand on en a réalisé l’habillage ?
Mon court-métrage Skhizein y avait été primé en 2008, on avait bien sympathisé et ils m’avaient demandé de faire l’habillage juste après. Je ne sais pas si c’est encore le même, d’ailleurs. Ils ont dû en changer.
En tout cas, c’est une histoire suivie avec la Semaine de la Critique…
C’est clair, c’est vraiment une histoire particulière avec eux, ils m’ont soutenu ! C’est une chance absolue de pouvoir être vu dans cette sélection-là, et que pour la première fois ce soit un film d’animation qui obtienne le prix : ça valide aussi leur prise de risque. Il faudra que la curiosité du spectateur soit au rendez-vous, et en bon nombre. On est confiants, on a tout fait pour que ça fonctionne, les feux sont au vert, on verra bientôt.
Un Prix à Cannes, deux à Annecy… Est-ce qu’on se prépare au succès ?
Je viens du court-métrage. Même si j’ai l’expérience des festivals ou d’être suivi par la critique, je ne connaissais pas la promo ni la sortie en salles : je le découvre. C’est assez excitant, très prenant aussi, et je veux en profiter. Bêtement, je pensais qu’une fois fini mon film, j’allais pouvoir souffler. Mais la promo demande presque plus de boulot ! Depuis Cannes, tout le monde parle du film ; voir le retour des gens me rend très fier pour moi et pour toute l’équipe du film.
à lire aussi
derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Actus...
Mardi 31 octobre 2023 Le festival Lumière vient de refermer ses lourds rideaux, les vacances de la Toussaint lui ont succédé… Mais ce n’est pas pour autant que les équipes de (...)
Mardi 31 octobre 2023 Si le tourisme en pays caladois tend à augmenter à l’approche du troisième jeudi de novembre, il ne faudrait pas réduire le secteur à sa culture du pampre : depuis bientôt trois décennies, Villefranche célèbre aussi en beauté le cinéma francophone....
Mardi 5 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or Anatomie d’une chute et sans doute favorisé par la grève affectant...
Mardi 29 août 2023 Et voilà quatre films qui sortent cette semaine parmi une quinzaine : N° 10, La Beauté du geste, Alam puis Banel & Adama.
Suivez le guide !
Lundi 12 juin 2023 Parmi les jeunes maîtres du cinéma nippon, Kôji Fukada est en train de se tailler une place de plus en plus importante. Présenté à la dernière Mostra, Love Life est un film sur les liens invisible, l’incommunicabilité, la famille et la résilience....
Mercredi 19 avril 2023 Invité aux Rencontres du Sud pour présenter sa nouvelle comédie avec Charlotte Gainsbourg, "La Vie pour de vrai", Dany Boon évoque les lointaines inspirations qui l’ont aidé à modeler son personnage de candide. Comme son rapport inattendu à Agnès...
Mercredi 30 novembre 2022 Deux lieux atypiques accueillent des projections en ce début décembre. D’abord, la Maison de l’Écologie dans le 7e arrondissement ce jeudi 1er à 20h à (...)
Mercredi 30 novembre 2022 Le Festival du Film Court du Zola ayant servi de warm-up, on ne lâche pas l’affaire et l’on continue avec entrain avec la deuxième édition de Mutoscope, (...)
Jeudi 1 décembre 2022 Le titre un brin lapidaire de la livraison mensuelle du cycle Ciné Collection concocté par les salles du GRAC (“Femmes à la caméra“) ne doit pas susciter (...)
Mercredi 30 novembre 2022 L’un aurait fêté son centenaire, l’autre ses 130 printemps en 2022. Mais tous deux sont d’une étonnante contemporanéité et — curieusement — complémentaires. Ernst Lubitsch et Francesco Rosi finissent l’année à l’Institut Lumière.
Jeudi 6 octobre 2022 Huit ans après "La French", le réalisateur et le comédien se retrouvent pour un film à nouveau tiré d’un fait historique mais beaucoup plus contemporain : les attentats de 2015. Rencontre autour de la conception d’un film sur une tragédie française.
Lundi 5 septembre 2022 Bien qu’il atteigne cette année l’âge de raison avec sa 7e édition, le Festival du film jeune de Lyon demeure fidèle à sa mission en programmant l’émergence des (...)
Lundi 5 septembre 2022 Appelés à retrouver leurs chères études, les écoliers se sentiront-ils moins seuls en sachant que les cinéphiles lyonnais doivent suivre un programme au moins aussi chargé en ce mois de septembre avec moult rencontres et événements dans les salles ?...
Mardi 23 août 2022 Après avoir endossé sur scène le rôle d’Hortense dans La Dégustation d’Ivan Calbérac, Isabelle Carré le reprend avec enthousiasme pour l’adaptation réalisée par l’auteur. L’occasion de converser avec une comédienne toujours impeccable, devenue...
Lundi 5 septembre 2022 Malavida ressort l'un des films phares de la Nouvelle Vague tchèque, dont l'inventivité et la pertinence demeurent totalement d'actualité.
Mercredi 17 août 2022 Et si Forrest Gump portait un turban et dégustait des golgappas plutôt que des chocolats ? L’idée est audacieuse mais aurait mérité que le réalisateur indien de Laal Singh Chaddha se l’approprie davantage. Si l’intrigue réserve forcement peu de...
Mercredi 11 mai 2022 Lauréat début mai du Meilleur premier film de fiction et Meilleur acteur dans un second rôle aux 9e Prix Platino (attribués aux productions du monde ibérique), Karnawal incarne la relève du cinéma latino-américain. Avant de recevoir ses récompenses,...
Mercredi 11 mai 2022 Alors que son film posthume Plus que jamais réalisé par Emily Atef sera présenté dans la section Un certain regard du 75e festival de Cannes, l’Aquarium (...)
Jeudi 12 mai 2022 Tous deux ont porté le Nouvel Hollywood sur les fonts baptismaux, joué (sans avoir de scène en commun) dans le plus célèbre film de mafia/la plus fameuse (...)
Jeudi 12 mai 2022 Et vous, comment vivrez-vous ?, le nouveau long-métrage de Hayao Miyazaki n’étant annoncé que l’année prochaine (une décennie après le dernier), le Pathé Bellecour (...)
Vendredi 13 mai 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 10 mai 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 26 avril 2022 Comédienne chez Denys Arcand (L’Âge des ténèbres) et surtout Xavier Dolan (Les Amours imaginaires, Laurence Anyways), la Québécoise Monia Chokri avait réalisé en 2019 un premier long-métrage remarqué, La Femme de mon frère. Elle est de retour...
Mardi 26 avril 2022 Un très joli conte de printemps s’apprête à sortir sur les écrans : le bien nommé C’est magnifique !, troisième long-métrage du comédien et cinéaste Clovis (...)
Mardi 26 avril 2022 Retour à un calendrier habituel pour le festival Cinémas du Sud concocté par la galerie Regard Sud et accueilli par l’Institut Lumière du mercredi 27 au (...)
Mardi 26 avril 2022 Faut-il une raison pour aller au musée contempler les toiles des Impressionnistes ? Évidemment non. Il en va de même pour les chefs-d’œuvre du cinéma (...)
Mardi 26 avril 2022 Les organisateurs d’On vous ment ont de le sens de l’humour (ou de l’à propos) puisqu’ils ont calé la septième édition de leur festival pile entre la présidentielle et les législatives. Une manière de nous rappeler qu’il ne faut pas tout...
Mardi 26 avril 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.