Rentrée Culturelle / Lyon, en zone rouge : les théâtres rouvrent de façon trompeuse avec des jauges réduites à 60%. Heureux de revoir le public, les directeurs des grande salles font le point sur ce moment fragile. Et sans date de fin.
Il y a les mesures visibles (les masques obligatoires, l'espacement d'un fauteuil entre différents groupes). Et ce que l'on voit moins. Tout va bien ? Pas tant que ça : « on n'avait pas envie de faire comme si rien ne s'était passé » dit Stéphane Malfettes. D'où ces « premières nécessités » que le directeur des Subs a imaginées cet été : des concerts allongés (Christina Vantzou, un membre des divins Ez3kiel...), des balades avec les Femmes de Crobatie. Gratuites ou peu chères, ces propositions sont à la portée de toutes les bourses — sous conditions de réserver fissa. Peu seront servis et « on n'a pas envie de faire toute la saison comme ça ». Tout n'est pas reporté sur cette même saison, car l'hiver est peu sûr : « c'est un cauchemar pour les artistes, surtout avec des créations » dit-il. Exit Clédat & PetitPierre et Nina Santes : « en deuxième partie de son spectacle, les gens devaient venir sur scène, on ne peut plus le faire. Elle est la première à être soulagée de ce décalage d'un an. »
La crainte est grande chez les directeurs de voir la rentrée prochaine totalement encombrée. Et même après. « Pour nous, grosses institutions, les conséquences de la crise ne sont pas du tout immédiates, il y en aura en 2022 » constate Jean Bellorini qui vit un étrange baptême du feu à la tête du TNP depuis janvier. Les programmations seront faites différemment, avec moins de voyages à l'international : « on ne va plus aller voir ce qui se passe en Angleterre, en Belgique, en Allemagne dans les prochains mois, car avant on bloquait 24h et ce sera maintenant 17 jours » note Jean Bellorini. Et même en France, selon Joris Mathieu, le directeur du TNG : « difficile de faire 6 heures de train collés dans des wagons pour voir un spectacle ». In fine, ce sont les artistes qui vont trinquer. « Je crains, parce que tout a pris du retard sur la diffusion de spectacles, que certaines compagnies aient des difficultés à trouver les financements nécessaires. Et de quoi vivront les artistes dans cet entre-deux ? Bien sûr il y a l'année blanche des intermittents. Et après ? » s'inquiète Pierre-Yves Lenoir, co-directeur des Célestins.
Petits formats
Comme aux Subs, chacun avait anticipé : pas de spectacles internationaux au TNP, des formes minimales prévues au printemps transvasées en grande salle du Théâtre de la Croix-Rousse (Je suis vous tous, Le Quai de Ouistreham...) qui ne programme rien dans le Studio cette année (pas de distanciation possible). Une reconfiguration du TNG-Ateliers où les fauteuils ont été démontés et des tables et chaises installées pour une ambiance cabaret et des happy hours par la compagnie Haut et Court et ainsi « redévelopper nos imaginaires » selon Joris Mathieu car la crise sanitaire « a envahi tout l'espace mental et conversationnel ».
Même accent mis sur la convivialité au Point du Jour où le parking est utilisé en mode guinguette. En salle, la saison commence par la première création dans ces murs du duo dirigeant, Angélique Clairand et Éric Massé pour Arrête avec tes mensonges dès le 1er octobre. « Il faut sortir de ce cercle vicieux de situation d'exclusion » disent-ils en estimant que leur programmation abordant souvent des faits de société est plus que jamais justifiée tant il y a nécessité à « dézoomer » ce que nous traversons.
Louise Vignaud va étrenner un nouveau gradin modulable qui tombe à pic pour s'adapter au mieux au placement, devenu un métier à plein temps qui donne le tournis aux équipes de billetterie. Malgré le désir de « reprendre vie au théâtre », selon les mots de Joris Mathieu, l'épée de Damoclès est présente : ici une annulation (True copy, spectacle d'ouverture du TNG car les Flamands subiraient la quatorzaine, Love aux Célestins dont la tournée européenne est décalée d'une saison, le Brexit et le Covid s'étant additionnés), là une menace de cas positif qui peut envoyer valser une tournée.
Rien n'est normal
Le public est pourtant là. Les spectacles habituellement plébiscités le sont toujours : Guillaume Galienne, le Capitane Fracasse ou Galilée aux Célestins, Pommerat au TNP... Les séances scolaires ne sont pas désertées par les profs malgré l'incertitude : « les enseignants sont dans le désir de monter des projets » constate Joris Mathieu qui propose d'accueillir une classe sur une journée entière. « Le risque de rompre avec la pratique amateur, qu'elle disparaisse du parcours de certains jeunes, me préoccupe beaucoup. »
Tous mentionnent le soutien de la Ville de Lyon, avec la création d'un fonds d'urgence que Louise Vignaud a sollicité pour embaucher un ouvreur au Théâtre des Clochards Célestes. Le Théâtre de la Croix-Rousse a axé sa demande sur des dépenses de logistiques, amplifiées pour leur projet participatif. Le Point du Jour a préféré faire suivre cette aide à ses artistes associés.
Avec des jauges à 60% maximum, pour un temps indéterminé, Jean Bellorini note ce paradoxe immense : « masqués à 100%, les spectateurs subissent la distanciation au théâtre avec des personnes qu'ils vont côtoyer au restaurant sans masque, ou dans les transports. Même s'il faut des règles, la souplesse devrait être au centre de tout ce que l'on fait. Pourquoi cette place vide alors que les spectateurs ne vont pas se serrer dans les bras ou s'embrasser ? ».
Et de conclure sur ce vœu que le directeur émet, à l'unisson de ses confrères et consœurs interrogées : « ne pas sombrer dans une société de la dépression permanente. »