Animali : « on nous a souvent traité de branleurs »

Pop / Après sept ans d'existence, le duo Animali, composé de Julien Jussey et Benjamin Richardier vient juste de publier son premier album, "Mary D. Kay", prenant le temps nécessaire pour trouver son équilibre. Et d'entamer une réflexion sur ce qu'est être un groupe émergent en 2020 et la pertinence de continuer à sortir... des albums.

Animali a été fondé en 2013, a publié deux EP, pourquoi autant de temps avant ce premier album ?
Benjamin Richardier : en fait, on a commencé à enregistrer il y a longtemps, il existe plusieurs versions des morceaux du disque, le temps de trouver un son qui nous convienne. On a beaucoup recommencé.

Julien Jussey : On avait aussi moins de temps pour travailler ensemble. Ben a eu un enfant. Moi, j'ai pas mal tourné, notamment avec Erotic Market, j'ai monté un deuxième studio, ce qui a pris beaucoup de temps [NdlR, il a aussi repris la direction exécutive du studio villeurbannais Mikrokosm, fondé et toujours supervisé par Benoït Bel]. Il y avait là une volonté de sortir le groupe du cycle de l'intermittence où il faut tourner pour avoir des cachets, sortir des disques rapidement pour pouvoir tourner. Ça fait prendre de mauvaises décisions. On a donc choisi de prendre le temps sans se soucier de comment on gagne notre vie.

De quelle manière a évolué le groupe depuis toutes ces années ?
JJ : On fait de la musique ensemble depuis le collège mais le groupe s'est monté autour d'amis et on était dans un truc de partage, notamment pour le premier EP. Nos personnalités à Ben et moi se sont imposées et on a un peu souffert des concessions que la notion de groupe implique. Naturellement, Animali s'est recentré autour de nous deux. Mais au fond, ç'a toujours été un duo.

BR : Le fait de se retrouver tous les deux nous a fait sortir de la dimension récréative du groupe. D'ailleurs, j'ai fait un peu de résistance au début parce que j'aimais ce côté foutraque.

JJ : On nous a beaucoup traité de branleurs à l'époque. Ce qui était vrai parce qu'on se marrait plus qu'autre chose. Mais on s'éloignait de ce qu'on avait envie de raconter d'une manière plus profonde. L'album aujourd'hui a été pensé et réalisé beaucoup plus sérieusement. Quand on fait quelque chose qui sort des tripes, ça touche davantage les gens. Avant, on survolait les choses et sans doute les auditeurs aussi.

Ce qui frappait sur ces EP, c'était cette gémellité avec un groupe comme les Flaming Lips. On peut même parler de mimétisme, dans les titres des chansons, le côté à la fois flamboyant et bricolé, très ludique.
JJ : Justement parce qu'on survolait les choses, on s'amusait. C'est un groupe qu'on a énormément écouté et on aimait cette attitude sans vraiment faire la synthèse de nos influences qui du coup étaient très visibles.

BR : Moi j'avais vraiment ce fantasme d'un truc à la Flaming Lips, ce côté barré recouvrant des textes sombres. Si c'était si visible, c'est chouette parce que ça veut dire qu'on s'est un peu approché de ça (rires). Pour cet album, on n'est pas parti avec quelques chose de préétabli avec le besoin de coller à un style. On n'a plus besoin de ça.

Benjamin, tu parlais des thématiques sombres des Flaming Lips, tu écris les textes et sur Mary D. Kay on retrouve ce registre qui porte un regard très noir sur la société.
BR : C'était déjà le cas avant, mais j'y suis allé avec une approche plus sérieuse, plus investie. Il n'y a plus de chansons foutraques qui ne veulent rien dire. J'arrive toujours à les raccrocher à cette idée de société qui se casse la gueule ; sans parler pour autant d'album concept.

Votre musique, très colorée, psychédélique, semble venir contrebalancer la noirceur des textes...
JJ :
Je ne trouve pas. Quand j'écoute l'album, je trouve que les titres sont assez sombres au contraire. J'ai besoin que la musique me fasse un peu mal, un peu de peine et, même si le rythme est entraînant, de cette dose de mélancolie. Je trouve le disque très mélancolique. Après, je reconnais qu'il y a des choses très arrangées, des violons, et je pense que ces arrangements y sont pour beaucoup dans cette impression.

BR : Moi, au contraire, je ne trouve pas qu'on fasse des choses spécialement sombres, dans la rythmique, les suites d'accord majeur. J'ai l'impression qu'on pourrait trouver énormément d'albums avec des textes moins sombres et une musique plus plombante que le nôtre. Ce contraste entre le texte et la musique je le perçois aussi.

Julien, le fait de travailler en studio, de réaliser, d'enregistrer des groupes, a-t-il eu une influence sur l'évolution du son du groupe ?
BR : Ben ouais, pourquoi tu crois qu'on réenregistre tous les titres trois fois ? (rires)

JJ : Je passe mes journées à enregistrer plein d'instruments, à créer des arrangements, mes techniques changent, mes envies changent, il y a des choses qui m'inspirent. Mais de la même manière que l'écoute d'un nouveau disque. Le revers de tout ça, c'est qu'en étant à demeure en studio, on a tendance à tout refaire indéfiniment. Je me dis « tiens, je pourrais changer ça ». Et le problème c'est que je peux le faire ! (rires) Je dois lutter pour finir. L'idéal serait de pouvoir prendre deux jours pour enregistrer et sortir le titre que j'ai dans la tête depuis deux semaines.

C'est pour cette raison que l'album a été précédé de pas moins de cinq singles ?
BR : C'est d'abord une question de promo, de label, de stratégie pour les réseaux sociaux. Même si avant l'album, on avait eu cette idée de ne sortir que des singles mais on n'a pas trouvé le moyen de mettre ça en œuvre.

JJ : C'est parti aussi du fait qu'on a été SpotifyNewTalent en 2019, ils nous ont expliqué comment tirer son épingle du jeu sur cette plateforme. Et sortir des titres régulièrement donne une certaine visibilité, via le playlistage notamment. Aujourd'hui, les gens consomment la musique différemment. En France notamment, l'économie du disque est encore trop attachée à l'album : pour les financements, les médias. Sortir de ce schéma pourrait permettre aux artistes d'être plus productifs quand ils le veulent. Les plateformes le permettent. Pourquoi ne pas sortir trois titres qu'on a sous le coude sans attendre l'album ? À quoi bon continuer à sortir un disque douze titres alors que les gens écoutent plutôt des playlists ?

Le fait d'avoir fait une croix sur la professionnalisation semble vous avoir enlevé un poids considérable.
JJ : Oui, parce qu'on fait les choses dont on a envie, sans pression. Un intermittent a besoin de jouer mais ç'a vite fait d'épuiser un groupe. Tourner avec Erotic Market a été génial, mais on s'est retrouvé à jouer en Suède devant 100 personnes. Tu gagnes un cachet mais tu as perdu trois jours et est-ce que tu es plus connu pour autant ? Une tournée de 40 dates ça impressionne toujours mais si c'est jouer dans des caf'conç' devant des gens qui n'écoutent pas.... Il ne faut pas négliger la qualité des dates. L'idée de gagner sa vie autrement permet d'aborder tout ça plus sereinement. On a des propositions de concerts pour 2021 et on va décortiquer ça tranquillement. Spotify permet notamment de cibler les villes où il y a le plus d'écoute, de cartographier une tournée en s'appuyant sur les gens qui aiment vraiment notre musique. Au final, c'est moins de dates mais ç'a plus de sens.

Animali, Mary D.Kay (Archipel / Mikrokosm)

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