La Cicciolina : « il faudrait d'abord faire l'amour avec sa tête »

OnlyPorn : une soirée avec Cicciolina

Only Porn / Femme libre et engagée, Ilona Staller a été et demeure une personnalité à part dans la société italienne : artiste insoumise, modèle, actrice pornographique, députée… La Cicciolina revendique une libération des mœurs aujourd’hui menacée. Sans cesser le combat.

Est-ce facile d’être une icône ?
Ilona Staller, alias la Cicciolina
: Sans aucun doute je suis une icône de l’art contemporain et de la liberté sexuelle. Pas seulement, à mon avis, mais surtout dans l’opinion des experts du secteur. C’est un honneur de pouvoir être considérée comme telle, je ne le nie pas ; au contraire je suis fière de recevoir ce titre que je prends comme un prix. Être une icône, c’est ce qui caractérise les multiples facettes de ma carrière, de mannequin à actrice, jusqu’à muse de grands artistes de renommée mondiale.

Ilona, supportez-vous toujours bien votre alter ego, La Cicciolina ? Y a-t-il quelque chose dans ce qu’elle est, comme une sorte de mystère, qui vous impressionne et qui vous échappe ?
Dans ma vie je n’ai jamais aimé me mettre en compétition avec qui que soit ; j’aime juste ce que je fais et chaque fois, ça se révèle nouveau et différent. J’aime mon travail, j’aime être la Cicciolina, muse ainsi qu’artiste de mes propres œuvres d’art contemporain. Ce n’est pas facile d’être une icône, toutefois je trouve très simple d’être Ilona et en même temps, d'être aussi Cicciolina. Ilona est Cicciolina par nature : je suis une femme particulière et intense, d’une force au-delà de l’ordinaire dans un corps de Venus de Botticelli. Mon image à moi de Cicciolina, qui vis avec moi quotidiennement avec son indispensable couronne de fleurs, continue à émerveiller tout le monde, et est de façon surprenante encore aujourd’hui extrêmement actuelle, le portevoix de fantasmes, de créativité, de liberté et d’amour universel. Ce n’est pas un mystère, donc : Ilona, c’est La Cicciolina en art.

Le sexe est-il politique ?
Je vais reformuler votre question : « qu’est-ce qu’il arrive quand sexe et politique se rencontrent…? » Ça éclate en “sexgate” : c’est toujours un problème de manifestation du pouvoir mâle qui trouve un terrain fertile dans la politique. Ça existe depuis des siècles ; c’est terrifiant — ç’a été même épouvantable dans le passé. Ces histoires de cours, de palais et de pouvoir ressemblent à “un emmêlement inextricable de politique et d’érotisme“. Personne n’a jamais nié le pouvoir des favorites du roi, ni celui des favorites du sultan non plus ; partout dans le monde, il y a toujours eu des scandales liés à la politique et à la richesse.

Le scandale sexuel a toujours existé dans les lieux du pouvoir pour la simple raison que l’homme a ses faiblesses et fragilités qui sont exploitées par ses ennemis.

Pensons par exemple à l’importance du sexe dans l’espionnage : moi même, dans ma jeunesse, j’ai été recrutée par les services secrets hongrois pour me présenter en serveuse disponible et sensuelle avec certaines personnalités politiques “dérangeantes“ pour le système, qui logeaient dans le plus luxueux des hôtels du pays. Tout cela pour récupérer des informations politiques sur ce qui était susceptible d’être une menace pour mon pays natal.

Les Femen semblent avoir repris votre look. Vous reconnaissez-vous dans leur combat féministe et leur mode d’action ?
Les protestations et les positions des Femen rappellent celles auxquelles j’avais d’une certaine façon donné corps et voix en Italie ; celles que j’avais incarnées en tant que Cicciolina, militante, candidate et enfin députée sur les listes du Parti Radical de 1987 à 1992, avec plus de 20 000 voix de préférence des électeurs [NDT : le système italien permettait alors de pouvoir donner son propre vote au parti ou nominalement à chaque candidat ; l’expression de préférence individuelle, qui permettait un lien plus direct avec les votants, a été changé par une réforme de la loi électorale pendant le gouvernement Berlusconi, en faveur d’une loi privilégiant les partis aux candidats individuels]. Ma campagne électorale pour laquelle nous avons affiché un corps féminin nu a été un instrument de libération et de ré-appropriation du corps de la part des femmes dans une société bigote, arriérée et machiste. En même temps j’ai des points de divergences avec les Femen : par exemple, leurs militantes se disent strictement contre la prostitution et sa légalisation, alors que moi j’ai été toujours favorable à une loi qui puisse réglementer et la rendre licite.

À travers mon élection au Parlement Italien, entre 1987 et 1992, parmi mes engagements en tant qu’“Onorevole“ [NDT : “honorable“, titre réservé aux membres de la Chambre basse en Italie], il y avait justement celui de réglementer et légaliser la prostitution. En fait, la Loi Merlin [NDT : Loi du 1958 ayant rendu illégales les maisons closes, l’exploitation de la prostitution ainsi que toute activité qui peut permettre matériellement la prostitution. En conséquence, l’achat de prestations sexuelles est punissable par loi, mais pas la vente, considérée comme partie de la liberté individuelle intouchable] a eu un résultat négatif parce qu'elle a aboli toutes les normes qui garantissaient aux maisons closes et aux travailleurs du sexe en général, des contrôles parmi lesquels le contrôle sanitaire en particulier.

La Loi Merlin a juste permis que le phénomène commence à se gérer par soi-même, comme les résultats démoralisants le démontrent. Sans réglementation, tout est devenu illégal. La prostitution doit être réglementée et rendue légale ; la cacher dans l’ombre comme la Loi Merlin l’a fait a eu comme conséquence l’augmentation de l’exploitation de la prostitution par les organisations de la malavita, qui traitent les travailleuses et travailleurs du sexe comme des esclaves. Avec bien sûr des conséquences désastreuses en terme de santé publique.

Selon vous, serait-il encore possible aujourd’hui d’avoir l’approche libre, presque ludique et épanouie, que vous revendiquiez jadis à la radio et dans le cinéma pornographique ? L’industrie actuelle n’élimine-t-elle pas toutes les personnalités manifestant un peu trop de caractère et d’indépendance d’esprit ?
Aujourd’hui, ce n’est plus possible. L’industrie actuelle du porno ne laisse plus de place aux personnalités qui manifestent du caractère et de l’indépendance d’esprit, à cause des usages et la demande toujours croissante de "genres" : on ne suit plus les personnalités porno divas, mais les différents genres de porno. On utilise tout moyen et matériel qui puisse produire l’excitation sexuelle et la satisfaction érotique du spectateur, du sexe fetish aux genres extrêmes, il n’y a plus ni intrigue, ni personnage…

Plongeons-nous une seconde dans le passé, quand je travaillais comme actrice hard. C’étaient des années caractérisées par les controverses et les passions : j’étais toujours en Une des magazines hot comme Playboy ou Playmen, partout dans le monde, prête à donner du goût à l’excès. C’était une période où l’on avait la sensation que les rêves étaient réalisables, sans limites. Et d’un certain point de vue, c’était vrai : la transgression ouvrait les portes à un monde riche, plein d’engagements professionnels. Quatre jours sur un plateau pouvaient rapporter 300 millions de lires [NDT : 150 000€ actuels environ]. J’étais l’actrice la plus payée au monde. Dans le porno j’ai toujours su doser mon enthousiasme. De cette façon, j’ai pu influencer les nouvelles générations, grandies sous le charme de l’icône de l’éros la plus aimée et transgressive : la Cicciolina.

Aujourd’hui le monde du cinéma hard a tellement changé : il a perdu sa créativité et ses talents, il n’y a plus de scènes prenantes, tout se fait en vitesse devant la caméra.

Après des années de libération des mœurs, la société a fait (en apparence) un énorme bond en arrière en se conformant au puritanisme américain. Où avons-nous échoué ? Le SIDA ou Facebook (entre autres réseaux sociaux) ont-ils une responsabilité ?
La révolution des mœurs a amené à la surface la sexualité première, émancipée par les préjugés et les hontes. Grâce à la contribution de la Cicciolina, elle a pu obtenir la reconnaissance qu’elle mérite en tant que partie fondamentale de la vie humaine. Cette condition est sûrement le fruit d’une évolution qui a dévoilé des désirs, pulsions et comportements cachés. On ne pouvait pas en jouir ni en parler auparavant, même si on s’en concédait la jouissance. On parle donc d’une Révolution sexuelle, parfois aussi sous le terme d’une Libération, dont moi, Cicciolina, j’ai été une des leaders également, avec le slogan diffusé à la radio, à la télé, dans les journaux ainsi que dans les rues : « Faites l’amour, pas la guerre ».

Le procès de la libération sexuelle a par contre eu un tournant important : l’incontournable et destructrice apparition du sida. Elle a sacrifié des millions de vies et donné un élan important aux activités d’éducation sexuelle et de prévention des risques liés. Il ne faut pas revenir en arrière au puritanisme chaste, à la peur de pratiquer la sexualité que ce soit des couples hétéro ou homo. Il faut tout simplement avoir une éducation à la prévention. Sinon, nous en arrivons à ne pas prendre la voiture par peur des accidents.

Il faudrait d’abord faire l’amour avec sa tête. Ensuite se laisser aller à la jouissance et aux énormes bénéfices que la sexualité nous donne dans toutes ses formes. Il faudrait aussi freiner le virtuel, les réseaux sociaux : c’est une mine pleine de danger souvent peu visibles pour les adolescents naïfs et inexpérimentés. Donc pas seulement le sida, mais les réseaux sociaux et Internet représentent des dangers potentiels dans le monde de la sexualité des adolescents. Le message que je voudrais faire passer est que l’éducation sexuelle, accompagnée par une éducation au numérique, a un rôle d’importance capitale.

Votre parcours et votre évolution, dans leur globalité, peuvent-il être considérés comme une œuvre d’art ?
Absolument, oui. Revenons en arrière : j’ai des souvenirs splendides de ma carrière artistique. Aujourd’hui Cicciolina est unique et inimitable, connue des Pôles à l’Équateur, aux quatre coins du monde. J’ai aussi des souvenirs moins beaux, mais les moments couronnés de joie sont nombreux, et j’ai envie de vous les raconter, dans mon livre autobiographique, Ilona Staller Cicciolina for You. Je suis en négociation pour vendre les droits à tout éditeur étranger intéressé — je lance également l’appel en France, pour que mon autobiographie soit traduite ici. Elle contient des informations inédites sur ma vie. La version anglaise est déjà prête.

J’aimerais que du livre puisse naître mon film autobiographique, racontant ma vie de mannequin à porno diva, de députée à artiste de grandes œuvres d’art contemporain. Ce sera ma vie devant les caméras ! Les grands producteurs cinématographiques français sont les bienvenus s’ils veulent d’ores et déjà avoir plus d’informations sur mon idée. Ils pourront lire le synopsis que j’ai écrit — en anglais également, déjà prêt dans mon bureau.

Naturellement je ne m’arrête pas là… Je suis encore aujourd’hui très demandée comme chanteuse, mannequin pour services photo et d’événements dans le monde du spectacle. En ce moment, je poursuis mon Love Tour by Cicciolina, qui traverse les clubs : je me produis en live devant mes innombrables fans avec mes chansons à succès comme Muscolo Rosso (Muscle rouge), Inno alla trasgressione (Hymne à la transgression), Political Woman, etc. Elles sont toutes dans un esprit de revival années 80/90. Je suis également marraine d’événements, de foires liées à la mode, au cinéma, à l’art contemporain ou à tout ce qui est spectacle.

Ma poigne et mon enthousiasme sont intacts, rien n’a changé à part le décor des spectacles, moins transgressif que par le passé…

Une pointe de nostalgie ne manque pas, j’avoue… Jadis j’avais mon serpent Pito Pito avec moi sur scène ; aujourd’hui il ne reste que mon ourson en peluche. Dans ma vie artistique je peux compter sur le soutien de mon ami et collaborateur Gianni Domingo Bove, qui s’occupe des relations publiques et de mon image. Je le remercie d’être à côté de moi quotidiennement dans ma profession.

Vous arrive-t-il encore de rêver dans votre langue maternelle ? Auriez-vous eu envie de défendre vos valeurs humanistes sur la scène politique hongroise qui en a bien besoin — par exemple lors d’un scrutin européen ? Avez-vous un prochain combat politique en vue ?
Le meilleur moyen de sentir grandir l’amour que l’on éprouve pour son pays d’origine, c’est de séjourner dans un pays étranger. Même si cela fait trente ans que je vis en Italie — pays que j’aime profondément — et à Rome pour être précise, je ne peux pas oublier ma patrie. J’en rêve de temps à autre, parfois même en hongrois. Je voudrais tout faire pour l’aider, même du point de vue politique, s’ils le veulent. « Ne vous demandez pas ce que votre patrie peut faire pour vous ! Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre patrie ! »

Un mot pour finir…
Je souhaite de tout mon cœur que la paix règne dans le monde et que la guerre et le terrorisme n’existent plus. Pour tous, santé, amour et sexe — ça n’a jamais fait de mal à personne ! Je vous attends dans mes soirées Special Guest dans les meilleurs clubs, où vous pouvez voir mon spectacle, me rencontrer, prendre des selfies et chanter avec moi mes chansons qui sont un hymne à l’amour universel.

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