Daniel Johnston : pop heart

The Devil and Daniel Johnston

Aquarium ciné-café

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Pop Lo-fi / Quelques mois après sa mort, le Marché Gare et l'Aquarium Ciné-Café rendent un bel hommage au maître de la lo-fi que fut Daniel Johnston avec la diffusion du documentaire "The Devil & Daniel Johnston". Retour sur une vie fascinante à la frontière du génie et de la folie.

Décédé en septembre dernier à l'âge de 58 ans, l'Américain Daniel Johnston fut trente ans durant un musicien culte, icône de la branche folk lo-fi célébrée par tous ses pairs et héritiers en quête du même graal mélodique, à l'évidence désarçonnante et à la singularité bancale. Un culte qui culmina il y a quinze ans avec The Late Great Daniel Johnston : Discovered Covered, best of et album de reprises où ses versions originales regardaient en miroir leurs jumelles, si belles dans les mains de Eels, Beck, Calvin Johnson, Sparklehorse ou The Flaming Lips.

Au lycée, en Virginie-Occidentale, Johnston a déjà sa petite réputation et il aime ça. Celle d'un type à part, timide mais drôle, surdoué, cabot, farfelu et provocateur, qui aime réaliser des films en Super 8 où il parodie les travers autoritaires de sa mère – qu'il incarne lui-même. Esprit fantaisiste dans une famille de bigots effarés, il est très tôt un artiste.

Problème : il n'est que ça, ne pense qu'à ça et n'est, à vrai dire, pas fichu de faire autre chose, vivant dans un monde de mythes, de fantasmes et d'obsessions. Pour les Beatles d'abord, à la découverte desquels il se met à enregistrer compulsivement des morceaux qui réinventent la lo-fi. Pour les comics de Jack Kirby aussi. Pour la religion. Et pour une certaine Laurie Allen, girl next door malheureusement fiancée à un croque-mort.

De l'amour de sa vie, Johnston fera le terreau artistique de 90% d'une œuvre dans laquelle d'autres figures hantent son esprit : bibliques (le Diable, Jésus), pop (Captain America, Casper le fantôme) ou de son invention comme Jeremiah The Frog, Joe le boxeur trépané et son double maléfique : Vile Corrupt. Lesquels, on l'apprendra plus tard, se sont bel et bien livrés un combat homérique dans l'esprit de Daniel Johnston.

Voyage paisible

Car peu à peu Johnston, en réalité maniaco-dépressif, déraille. Nouvellement installé à Austin (Texas) à la fin des années 80, il passe par hasard sur MTV, devenant ainsi une petite célébrité. Une supposée prise d'acide plus tard et c'est le grand saut dans la folie mystique. Il est obsédé par le démon, le voit partout, se livre à des sermons hallucinés, est interné à plusieurs reprises – notamment après avoir poussé une personne âgée à se défenestrer. La suite n'est que succession de concerts surréalistes et de crises de démence. De phases maniaques et de replis légumineux.

De là, Daniel ne redescendra jamais vraiment. Il manque pourtant de le faire pour de bon un soir de 1990 : après un triomphe au festival South by Southwest au Texas, son père le ramène en Virginie-Occidentale dans son avion privé. En plein vol, Johnston, qui a stoppé son traitement en cachette, est pris d'une obsession pour une BD de Casper où le gentil fantôme fait du parachute : il veut sauter en marche, attrape les clés du coucou et les jette par la fenêtre. L'avion tombe à pic mais Bill Johnston, ancien pilote de guerre, parvient à le poser. Le père et le fils sont indemnes et Daniel renvoyé illico en HP. Sur le chemin de l'internement, le panneau d'une église évangélique énonce, en une ironie invraisemblable : « Dieu fait la promesse d'un atterrissage sans dommage, pas d'un voyage paisible. » À se demander si c'est lui qui est fou ou si c'est Dieu qui a un programme pour lui.

À sa sortie, Daniel refuse un pont d'or d'Elektra au prétexte que le label héberge Metallica, un groupe "sataniste" qui lui fait craindre d'être assassiné. Bref, ça va mieux mais mal. Ce qui ne l'empêche pas de signer le magnifique Fun (1995) qui ne se vend pas du tout. Contrairement à ses dessins : à peine exposé avec trois bouts de scotch dans les galeries branchées ou les musées d'art moderne, tout ce qui est signé Daniel Johnston s'arrache. Matt Groening, père des Simpsons, le tient en aussi haute estime que Bowie ou Cobain vénèrent sa musique.

Outsider art

De fait chez Johnston, musique et dessin sont la face d'une seule et même pièce, l'expression d'une forme d'art brut exécutée de manière compulsive, d'une sincérité absolue évidemment induite par l'état mental de leur auteur. Mais aussi le substrat du bouillon de culture pop qui agite ce cerveau à part, combiné à la geste instinctive de l'outsider art qui engendra des artistes comme Henry Darger ou Martin Ramirez, autre schizophrène.

L'approche technique, elle, est à l'avenant : à la lo-fi de l'enregistrement, aux cassettes en exemplaire unique (que Johnston réenregistrait intégralement à chaque demande d'une nouvelle copie, convoquant sans le vouloir la question de la reproductibilité technique de l'œuvre d'art) répond la low-tech du dessin au feutre ou au stylo bille. Sans filtre, l'acte créatif passe directement du cerveau à la main (le pinceau, le piano), s'affranchissant des carcans de la conscience, touchant du doigt l'absolu de l'innocence en butte au Mal qui, chez Daniel, se matérialise d'une manière troublante dans le gouffre qui sépare cet esprit juvénile et un corps de vieillard obèse, tremblant, détruit par les traitements.

Quelque chose se trame en lui qui n'est plus en prise avec le temps ou alors de manière contradictoire : comme si son esprit remontait le temps dans un corps qui vieillit en accéléré. Comme si le don créatif s'était doublé d'une malédiction, entre pacte faustien dégénéré et Dorian Gray inversé dont le corps payerait le prix de cet art de l'éternelle jeunesse. Tout ceci merveilleusement résumé dans ses dessins de super-héros triomphants et de figures mutilées. Et dans sa plus belle chanson où il psalmodie pour l'éternité : « some things last a lifetime ».

The Devil & Daniel Johnston
À l'Aquarium Ciné-Café le mercredi 19 février

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