Squat / Après deux ans d'occupation de l'ancien collège Maurice-Scève, la Métropole et la Préfecture organisent l'évacuation des lieux et le relogement d'une partie des habitants. Entre soulagement et inquiétude, le collectif de soutien aux jeunes s'organise sans savoir quand ils devront partir ni où ils iront.
« Y'a rien de propre et on ne sait pas quand on va devoir partir. » En ce mardi 13 octobre, les inquiétudes des habitants du collège Maurice-Scève sont immenses. Après deux ans d'occupation du lieu, ils vont devoir partir. Pour aller où ? Dans des logements temporaires trouvés par la Métropole et la Préfecture pour certains, dans un squat et dans la rue pour d'autres. Quand ? Pas de date précise, mais bientôt. L'évacuation demandée par la Métropole, coordonnée par la Préfecture, aura bien lieu avant le début de la trêve hivernale. Pour les membres du collectif Collège Sans Frontières Maurice-Scève, composé essentiellement d'habitants du quartier, l'évacuation est un soulagement, mais aussi une source d'inquiétudes notamment pour Sébastien, prof de maths à la tête du collectif : « on ne sait pas quand et dans quelles conditions aura lieu l'expulsion et si tout le monde sera relogé, c'est une grande source de stress pour eux. » Eux, ce sont 311 jeunes hommes originaires de pays d'Afrique de l'Ouest, dont 60 sont en attente de reconnaissance de leur minorité par l'État.
Là malgré nous
Le collectif demande depuis le début de sa création en octobre 2018 des solutions de relogement qui permettraient à ces jeunes d'échapper à des conditions de vie insalubres. Grande promiscuité, santé physique et mentale fragiles, absence d'eau chaude et de chauffage, punaises de lit et rats accompagnent un quotidien ennuyeux. Le temps ici est long. Suspendu aux espoirs de chacun de pouvoir enfin avoir le droit à une existence décente. « On est là malgré nous » rappelle David, un jeune Guinéen de trente ans arrivé à l'ouverture du squat en septembre 2018. Il a connu Jasmin, l'ouvreur de squat qui avait repéré le lieu à la fin de l'été. Sa volonté était de mettre à l'abri des jeunes adultes et mineurs qui dormaient sur des matelas de fortune dans les jardins de la Montée de la Grande-Côte. La Métropole et la Préfecture disaient ne pas pouvoir les loger, alors un collectif de soutien aux jeunes appuyé par la Coordination Urgence Migrants a trouvé de l'aide auprès de cet ouvreur, qui force seulement les bâtiments publics.
De 50 habitants en septembre 2018, ils sont passés à 150 en octobre. En novembre 2019, ils étaient presque 500. Une situation intenable avec « une cinquantaine de personnes qui dormaient sous le préau » se remémore David. Si certains ont entendu parler du squat alors qu'ils étaient en Italie ou en Espagne, d'autres se sont vus conseiller le lieu par les associations d'aide aux migrants. « Encore aujourd'hui des jeunes arrivent alors qu'on va devoir bientôt quitter les lieux. » Pour Sébastien c'est le serpent qui se mord la queue. Sans places dans les lieux d'accueil d'urgence, le collège reste un refuge pour ceux qui arrivent à Lyon. Selon Kamel Amerouche, chef du service de la communication du cabinet du préfet, le collectif « ne tient pas son engagement de ne plus accueillir de nouveaux arrivants ». Un engagement difficile à respecter pour un lieu de plusieurs bâtiments ouverts de jour comme de nuit. « C'est compliqué de surveiller les arrivées, et on ne se voit pas remettre les gens à la rue » confie Sébastien qui s'inquiète pour les personnes que la Préfecture n'a pas recensées le 6 octobre dernier.
Depuis le 24 septembre, la Métropole, propriétaire des lieux, a légalement le droit d'expulser les habitants suite à une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif puis du tribunal de grande instance. La demande d'évacuation a induit le recensement par la Préfecture des personnes qui vivent dans le squat afin « de comprendre les situations administratives de chacun et de gérer au cas par cas » selon Nicolas Perez, attaché de presse à la Métropole. « On essaie de trouver une solution pour chaque mineur, on trouve des structures d'accueil. » Qu'en est-il des 60 jeunes en attente de la reconnaissance de leur minorité ? « Nous apporterons des solutions. On va analyser la situation avec la Préfecture. » Du côté de la Préfecture et de Kamel Amerouche, même son de cloche : « on cherche des solutions pour tout le monde. On proposera des solutions d'hébergement aux demandeurs d'asile. Les personnes déboutées se verront proposer une solution d'hébergement en vue de la reconduction volontaire à la frontière, ils auront une aide pour le retour volontaire. »
Déracinés, traumatisés
Des réponses en demi-teinte qui ne satisfont qu'à moitié le collectif pour qui l'urgence est de préparer au mieux cette expulsion dont la date reste inconnue et sur laquelle ni la Métropole ni la Préfecture ne souhaitent communiquer. « Il faudra peut-être quitter les lieux en quinze minutes, donc on trouve des espaces de stockage pour les affaires personnelles. Ils ont peu de biens et s'ils venaient à les perdre, ça serait catastrophique » nous explique Sophie, une jeune traductrice très investie dans le collège depuis un an. Le recensement du 6 octobre a été vécu comme un choc par certains habitants et membres du collectif, « on ne s'y attendait pas et la Métropole n'était pas au courant, cela a fait fuir des habitants, notamment des déboutés du droit d'asile qui ont vu soixante flics débarquer pour prendre leurs empreintes. On a eu le droit aux drones et à quelques insultes racistes, mais dans l'ensemble ça s'est plutôt bien passé » raconte Sébastien.
Pour Sophie, l'expulsion doit se faire le plus en douceur possible car « certains ont déjà vécu de lourds traumatismes, ceux-là ne sortent quasiment pas de leur chambre ». Des traumatismes qui sont les raisons de leur venue en France, que le voyage et les conditions de vie en squat ont renforcés. Ces arrachements surgissent sur fond de conflits inter-ethniques, souvent armés, ou à cause de la famine qui guette des zones géographiques ravagées par les dérèglements climatiques. Quand il ne pleut plus, qu'on ne peut plus rien récolter ni nourrir le bétail, ce sont des familles entières qui sont menacées. Pour beaucoup, le voyage jusqu'à la Croix-Rousse s'est avéré encore plus brutal que le déracinement. Le 23 juin 2019, les habitants ont organisé une grande fête solidaire qui a accueilli plus de 800 personnes. La journée fut ponctuée par des concerts et des prises de parole relatant notamment les traumatismes de jeunes passés par l'enfer libyen. « La violence ne vient pas de notre couleur de peau, mais des hommes » confie David qui s'attache à aider ces écorchés. En tant que référent, il épaule les plus fragiles et les non-francophones, « les moins courageux que moi, j'essaie de leur donner de la force. » De cette force, ils auront plus que jamais besoin dans les épreuves à venir.