La Taille de mon Âme : la forme et le fonds, à la bonne place

Galerie d'Art / La petite dernière des galeries d'art lyonnaises fait souffler un vent généreux à la Croix-Rousse. Familier des amateurs de rock, son nom renvoie à un album de Daniel Darc, témoin privilégié de l'histoire intime de ses propriétaires, Dominique et Guillaume Ducongé.

Là-haut, sur le Plateau... À l'écart de la place de la Croix-Rousse et de ses allures de Bellecour miniature ; à distance de celle des Tapis au relooking urbanistico-composito-patatoïdesque, la place Bertone déroule discrètement sa petite partition, s'affirmant comme l'un des pôles d'attraction tranquilles de ce nouveau 4e arrondissement, jadis village, désormais multitude de quartiers-hameaux. Plantée de bancs et de platanes, cernée par un café-théâtre, un caviste, un restau — enfin, en période normale —, elle a, il est vrai, tout pour plaire. Tout ? Davantage depuis début décembre, avec l'ouverture d'une galerie d'art : La Taille de Mon Âme.

« Là, c'est un peu le foutoir... » Guillaume Ducongé s'excuse presque de ne pas avoir encore accroché ces deux ou trois œuvres qui, à demi-recouvertes de papier de soie dévoilent dans une suggestivité botticellienne leur intimité artistique le long du mur. Elles se substitueront à celles qui — déjà — ont été vendues. Ce n'est pas que le désordre règne, loin s'en faut, mais dans cette étroite boutique tout en longueur, on devine que la place s'avère comptée. De fait, les 35m2 sous une courte mezzanine ont été ingénieusement agencés, avec la complicité de Johany Sapet : l'architecte d'intérieur a même conçu un meuble de bois clair dont les tiroirs, rappelant des installations du V&A londonien, augmentent l'espace d'exposition. Bref, le nouveau-né porte beau et marche plutôt bien pour son âge ; on peut même lui trouver une sacrée précocité par rapport à tous ces autres bébés conçus durant le premier confinement, pointant à peine le bout de leur nez dans les maternités.

Place à l'art !

Sans la réclusion forcée du printemps dernier, Dominique et Guillaume Ducongé n'auraient en effet jamais songé à ouvrir ainsi “la taille de leur âme”, ni cette galerie tenant du musée imaginaire exaucé. Un prolongement logique à leurs activités — à leur vie de couple, aussi. Tous deux baignent dans l'art depuis des années : Dominique fut notamment à l'origine de la galerie Doxart au Confluent voilà quinze ans et a longtemps été médiatrice à la Spirale de Décines ; quant à Guillaume, il a fondé et dirige Audiovisit, qui signe depuis 2002 des audioguides originaux pour les principales institutions muséales hexagonales, et fut le producteur-animateur de Radio Quenelle il y a une dizaine d'années. Durant le confinement, tous deux partagent sur les réseaux sociaux leur amour pour des œuvres en incitant leurs followers à les imiter. En coulisses, ils réfléchissent à une manière plus concrète d'agir. S'ils collectionnent un peu, ils ne s'imaginent pas pour autant se transformer ni en galeristes, ni en mécènes ; alors, pourquoi pas un peu des deux ?

Ce sera d'abord la galerie. « Un acte philanthropique en soi, qui soutient les artistes, avance Dominique. En l'occurrence, des plasticiens, graveurs, sculpteurs et/ou céramistes. Les grands noms côtoient des artistes émergents, les multiples estampes à tirage limité jouxtent les originaux. Gravures de Françoise Pétrovitch, sérigraphies de Myriam Mechita, lithographies d'Alice Gauthier, acryliques sur papier du voisin croix-roussien Séverin Millet alternent ainsi avec les porcelaines chimériques d'inspiration chinoise de Réjean Peytavin ou même les assiettes élégantes de la nivernaise Faïencerie Georges — labellisée “entreprise du Patrimoine vivant“ — aussi décoratives qu'usuelles. On note aussi ici une eau-forte de Louise Bourgeois, là une héliogravure de JR, toutes deux issues de l'atelier de chalcographie du Louvre : « elles ne sont pas signées ni numérotées, mais authentifiées par un timbre à sec », précisent les maîtres des lieux. Outre le fait qu'ils les ont amoureusement choisies — ils ne feignent donc pas l'enthousiasme lorsqu'ils les évoquent — la plupart des pièces présentent un autre point commun, leur prix, plutôt abordable : « à partir de 200-300 euros pour une œuvre sans encadrement. »

Ainsi fut le fonds...

Une “démocratisation” de l'art qui ne suffit pourtant pas aux Ducongé : en parallèle de la galerie, ils créent un fonds de dotation. « Une sorte de petite fondation », abondée à la fois par le couple et Audiovisit, mais pouvant l'être aussi par des particuliers ou des entreprises — « donnant donc droit à 66% ou 60% de crédit d'impôt » — ainsi que par les bénéfices de la galerie, toutes charges déduites. Ou encore par la vente d'œuvres éditées pour l'occasion, comme la reproduction d'une encre sur papier d'Alice Gauthier baptisée... Âme. La manne en résultant vise à financer des actions d'inclusion culturelle, de sensibilisation et d'accès à l'art pour des personnes qui en sont éloignées pour des raisons « économiques, sociales ou de santé ». Ainsi, la première consistera en l'organisation d'un cycle d'ateliers de pratique pour des familles villeurbannaises défavorisées à l'URDLA, partie prenante du projet. D'autres sont en gestation, notamment portant sur de la pratique culturelle avec l'association Singa d'aide aux migrants, ou encore autour de la médiation auprès de personnes en situation de handicap. La Taille de Mon Âme finance les projet après avoir identifié les structures, mais leur laisse toute latitude pour choisir les bénéficiaires.

Il faut avoir les reins solides pour supporter un tel concept presque désintéressé ; il faut pouvoir s'investir cette nouvelle activité non pas en dilettante, mais comme dans une passion supplémentaire, sans négliger celles du quotidien leur permettant d'exister — chacun conserve en effet ses missions professionnelles par ailleurs. C'est d'ailleurs un sacré paradoxe puisque La Taille de Mon Âme est, d'un point de vue juridique, un établissement secondaire d'Audiovisit qui a dû modifier ses statuts pour intégrer l'activité “galerie”. Et même, sur les conseils de leur banquière, ne pas trop préciser que les travaux qu'ils entreprenaient correspondaient à l'installation de ce nouveau lieu place Bertone. Compte tenu des circonstances actuelles, le défi est plutôt en passe d'être gagné : lors de l'opération “Osons les galeries” organisée mi-décembre, ce sont 87 curieux « sans compter les enfants ! » qui ont franchi les portes.

Beaucoup de visiteurs passent, du quartier ou non, ravis de se faire raconter les œuvres. D'autres, après un passage discret, reviennent trois jours plus tard, tous warnings clignotants, pour acquérir des gravures, des assiettes. « Comme je n'ai jamais été dans la partie marchande, s'amuse Guillaume, mon angoisse c'était de faire un paquet-cadeau ! » Et puis il y a cette histoire incroyable de leur première vente internationale. Grâce à Instagram, une collectionneuse a repéré une œuvre qu'elle avait loupée à New York et pu finaliser son achat à Lyon... Si Internet abolit les kilomètres, la galerie tient beaucoup au “circuit court“ : les Ducongé travaillent avec le graphiste lyonnais Mathieu Hubert, font imprimer leurs (superbes) cartes de visite chez Bouquet-Crozet, éditent leur papeterie avec Papier Merveille et, naturellement, rencontrent de jeunes artistes locaux prometteurs. Promis, ils feront une inauguration « mais quand on fêtera les un an de la galerie, en décembre 2021 ». La place Bertone mériterait d'être mise à profit pour un projet de cette taille...

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mercredi 13 septembre 2023 Pour sa 5e édition, le festival de street-art Peinture fraîche quitte la halle Debourg pour investir sa voisine aux anciennes usines Fagor-Brandt. Du 11 octobre au 5 novembre, 75 artistes s'exposent sur 15 000m2.
Lundi 12 juin 2023 Le musée à l’architecture déconstructiviste accueille, jusqu’au 18 février, "Afrique, mille vies d’objets". Ces 230 objets africains, principalement datés du XXe siècle, collectés par le couple d’amateurs et marchands d’arts Ewa et Yves Develon,...
Mercredi 5 octobre 2022 Kashink détonne dans le paysage du street art depuis une quinzaine d’années. Sa pratique engagée se met au service d’un discours sur l’identité. À travers ses peintures de masques, elle nous raconte notre complexité, nous invite à l’embrasser avec...
Mardi 30 août 2022 Cinq belles expositions à découvrir en galeries ce mois-ci, pour s’échauffer le regard avant (ou pendant) le grand événement artistique de la saison, la 16e Biennale d’art contemporain, qui débutera mercredi 14 septembre.
Mercredi 27 avril 2022 Un mois de mai exceptionnel pour les amateurs d’expositions, avec des photographes qui sortent de leur zone de confort, une belle collection particulière d’art contemporain au MAC, un abstrait baroque, et un Jean-Xavier Renaud qui...
Mardi 12 avril 2022 Zoom sur Elie Hammond, tatoueuse nouvelle génération qui a débuté sous l'égide de Dimitri HK avant de se forger son propre style et de devenir l'une des artistes les plus en vue du moment : la globe trotteuse sera présente à la...
Dimanche 3 avril 2022 Voici notre sélection de cinq expos à découvrir ce mois-ci gratuitement en galeries, qui ose le choc des générations et des styles : de l’école lyonnaise de peinture au street-art, en passant par la photographie de William Klein. Un point...
Mardi 15 mars 2022 Enfant terrible du monde de la photographie, William Klein n’a eu de cesse d’en bousculer les codes et les pudeurs. Jetant son corps dans la bataille du réel, ses images en conservent l’énergie, la violence, la vie. Retour sur les apports et le...
Jeudi 3 mars 2022 Mars arrive et la création contemporaine repart dans les musées et les galeries avec quelques belles affiches : William Klein, Christian Lhopital, Tania Mouraud, Thameur Mejri…
Mercredi 23 février 2022 Très loin d’être un musée de cire façon Tussaud, la nouvelle expo de La Sucrière revêt une réelle démarche artistique et permet de naviguer dans le courant de la sculpture hyperréaliste, jamais réellement structuré mais créé par des artistes...
Mardi 15 février 2022 Deux expositions personnelles, une exposition collective… Tania Mouraud connaît une forte actualité à Lyon. L’occasion de revenir sur cette figure importante de l’art contemporain.
Vendredi 4 février 2022 Du street-art australien au travail rigoureux du photographe Philippe Bazin, en passant par les espaces réinventés de Georges Rousse, on mélange tout dans notre shaker, ce mois-ci, pour vous inviter à découvrir plusieurs belles expositions à Lyon.
Mardi 1 février 2022 Pour entamer cette année qui verra la célébration de ses trente ans d’existence, le CHRD tombe le masque et offre les visages enfouis dans ses collections dont le fascinant ensemble de portraits peints au camp du Stalag en Silésie.
Mardi 18 janvier 2022 Tandis que Jean Bellorini met en scène son Jeu des ombres au TNP, l'artiste et écrivain Valère Novarina expose peintures et estampes à l’URDLA. L’agitateur des mots s’y poursuit agitateur des formes.
Lundi 10 janvier 2022 Pour reprendre le chemin des expositions en douceur, voici notre sélection de cinq expositions à ne pas rater ce mois-ci, dans des galeries ou des petits lieux, toutes gratuites.
Mardi 4 janvier 2022 Notre sélection de dix événements dans les musées et les galeries de Lyon. On y croisera quelques figures connues (William Klein, Andy Warhol, Valère Novarina…) et surtout un grand nombre d’artistes français et internationaux méconnus à...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X