Musiques actuelles : légende d'automne

Covid-19 / Sans aucune visibilité quant à leur conditions d'ouverture pour la rentrée, les diffuseurs de musiques actuelles, pour la plupart désœuvrés, oscillent entre optimisme mesuré, méthode coué et pessimisme radical, y compris à long terme. Un tableau guère réjouissant.

Pour savoir ce que les amateurs de musiques dites actuelles auront à se mettre sous la dent en cette ère pré-"post-Covid", on pourrait se contenter de jeter un œil aux agendas des différentes salles, où l'on trouve ça et là quelques dates (Épicerie Moderne, Transbordeur), parfois beaucoup (Radiant).

Problème, ces agendas, en grande partie constitués de reports du printemps, sont pour Cyrille Bonin qui gère le Transbordeur : « un cache-misère ». Un trompe-l'œil même. Car si les discours et les réalités varient en fonction des modèles économiques et d'accueil, une réalité semble inéluctable, qu'énonce Benjamin Petit, coordinateur du Marché Gare : « rouvrir les salles dans les conditions de mesures sanitaires actuelles, c'est inenvisageable. Point. »

Alors chacun bricole un peu. Le Ninkasi a maintenu son festival — en plein air du 5 au 13 septembre — et promet quelques concerts de groupes locaux et éventuellement nationaux si les conditions, comme nous le précise son DG musiques Fabien Hyvernaud, sont assouplies vers « un simple port du masque sans distanciation sociale ». Bénéficiant d'une économie diversifiée avec la réouverture de son offre de restauration et la manne de sa brasserie, le réseau « a la capacité d'appuyer sur le bouton assez vite pour remettre les choses en marche. »

Discours similaire à celui tenu dans nos pages par le Sonic qui n'attend lui aussi que le feu vert, mais... dans un esprit de survie et d'urgence bien plus prononcé pour ce pur indépendant au bord du gouffre. Du côté des SMAC, subventions et missions d'actions culturelles liées à ce statut ont permis au Périscope et l'Épicerie Moderne de réaccueillir des artistes en résidence. Le Périscope entend, nous dit Benjamin Kohler, chargé de communication du lieu, se « mobiliser davantage sur ces questions », sans d'ailleurs avoir attendu les injonctions présidentielles sur ce drôle « d'été apprenant » né, sous les yeux d'une Culture sidérée, entre le jambon et le fromage.

Si le Marché Gare, concerné par ce statut mais actuellement hors-les-murs pour travaux jusqu'en septembre 2021, ne peut accueillir ce genre d'activités, il envisage de se tourner à la rentrée vers « de petites formes, en extérieur pourquoi pas ? Et des projets originaux de médiation. » Les trois salles, affairées chacune à sa survie, continuent aussi de travailler main dans la main à la recherche de solutions communes faites de bouts de ficelle et d'imagination. Quant au fait de ne pouvoir accueillir de concert, « l'absence de frais engagés compense le manque de recette » nous dit Benjamin Kohler. Une réalité propre au modèle SMAC, loin de la panacée.

Rendez-vous en janvier ?

Pour le Transbordeur, indépendant en délégation de service public, pour encore au moins cinq ans, les choses sont plus tranchées ainsi que l'a toujours clamé un Cyrille Bonin « sur la ligne dure de la non réouverture. Les autres m'ont convaincu de revenir sur la ligne plus optimiste du "on verra bien", mais j'ai peur que ma ligne ne l'emporte. Me concernant, en termes de protection des employés, du public, des artistes, même une réouverture en janvier 2021 me paraît hypothétique. » Lui, comme plusieurs de ses confrères évoquent une reprise possible des activités « à plein régime », c'est-à-dire avec des "internationaux", en... septembre 2021.

Et lorsqu'on lui demande pourquoi il figure tout de même quelques dates au calendrier automnal du Transbo, Cyrille Bonin explique qu'outre des procédures d'annulations lourdes et un dialogue compliqué avec les billetteries comme la Fnac (qui traîne des pieds pour rembourser), leur maintien est une manière d'espérer et de tenir pyschologiquement ! Preuve avec les mots d'un Fabien Hyvernaud, ajoutant qu'il a « besoin de voir la lumière au bout du tunnel » que les choses dépassent la sphère économique. Le secteur, déjà passablement « traumatisé par les attentats de novembre 2015 », traversant également une véritable crise existentielle.

Si Cyrille Bonin, également du bureau du Prodiss (syndicat national du spectacle musical et de variété), se réjouit que le modèle économique (un centre culturel subventionné) et la configuration (une jauge modulable et assise) d'un Radiant puisse proposer une programmation soutenue – « je préfère que Biolay se fasse chez eux plutôt que nulle part » –, il met néanmoins en garde : « il faut faire attention de ne pas donner le sentiment qu'en dépit des contraintes sanitaires, tout est rentré dans l'ordre. Au risque que le ministère du Travail décrète qu'on peut sortir tout le monde du chômage partiel. »

Car c'est bien comme cela que tout le monde tient à peu près debout, sous perfusion façon « communisme hardcore » (Cyrille Bonin toujours), du chômage partiel et de PGE qu'il va bien falloir rembourser un jour. Très considérées au début de la crise quand il s'est agit... de les fermer, les salles de musiques actuelles se sont senties quelque peu à la remorque au moment du redémarrage. Impression renforcée par les tombereaux d'injonctions paradoxales du gouvernement à l'image de la gestion, calamiteuse, d'une Fête de la Musique dont on est bien en peine de dire si elle a eu lieu ou non. Comme il est impossible de dire si la rentrée musicale se fera autrement que sous la forme d'un mirage.

Reste encore la solution de se montrer philosophe face à une situation qui frôle la catastrophe. Tel Benjamin Petit : conscient que cette crise n'est sans doute pas la dernière, le capitaine du Marché Gare suggère qu'elle soit au moins l'occasion de repenser l'économie du live dans les musiques actuelles, notamment son impact en CO2 – réflexion déjà conduite par un certain nombre d'artistes – comme l'Arka Kinari de Filastine, dont nous vous parlions il y peu ici. « D'un point de vue personnel, dit-il, cela impliquerait de mettre davantage encore en avant la scène locale, même si nous le faisons déjà beaucoup. » Bref, de plus en plus de circuit court mais aussi, ajoute Benjamin Petit, envisager « la fin de ces exclusivités ridicules à l'échelle régionale et même nationale » qui voient des artistes étrangers (mais pas toujours) faire des sauts de puce d'un bout à l'autre de l'Europe et parfois en dépit de tout bon sens géographique, pour une ou deux dates dans un seul pays ou région. Un vœu pieu, comme à peu près tout le reste mais qui mérite d'être entendu.

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