Claus Drexel : « l'idée était de faire un conte »

Sous les étoiles de Paris
De Claus Drexel (Fr, 1h30) avec Catherine Frot, Mahamadou Yaffa, Jean-Henri Compère

Sous les étoiles de Paris / Après le visionnaire "America", Claus Drexel revient à la fiction à la demande de Catherine Frot pour un étrange buddy movie entre une clocharde et un petit migrant dans le décor somptueux de Paris. Un projet venu tout droit d’un autre documentaire, "Au bord du monde"…

C’est par un documentaire, Au bord du monde (2013), que vous êtes arrivé à Sous les étoiles de Paris
Claus Drexel :
Oui, mais je faisais déjà de la fiction avant. J’ai plutôt fait un virage vers le documentaire sans jamais avoir envie d’arrêter la fiction. Ce qui s’est passé à l’époque de Au bord du monde, c’est que je voyais des reportages sur les gens de la rue où ces personnes ne s’exprimaient jamais parce qu’on interviewait les associations — qui font un travail formidable. J’avais l’impression de vivre dans une ville avec des personnes que je ne connaissais pas, dont je ne savais rien. J’ai eu envie de les rencontrer, en tant qu’individu. C’est un peu par hasard qu’est venue ensuite l’idée de tirer un documentaire de ces rencontres, Au bord du monde, et finalement j’ai adoré ça. Ce film a changé mon regard sur le monde à plusieurs niveaux. Car j’ai adoré le concept de documentaire et j’ai eu envie de continuer à en faire, sans perdre l’envie de faire de la fiction qui était ma voie d’origine. Alors, quand Catherine Frot m’a contacté après avoir vu Au bord du monde, en me proposant de réfléchir à un film ensemble, très rapidement on en est venus à cette idée.

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Comment avez-vous fait des personnes que vous aviez rencontrées des personnages de fiction ?
C’est extrêmement délicat. J’ai l’impression que pour ce genre de sujet on est plus libre en documentaire : le spectateur sait bien que ce sont de vraies personnes. Notre idée dans Au bord du monde, c’était de montrer le contraste extrêmement violent mais aussi très beau entre cette misère et la splendeur de la ville — un peu Les Fleurs du mal ou, en peinture, les toiles de Francis Bacon. Dans un documentaire on peut plus facilement le faire. Dans une fiction, on invente, on raconte par métaphore, donc on a presque plus de responsabilité : comme on écrit, il faut particulièrement veiller à être juste et ne pas trahir ce que sont ces personnes. Pour ce film, l’idée de départ avec Catherine et mon coscénariste Olivier Brunhes c’était de faire un conte. On a donc créé un personnage en se remémorant toutes ces personnes qui étaient à la rue, en prenant une sélection d’éléments fantastiques, merveilleux, étonnants. Tout ce qui est dans le film est vrai, mais c’est une sélection pour faire un conte.

C’est donc vrai que l’on peut croiser des enfants seuls, qui ont perdu leurs parents ?
On me l’a raconté, ça arrive souvent mais je ne l’ai pas vécu concrètement. Pendant la préparation du film, dans la Jungle de Calais avec mon coscénariste, j’ai notamment vu une maman avec deux enfants en bas âge, qui avait donc fait un voyage extrêmement difficile, violent, dangereux. Qu’est-ce qui pouvait se passer en cas de descente de police ? Ils risquaient d’être séparés, c’était épouvantable.

Comment avez-vous choisi le jeune Mahamadou Yaffa pour interpréter Suli ?
Initialement, j’avais envie de faire le film avec un vrai enfant migrant. Mais c’était quasiment impossible du point de vue administratif parce qu’il fallait que les enfants soient en règle. L’idée est venue de faire un casting ici, avec la difficulté de trouver un enfant qui parle couramment une langue africaine. Alors on a commencé à faire des recherches à très grande échelle, à la fois dans les écoles, les clubs de sport, sur Internet. Ma directrice de casting a fait une sélection, j’ai regardé des essais avec des dizaines de gamins différents et puis forcément on a resserré comme dans un entonnoir pour garder une petite dizaine de gamins qui allaient rencontrer Catherine.

Il s’est produit quelque chose lors de la rencontre en Catherine et Mahamadou. Ils ont joué la scène prévue, je n’ai pas dit « coupez », j’ai laissé vivre l’instant. Elle a alors commencé à lui apprendre des trucs, des jeux de doigts, c’était absolument charmant et je sentais qu’il se passait quelque chose entre eux. Et à la fin du bout d’essai, Catherine lui a dit « Bon, on va se revoir bientôt », et quand il est parti, Catherine s'est retournée vers moi « ah mais pardon c’est pas moi qui choisis ».

Mais j’avais bien senti qu’il y avait quelque chose de très important. Cette femme aigrie, coupée du monde, qui ne veut plus avoir à faire qui que ce soit et qui voit ce gamin, il fallait que ce soit touchant. Et c’est ce qui a déterminé notre choix final. Les enfant étaient tous magnifiques mais différents. Certains portaient plus de tristesse, et le côté très solaire et rayonnant de Mahamadou m’a touché aussi. Car certains des gamins que j’avais vus à Calais étaient hyper joyeux.

La métamorphose de Christine au contact du petit Suli est en plusieurs étapes : d’abord, sa parole revient, le corps suit… Comment avez-vous créé cette “fusée à plusieurs étages” ?
C’est vraiment à l’écriture : on s’est dit qu’il fallait qu’elle soit propulsée hors de son cocon car son abri sur les quais est certes une chance, mais il la fait se replier sur elle-même. On avait des repères : il fallait que quelque chose la jette au-dehors, puis qu’elle perde ses sacs, puis tout ce qui la rattachait à son passé…

Au début du film, il y a une scène très marquante de petit-déjeuner dans un dispensaire. Où l’avez-vous tournée ?
On l’a tournée pendant une vraie distribution de repas, avec des gens que je connais bien. C’est une église rue Saint-Denis à Paris, qui accueille les pauvres depuis plusieurs siècles — c’est une tradition le samedi matin. J’y avais été souvent, on avait d’ailleurs fait l’avant-première d’Au bord du monde dans l’église, en montant un grand écran. Je connaissais la plupart des usagers et j’avais demandé à ceux qui voulaient de participer au tournage. Pour Au bord du monde, ils n’avaient pas été payés — déontologiquement, dans un documentaire, on ne paie pas parce que sinon on peu exiger des choses — mais là bien sûr, c’était évident et même légalement obligatoire : ils avaient tous un contrat. Après c’était hyper compliqué parce que beaucoup n’avaient pas de compte en banque, donc il fallait payer en cash.

On les aussi tous invités à une projection dans un cinéma, mais beaucoup ne sont pas venus. J’ai l’impression qu’ils ont trouvé sympa de faire le film, mais qu’ils s’en foutaient un peu. Pendant le tournage, ils demandaient si ça allait être encore long parce qu’ils étaient super occupés (rires)

Quatre ans après le choc America, referiez-vous aujourd'hui un autre documentaire sur les États-Unis ?
(soupir) Ça m’intéresserait beaucoup. Après, moi je suis cinéaste plus que journaliste. J’y suis allé pour faire un film à l’époque, j’aurais adoré y être maintenant parce que je suis passionné par tout le truc, c’est un moment incroyable mais très inquiétant. Justement, j’ai peur qu’il y ait une guerre civile. Ils avaient quand même prévu d’enlever la gouverneure du Michigan. C’est inquiétant…

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