Drôle d’endroit pour des rencontres / Pourquoi attendre un compte rond pour célébrer les Rencontres du cinéma français de Bron ? Figure d'exception notable dans le paysage métropolitain, voire hexagonal, le festival des Alizés a souvent pris de l'avance sur les autres. Pas seulement grâce à ses avant-premières...
Chaque année depuis 1991, le festival brondillant consacré au cinéma français Drôle d'endroit pour des rencontres projette aux Alizés des films majoritairement inédits et accueille nombre de professionnels et professionnelles, en se souciant davantage de critères qualitatifs des œuvres et de la disponibilité des cinéastes que de leur genre. Toutefois, la proportion des réalisatrices, productrices, comédiennes, scénaristes et autres artistes ou techniciennes y paraît toujours plus importante qu'ailleurs — étant mis à part le Festival de Films de Femmes de Créteil, dont l'intitulé a, révérence parler, un je-ne-sais-quoi d'ostracisant ou de réducteur aujourd'hui.
Si après octobre 2017 et le scandale Weinstein, l'ensemble de l'industrie et les tutelles ont multiplié les déclarations d'intentions (comme l'annonce d'un bonus de 15% dans les subventions pour les films dont les équipes sont exemplaires en matière de parité) ou les résolutions (la création du collectif 5050 en 2020), le secteur part de loin. Dans son étude de mars 2019 portant sur La Place des femmes dans l'industrie cinématographique et audiovisuelle, le CNC relevait notamment que 23, 3 % des longs-métrages réalisés en 2017 l'avaient été par des femmes — chiffre dérisoire, et pourtant en hausse de... 62, 8% par rapport à 2008 ! Ledit rapport ne s'intéresse pas (et c'est bien dommage) à la proportion de directrices dans les festivals, ni à la part des femmes dans les comités de sélection/programmation ; sûr que les pourcentages n'atteignent pas la barre des 50%. « J'aimerais bien savoir un jour combien nous sommes, s'agace Nadia Azouzi, directrice du cinéma Les Alizés et des Rencontres, car cela reste un métier d'hommes. »
Du côté de Bron, on n'a pas attendu que la question de la parité soit dans l'air du temps pour dédier une salle à un cinéaste (Jacques Demy), l'autre à une comédienne-réalisatrice (Sandrine Bonnaire), ni pour “désinvisibiliser“ celles qui font du cinéma. Le fait que le festival et le site soient pilotés depuis 1988 par des directrices, avec toutefois une parenthèse masculine de 2008 à 2016, n'y est peut-être pas étranger — Nadia Azouzi souscrit volontiers à cette hypothèse.
Des femmes (et des hommes aussi)
Miroir de l'époque et de la production contemporaine, la programmation de cette 29e édition témoigne d'un indéniable sursaut ; fasse qu'il marque une inflexion durable. Reparlons brièvement chiffres : sur les quinze longs-métrages présentés (dont onze en avant-première), la moitié interrogent plus ou moins directement la représentation des femmes dans la société et un tiers sont signés ou cosignés par des réalisatrices. Du documentaire à la comédie musicale en passant par le drame, le panorama est large. C'est Anne-Claire Dolivet* qui montre le formatage, conscient ou non, des jeunes ballerines soumises aux impératifs des concours, à la discipline de leur art, à la douce pression parentale dans Petites danseuses ; ce sont les Filles de joie de Frédéric Fonteyne* et Anne Paulicevich*, prolétaires du Nord de la France contraintes de faire des extras dans une maison close en Belgique pour boucler leurs fins de mois. Mais c'est aussi le quotidien d'une maternité marseillaise suivie par Marion Laine* dans Voir le jour, et son précieux bouquet d'actrices (Sandrine Bonnaire, Aure Atika, Brigitte Roüan, Kenza Fortas, Sarah Stern...), ou l'adolescente des Éblouis contrainte de suivre sa famille dans une secte où humiliations et interdits régissent la communauté. Et c'est encore Emmanuelle Devos en “nez“ pour Les Parfums de Grégory Magne* vivant la solitude de l'excellence (comme dans Numéro Une), ou La Bonne Épouse dans lequel Martin Provost* dépeint une “fabrique“ de parfaites ménagères cornaquée par Juliette Binoche à la veille de 68. Et ce sont enfin les ados de C'est ça l'amour de Claire Burger, partagées entre la douleur du divorce parental et les tentations des premières amours ou Franck Dubosc découvrant la charge mentale dans 10 jours sans maman de Ludovic Bernard. Non exhaustif, ce florilège bien composé fait de ces Rencontres un moment de parité à ne pas rater.
29e Drôle d'endroit pour des rencontres
Au Cinéma Les Alizés du 29 janvier au 5 février
*Présents lors des Rencontres
Les Alizés et Drôle d'endroit pour des rencontres
1987 : Le Select, dernier cinéma de Bron, laisse la place aux Alizés flambant neuf, géré par l'association Les Amis du cinéma
1988 : Colette Périnet prend la direction des Alizés, succédant à Alain Duchâtel. Présente depuis l'ouverture, Nadia Azouzi deviendra son adjointe
1991 : Création du festival Drôle d'endroit pour des Rencontres, en référence au film de François Dupeyron. D'abord positionné à l'automne et au printemps, il se cale rapidement en janvier
2008 : Marc Van Maele, arrivé en 2003 comme animateur, prend la direction jusqu'en 2016
2016 : Après le passage éclair de Flore Tournois, Nadia Azouzi devient directrice des Alizés
2019 : Durant la saison 2018-2019, les Alizés enregistrent 67 272 entrées dans leurs deux salles