Aux Célestins et à l'Auditorium de Lyon, de lourds déficits

Crise Sanitaire / Certes très subventionnées, les structures culturelles en régie directe de la Ville de Lyon n’en sont pas moins fortement impactées par la crise sanitaire, car elles ne peuvent bénéficier d’aucun dispositif d’aide. Les Célestins tablent sur un déficit de 600 000€ en 2021, l’Auditorium affiche déjà un trou de 2M€ pour 2020. Toutes deux en appellent à l’État pour pallier la rupture d’égalité avec d’autres établissements aux missions similaires.

« Même si on rouvre en mai et juin, avec une jauge dégradée d’environ 50%, fin décembre la perte de recette de billetterie du théâtre s’élèvera à 600 000€ » affirme Pierre-Yves Lenoir, co-directeur du Théâtre des Célestins. Du côté de l’Auditorium de Lyon, son homologue Aline Sam-Giao estime à un million d’euros ses pertes à la fin de l’année civile avec la même hypothèse de reprise — fatalement très aléatoire —, qui se cumuleront avec les deux millions de déficit sur 2020. Aux Célestins, le dernier exercice s’est terminé à l’équilibre notamment grâce au fonds de soutien de la Ville de Lyon ; et parce qu’ils n’avaient pas prévu de jouer dans la grande salle entre avril et juin 2020 en raison de travaux, les engagements étaient moindres qu’habituellement.

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« Dans nos pires cauchemars, on se dit qu’on va nous oublier sur le bord de la route »

Les budgets de ces deux structures sont des budgets annexes à la Ville mais « nos dépenses et nos recettes sont celles de la Ville aussi, dont nous sommes une entité. Nous sommes en dialogue très étroit avec elle » nous précise la directrice générale de l’Auditorium.

Selon ces deux directeur et directrice, la Ville de Lyon continue à les accompagner et accepte le report de déficit sur les années suivantes. Mais « elle n’a pas à absorber ce déficit prévisible, c’est à l’État de jouer son rôle » déclare Pierre-Yves Lenoir. Car le bât blesse au niveau du statut juridique — la régie directe — de ces deux salles, qui les exclut de tous les dispositifs d’aide auxquels ont droit celles qui fonctionnent en association ou en syndicat mixte. Ici, pas de recours au chômage partiel possible pour les salariés, pas d’exonération de charges non plus.

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« Ça nous semble totalement injuste de ne pas bénéficier de ces aides, que reçoit le secteur culturel par ailleurs, car nous accompagnons les artistes que nous avons programmés en faisant systématiquement des arrangements financiers en leur faveur, en les dédommageant au moins des frais qu’ils avaient engagés » confie Pierre-Yves Lenoir. Même constat du côté de l’Auditorium qui en 2020 a maintenu les dépenses (travail de l'orchestre pour maintenir son niveau et permettre ses missions de service public, indemnisation des concerts annulés), sans pouvoir compter sur les ressources de billetterie, qui représentent habituellement 30% des recettes (soit entre 4 et 5 M€ par an) propres de la structure. Aux Célestins, ce sont normalement 35% des recettes..

« On fait le même métier que beaucoup d’orchestres, on est financé de la même façon globalement par l’État et les collectivités. C’est inégal que ce soit uniquement la différence de statut juridique — qui ne se traduit pas dans nos missions et modèles de financements — qui justifie que certains soient aidés, et pas d’autres » abonde Aline Sam-Giao. « J’ai l’impression que la politique de l’État dit que c’est aux collectivités de le faire, or nous avons un label national, on est financé aussi par le ministère de la Culture ».

Pas de label national pour le Théâtre des Célestins, qui reste un établissement majeur sur le territoire national. « L’État dit ne pas pouvoir accompagner tous les théâtres municipaux de France et de Navarre, mais les Célestins, parmi ce paysage, a une position particulière — ne serait-ce que parce que nous sommes un théâtre de création, contrairement à la plupart des autres qui ne font que de l’accueil ». Et c’est en cela que pour Pierre-Yves Lenoir, il y a également une rupture d’équité avec ses confères : « nos missions de service public tant en terme d’accessibilité — tarifaire, création, accompagnement des compagnies et même éducation artistique — sont pratiquement les mêmes que celles d'un CDN. Nous sommes le deuxième plus important théâtre municipal de France, mais nous n’avons pas le même statut que le premier — le Théâtre de la Ville à Paris est associatif. Nous demandons donc à l’État de pouvoir être accompagné à hauteur de la moitié ou du tiers de nos déficits ; pour le reste, la Ville nous accompagnera dans les difficultés que l'on rencontrera, mais elle n’a pas à nous tenir à bout de bras ».

Reprise en mai envisagée

Selon Aline Sam-Giao, l’État « est conscient qu’il y a un trou dans la raquette » à cause de ces statuts différents, mais n’a donné aucune échéance pour répondre aux demandes. Pour l’heure, « nous avons reçu récemment 250 000€ du Centre National de la Musique, pour compensation de billetterie, au plafond de l’aide qu’on pouvait recevoir : ça couvre le manque à gagner avec les jauges réduites de septembre et octobre. »

La directrice envisage une programmation plus clairsemée, pour le moment où elle aura le droit de rouvrir l’Auditorium (vers le mois de mai, estime-t-elle) et la fin de saison en juin. « Pour bien rassembler nos forces sur la saison prochaine, car il faudra absolument de l’ambition artistique. Nous allons supprimer les projets les plus lourds sur la fin de cette saison, pour ne garder que ceux qui sont soit à l’équilibre soit en très léger déficit ». L’ONL, pour autant ne jouera pas plus car « le planning des musiciens est déjà au maximum par rapport à ce qu’autorisent les règles écrites et physiques. »

Pour l’instant, bien malin celui qui pourrait annoncer la date de réouverture des lieux culturels. En attendant, des artistes et intermittents occupent de plus en plus massivement les théâtres (dont le TNP à Villeurbanne depuis ce vendredi 12 mars), et appellent les spectateurs et spectatrices à les rejoindre. Roselyne Bachelot n’a eu pour seule réponse, méprisante, lors des questions d’actualité au gouvernement du 10 mars, que cela était « inutile et dangereux car ça met en menace des lieux patrimoniaux fragiles ». Conserver le velours des fauteuils face au vide.

Rappelons qu’aucun cluster n’a été à déplorer lors de la courte réouverture de la rentrée automnale dernière. Les protocoles Covid sont plus respectés dans les théâtres que dans n’importe quel magasin ou moyen de transport. La question n’est pas de savoir si l’art est essentiel ou pas, mais de quoi parle cet acharnement à laisser ces lieux fermés.

Mais quand les théâtres seront autorisés à rouvrir, cela ne pourra pas se faire à n’importe quelle condition de jauge, rappelle Pierre-Yves Lenoir, car cela mettrait fortement en péril cet équilibre financier déjà si malmené : « ce dont j’ai peur est que les syndicats, pour obtenir des reprises à tout prix, acceptent des situations encore plus dégradées que les jauges qu’on a connues jusque-là. Pour les établissements qui ont 35% de recettes comme nous, ce ne sera pas possible car effectivement dans ces cas-là, ça coûte moins cher de ne pas jouer, bien que ce soit une aberration. »

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