Drive-in, drive out : retrait de permis en vue pour les séances en plein air ?

Cinéma / Situation ubuesque en France où, sur fond de pandémie, le principe du drive-in (voire du cinéma en plein air) se trouve menacé par la puissante Fédération Nationale des Cinémas Français. En Métropole lyonnaise, cette crise se donne même des airs de duel de western…

C’est un bien étrange feuilleton qui se joue derrière les projecteurs. Alors que les spectateurs privés de séances se reportent depuis le début du confinement sur les offres de streaming, et que la réouverture des salles ne s’esquisse pas avant le début, voire la mi-juillet, selon les derniers échos du Ministère de la Culture et de l’ensemble de la profession, on commence à entendre parler ici ou là de drive-in. Il faut dire qu’ailleurs en Europe, ce recours à la voiture pour sortir tout en restant confiné fait florès : le Festival Art Parking de Prague a été un triomphe, quant au Danemark à l’Allemagne et à la Pologne, ils l’ont adopté pour des concerts… ou des messes. En quelques jours, les spectateurs lyonnais voient des propositions concurrentes éclore. Malheureusement, et c’est assez paradoxal, aucune ne risque de voir le jour.

Indissociable du chromo nostalgique de l’Amérique des fifties — celle de l’après-guerre qui roule —, le drive-in n’est pourtant pas une nouveauté en terre lyonnaise, où il se refait occasionnellement une jeunesse estivale et éphémère (notamment lors des Summer Sessions du Transbordeur), avant de rejoindre le grenier des souvenirs. Les choses bougent dans le microcosme début mai, en plein confinement, lorsque la société Karussel Locations (spécialisée dans la location de matériel événementiel) lance sur Facebook sa page Ciné Voiture assortie d’un site Internet du même nom proposant l’ouverture de réservations pour des séances prévues à Lyon 9e et à Dardilly, à partir de la mi-mai comme l’annonce Le Progrès/Lyon Plus. Problème : Karussel location n’a demandé aucune autorisation à la Ville. « C’est compliqué de découvrir dans la presse qu’une initiative a été prise de manière complètement autonome par rapport à la Ville de Lyon, s’agace Loïc Graber, adjoint à la Culture. Ils y sont allés franco. Et ça, ce n’est pas possible sur notre territoire, ajoute l’élu, regrettant que les choses n’aient pas été faites en bonne intelligence avec l’écosystème cinéma : « ce système ne doit pas être perçu comme déloyal par rapport aux salles de cinéma qui, pour l’instant, n’ont pas la capacité d’ouvrir. » D’autant que depuis quelques semaines sur le bureau de l’adjoint, un autre projet bien avancé et porté par l’association Nuées d’Images, est à l’étude.

Auto(pas)risé

Du côté de chez Ciné Voiture, le directeur de Karussel Locations Jonathan Lemoussu se défend. Quid de l’absence de demande d’autorisations ? « C’est normal, j’ai eu [Robert] Rech [le directeur adjoint de cabinet du Maire de Lyon, NdlR] en début de semaine [du 11 mai, NdlR] et normalement notre dossier devrait tomber lundi 18 mai. On a des séances prévues à partir du 13 juin, des autorisations et des droits à demander auprès du CNC, c’est une grosse usine à gaz ! » Une découverte un peu tardive du process ordinaire… « On aurait voulu le faire en mai, je ne vous le cache pas, mais on a eu des éléments perturbateurs qui nous ont signalé aux services de police comme manifestation non organisée, c'est remonté à l’Hôtel de Ville puis à l’OTEP [le service Occupation temporaire de l’espace public, NdlR], clame-t-il. On a été victimes d’un travail acharné pour nous empêcher. C’est allé très loin, jusqu’au CSA, et à la SACEM… J’ai reçu des menaces de mort ! Et les cinémas avec lesquels on était partenaires ont fait l’objet de chantage sur leurs subventions. » Affirmant par ailleurs que le lancement du site et de la page Facebook a servi à réaliser une « étude de marché » pour tester « l’engouement sur les réseaux sociaux et le taux de conversion », il précise que personne n’a été lésé. « J’ai l’impression d’être dans un domaine où tout le monde veut se marcher sur les pieds », lâche-t-il sans rire.

Chez Nuée d’Images, on ne rit pas non plus. L’association spécialisée dans les projections en plein air, observant ce qui se montait à l’étranger, avait en avril commencé par proposer un principe de de gestion de drive-in en lien avec des exploitants durant la période de fermeture, mais ceux-ci ont décliné, trop occupés par les formalités préalables à la réouverture de leurs salles. « On est parti à la recherche d’un lieu susceptible d’accueillir notre projet et on en a identifié un de 28 000m2, en chantier, pouvant recevoir 200 voitures » explique Stéphane Roche, président de l’association. Restait à identifier le propriétaire de ce lieu encore tenu secret et à obtenir l’accord des autorités pour ce projet où, d’emblée, le bénéfice dégagé sur la billetterie avait vocation à être reversé à l’association des exploitants lyonnais — prévues pour débuter au 1er juin, les séances ne devaient pas perdurer au-delà de la réouverture des salles en juillet. Si les grandes lignes thématiques de la programmation étaient tracées, le prix de la séance défini (20 à 30€ par véhicule), la périodicité arrêtée (une séance par soir), les contraintes sanitaires intégrées (n’ouvrir les vitres que du côté gauche s’il fait chaud pour respecter la distanciation sociale), il fallait encore lever certaines hypothèques.

Si la Ville semble avoir apprécié l’intégration synergique et symbiotique du projet avec les acteurs de l’exploitation locale, elle a un peu tiqué sur les condition d’accueil. « Le lieu doit répondre à des spécificités techniques pour accueillir un nombre de personnes dans des conditions de sécurité suffisantes en gérant les flux de voitures, explique Loïc Graber. Et la problématique spécifique aujourd’hui, c’est qu’une fois que les gens sont entrés pour sa séance, rien ne garantit qu’ils ne sortiront pas de leur voiture pour fumer, boire un coup, se retrouver — surtout s’il fait chaud… Le maire de Lyon, qui est responsable de la sécurité sanitaire et de la sécurité publique avec le préfet, est assez inquiet… » Doux euphémisme : selon nos informations, le maire aurait été tellement courroucé de découvrir l’initiative Ciné Voiture qu’il aurait opposé une fin de non recevoir à toute idée de drive-in…

Et je coupe le son (et l’image, aussi, tiens)

L’histoire ne s’arrête pas là. Comme dans les meilleurs feuilletons, il faut s’attendre à des rebondissements. Pendant que Lyon connaît sa querelle, ailleurs les écrans sont plus argentés. À Crest (Drôme), le cinéma Le Navire a projeté La Bonne Épouse en version drive-in mardi 12 mai ; quant au distributeur Mathieu Robinet, il a lancé le Drive-in festival, un festival de séances itinérantes dans toute la France. Un projet en lien avec la filière cinéma, où « tous les bénéfices seront reversés aux salles de cinéma et distributeurs en difficulté » et qui démarre ce 16 mai et pour une semaine à Bordeaux. L’équipe (qui envisage ensuite d’aller dans les Hauts-de-France et en Île-de-France), affirme ne pas avoir Lyon à son programme pour l’instant. Toutes ces initiatives vertueuses pour l’économie chancelante d’une filière malade du Covid-19 pourraient subir un violent coup d’arrêt. En cause, un courrier de la FNCF (Fédération Nationale des Cinémas Français) au CNC (Centre National de la Cinématographie et de l’Image Animée) daté du 15 mai réclamant « de n’autoriser aucune projection en plein air [dont les drive-in, NdlR], notamment au titre de l’alinéa 2 de l’article L 214-6 du code du cinéma qui prévoit de tenir compte de la situation locale de l’exploitation ». C’est un peu jeter le bébé avec l’eau du bain, surtout lorsque ces séances permettent à des exploitants de regagner leur public ou de récupérer quelques subsides.

« Ils voient leur business s’effondrer ; ils n’ont rien d’autre à faire que d’éviter que d’autres gens se développent, commente Jonathan Lemoussu, désabusé. C’est plutôt une panique qui est exprimée. En France, on est sur nos acquis, on n’a pas trop envie de changement. Et le cinéma en plein air, c’est du changement. » Reste que cette grosse colère de la FNCF pourrait embarrasser aussi ces autres acteurs du cinéma en plein air que sont… les collectivités. La Ville de Lyon par exemple, qui travaille en ce moment à l’élaboration d’un programme adapté pour sa manifestation estivale Tout l’monde dehors !, avait préidentifié des sites fixes dans l’espace public aménagés de la bonne façon, avec des chaises à distance réglementaire, pour des dispositifs de projection en plein air. Lyon, berceau du cinéma, privé de cinéma ? On espère un nouveau rebondissement…

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