"Soul Makossa", la face B devenue tube qui révéla Manu Dibango

Story / Manu Dibango est décédé le mardi 24 mars 2020, des suites du Covid-19. Le saxophoniste est l'auteur de "Soul Makossa" : voici l’histoire de la face B d’un 45 tours enregistré en 1972, devenue hit mondial inspirant la vague disco comme la sono mondiale, repris des dizaines de fois, utilisé par Michael Jackson et installant son créateur au firmament de l’Afrique.

Soul Makossa a fait la gloire de Manu Dibango. Sa fortune, aussi. C’était pourtant loin d’être sa destinée… 1972 ; Yaoundé, au Cameroun, est ambiancée football et se prépare pour la huitième coupe d’Afrique des Tropiques. Dibango, reconnu au pays, sollicite le ministre des Sports : ce dernier lui accorde un million de francs CFA – soit 20 000 francs de l’époque, afin d’enregistrer un hymne pour soutenir l’équipe nationale. Le père de Manu dit alors à son épouse : « des choses se passent dans ce pays. Le Président a donné un million à ton fils pour aller faire du bruit. »

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En face A, l’hymne convenu est gravé. Mais il faut une face B… Manu s’inspire d’un rythme traditionnel makossa et lui donne une coloration soul. Tout simplement, il l‘appelle Soul Makossa et le répète chez ses parents, dans le quartier de Douala. Le gimmick est simple : « mamako mamama mamasa ». Les Camerounais s’étonnent d'entendre Manu bégayer ainsi… Mais c’est la face A qui compte. Le 45 tours est distribué gratuitement, comme convenu, aux supporters. Lesquels cassent leurs vinyles pour protester, quand le Cameroun perd 1-0 contre le Congo. Fin de l’histoire ?

En fin d’année, Dibango s’enferme dans les studios Decca à Paris pour enregistrer un nouvel album. Inspiré par les effluves de Miles Davis, nourri de claviers, O Boso accueille en fin de face Soul Makossa pour une seconde vie. Le disque sort sans promo chez Decca, qui préfère se consacrer aux stars du rock.

Il était une fois… en Amérique

Un homme va sortir Soul Makossa de l’oubli. David Mancuso, à New York, organise chaque week-end des fêtes underground dans son Loft, façonnant le clubbing moderne. Là se mêlent les plus branchés de chaque minorité, blacks et latinos, hétéros et homos, filles superbes et mecs hédonistes. 300 happy few, il faut être parrainé pour entrer… Mancuso ne joue pas les tubes habituels, mais crée un feeling unique en passant des sons latins, du rythm’n‘blues, du rock psychédélique, du funk ou la soul langoureuse de Philadelphie. Dans une boutique d’imports West Indies de Brooklyn, il déniche un 45 tours de Soul Makossa. S’en empare. « Même si le morceau ne durait que quatre minutes et demi, il reliait indéniablement les rituels de transe africains de Jin-Go-Lo-Ba (Drums of Passion) d’Olatunji au groove de James Brown » écrit Peter Shapiro dans Turn the Beat Around, ouvrage référence sur l’histoire du disco.

Frankie Crocker, attentif aux dancefloors, récupère un exemplaire à son tour. L’animateur de WBLS, la radio noire la plus populaire du moment, diffuse le titre sans arrêt, assurant une promo contagieuse. Soul Makossa, disque introuvable, devient chanson incontournable.

C’est le premier exemple de hit estampillé nightclubbing, totalement en dehors des circuits traditionnels du disque où personne n’a jamais cru en ce morceau. Ce sont les pirates qui satisfont la demande. Avant qu’une vingtaine de covers ne soient enregistrées en quelques semaines, signées Afrique, Simon Kenyatta, Olatunji, les Ventures… Les premières d’une liste non close à ce jour, incluant Yannick Noah.

À Paris, personne n’est au courant avant qu’Henri Belolo, le producteur de Village People, ne rentre de New York et raconte que même Onassis est dingue de Soul Makossa. Chez Decca, personne ne croit au succès d’un artiste Africain.

Mai 1973 : coup de fil de New York, Ahmet Ertegun veut signer le titre, déjà largement piraté. Avec son frère, il dirige Atlantic, énorme label où l’on trouve Led Zeppelin comme Isaac Hayes.

Ahmet vient à Paris, assiste à un concert aux Chevaliers du Temple où Manu joue régulièrement. Conquis, il lui propose un concert au temple de la musique noire, à Harlem : l’Apollo… Cette première partie des Temptations est un succès, comme la tournée qui s’ensuit. « Pas après pas, tu es en train de te payer du bon temps » chante en douala Manu et c’est bien ce qui lui arrive-là…

Les latinos accrochent à leur tour, le label salsa Fania l’approche pour une tournée au sein de la Fania All-Stars en Amérique du Sud aux côtés de musiciens comme Mongo Santamaria et Johnny Pacheco. Soul Makossa avec eux est arrangé à la sauce afro-cubaine. Succès, encore.

Il était une fois… au tribunal

1982 est l’année Michael Jackson. Son album Thriller vient de paraître. En 2009, c’est le disque le plus vendu au monde : 104 millions d’exemplaires à ce jour… Parmi cet assemblage de tubes, figure Wanna Be Startin’ Somethin’ : sur ce titre, le producteur Quincy Jones a eu l’idée de reprendre le gimmick « mamako mamama mamasa ». Sans demander l’autorisation à Manu, ni le créditer. Un jour, une amie félicite le saxophoniste pour sa collaboration avec le King of Pop… Dibango tombe des nues et entame une longue procédure judiciaire. Les avocats américains plaident l’utilisation d’un air traditionnel.

Un arrangement amiable est finalement trouvé. Le compositeur renonce à ses droits et à être crédité sur Wanna Be Startin’ Somethin’, mais encaisse plusieurs millions de francs en dédommagement et toute utilisation ultérieure nécessitera son autorisation.

Las, en 2007 Rihanna obtient l’autorisation de sampler Wanna Be Startin’ Somethin’ pour son single Please, Don’t Stop The Music. Dibango n’est pas informé. Il décide d’assigner en référé les maisons de disques de Michael Jackson et Rihanna, afin de bloquer les droits d’auteurs. Le juge des référés a jugé la plainte irrecevable, Manu Dibango ayant déjà effectué la même démarche l’année précédente auprès du tribunal de Nanterre avant de se retirer. Lequel avait imposé à Universal d’indiquer le nom du saxophoniste sur les retirages du disque en France, mais pas de dommages et intérêts… On préfère quand Soul Makossa fait pulser les dancefloors.

À lire : Trois Kilos de Café, l’autobiographie de Manu Dibango, écrite en collaboration avec Danielle Rouard, dont sont extraites les citations (éd. Lieu Commun)

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