Kamal Hakim & Mohamad Kraytem, deux auteurs libanais en résidence à Lyon

Bande Dessinée / En résidence à Lyon avec le festival Lyon BD et le programme NAFAS de l’Institut Français, les deux auteurs-illustrateurs libanais Mohamad Kraytem et Kamal Hakim vont partager pendant dix semaines leurs regards et dessins via notre compte Instagram. Faisons connaissance avec ces deux talents aussi complices que complémentaires…

Vous êtes en résidence à Lyon grâce au programme NAFAS de l’Institut français. Avez-vous postulé ?
Kamal Hakim : On a été sélectionnés, mais j’avoue ne pas connaître les coulisses officielles. On s’est retrouvés, et c’est tout. Tu as un truc à ajouter ?

Mohamad Kraytem : Pour moi, je me suis juste levé le matin, j’ai checké mes mails, j’ai été très surpris parce que je ne m’y attendais pas. C’était l’époque du confinement, en novembre ; j’étais presque déprimé, en train de travailler à Beyrouth, de vivre ma routine. Ça m’a juste rendu très heureux.

En arrivant, qu’avez-vous trouvé de plus inspirant d’un point de vue graphique dans la géométrie et la géographie lyonnaise ?
KH :
Ça commence avec l’architecture : rien que le prétexte des traboules. Déjà, tu rentres dans l’histoire des traboules. Pour un Libanais, tu te dis : tout est une question de faufilades pour nous. Il y a moyen de raconter plein d’histoires. Faire des parallèles avec notre histoire… Et puis, la géographie est intéressante parce que c’est un mélange de collines et de rivières ; ça nous rappelle aussi le Bled.

MK : On peut skier et aller à la plage…

KH : Ça, c’est le slogan ! (rires) Sinon, on arrivés dans une ville où tout est encore confiné, donc on attend le déconfinement pour pouvoir découvrir les bouchons, jouer à la pétanque.

MK : Moi, ça me dérange pas que ça soit confiné : la ville est déjà très très belle, très active et vivante avec le confinement. Donc je ne vois pas ce qui est confiné à part les cafés et les restaurants. Il y a de l’activité partout : sur la place de l’Opéra, avec des gens en train de skater, danser, manifester…

KH : Au niveau de l’architecture, ce qui m’a fasciné, c’est la palette de couleurs. Les marchands italiens du Moyen-Âge sont passés par là. Du coup, on se croirait à Florence. Puis, on a le style plus classique, propre à l’histoire française sans que ça fasse trop haussmannien parisien. Il y a aussi le fait qu’on habite le Vieux-Lyon, dans un immeuble du Moyen-Âge et qui est hyper moderne. C’est intéressant d’avoir un escalier en colimaçon pour rentrer et d’avoir un bouton pour faire descendre les stores automatiquement, d’avoir un smart four, une smart cafetière… Ça fait un peu Japon ! Et comme c’est une zone non fumeur, on se pose tous les deux à la fenêtre et on voit défiler dans ce beau quartier en bas de chez nous toute la vie, les gens, les coutumes, les histoires… Le plus drôle, c’est qu’en quittant Beyrouth, on a tous reçu des messages du style : « profite de la civilisation ! » Et là, le premier soir, on a vu un type complètement torché sortant son zgeg pour pisser partout… Alors, la civilisation… (rires)

On fait tout ensemble comme un vieux couple

Aviez-vous une image préconçue de ce que pouvait être cette résidence ?
KH :
Oui, j’ai eu des copains en résidence à Angoulême, je sais à quoi ça ressemble. À Lyon, c’est un petit peu différent parce que ce n’est pas LA ville comme Angoulême qui a tout une infrastructure où tu peux rencontrer et travailler directement avec des artistes. Là, je me retrouve enfermé avec un autre Libanais (sourire) et du coup, on est en compétition : tous les matins on fait notre work out, on travaille, on fait tout ensemble comme un vieux couple…

Dans cette routine, comment se déroulent vos journées ? Y a-t-il une une obligation de travail ?
KH
: C’est assez quartier libre. Maintenant, il y a la publication qu’on doit sortir pour le festival Lyon BD ; sinon, on est chacun venus avec un projet perso qu’on espère pouvoir défendre pendant la journée pro du Festival, où l’on aura l’occasion de rencontrer des éditeurs. L’objectif, c’est de venir avec au moins dix planches bien abouties. Avoir un texte à lire, clair, qui nous permette de discuter et d’enclencher quelque chose. Mais toi, Mo, je crois que tu as une BD bien aboutie qui va être publiée très bientôt, non ?

MK : Ouais… Et en plus de ça, j’ai aussi des des planches de côté, sur des projets, des idées. J’ai quand même des idées écrites et visualisées, et des trucs que j’avais même commencés durant le premier confinement, en avril dernier, et que je n’ai pas pu finir parce que tout Beyrouth a été rouvert. J’ai mis de côté ces projets dans mon tiroir ; ça va être une très belle occasion de les présenter aux éditeurs.

À quoi ressemble le monde de l’édition au Liban en ce moment ?
KH
: Je vais vous la faire simple. Économiquement, c’est pas possible aujourd’hui : le monde du livre s’est écroulé, parce qu’il y a eu la dévaluation de la livre libanaise qui fait qu'un livre aujourd’hui est hors de prix. Ensuite ? On verra. Donc, c’est même plus une question qu’on se pose. On est forcément obligés de passer par l’étranger, ça simplifie les choses.

MK : À ce jour, je n’ai jamais travaillé qu’avec deux éditeurs au Liban : le premier pour un petit livre en 2016 dans le cadre d’un concours ouvert à n’importe quel étudiant ou artiste, libanais ou arabe. Le second projet c’était un éditeur égyptien basé à Angoulême qui m’avait contacté sur Facebook par hasard. Ça n’arrive jamais de la vie à personne ce genre de truc d’habitude : les artistes se cassent la tête pour trouver des contrats d’édition ou pour montrer un projet apte à convaincre une maison d’édition qu’il y a de quoi faire tourner la petite roue de l’économie… (rires) Là, ça m’est arrivé comme ça ; alors, j’ai dit : « okay bah oui si vous faites la mise en page et si vous imprimez le livre ». Donc, je ne me suis jamais posé la question et je ne l’ai jamais posée à des éditeurs. Je crois que c’est la même chose partout dans le monde : il faut juste présenter un projet à un éditeur, lui demander ce qu’il peut vous donner en retour et ça se passe comme ça…

Des éditeurs libanais ont-ils publié des auteurs libanais parce qu’ils avaient eu du succès à l’étranger ?
KH
: Il y avait Tamyras, qui a fermé. On avait quelques maisons d’édition qui s’étaient lancées dans l’aventure BD, pas beaucoup. Samandal, une sorte de plateforme aujourd’hui annuelle alors qu’elle était trimestrielle. Plan B, aussi, ils avaient essayé l’auto-édition. Mais je crois surtout que la notion des droits des artistes au Liban est assez limitée. Il n’y a pas de marché. Surtout la bande dessinée francophone : c’est vraiment une petite minorité élitiste francophone qui va lire les classiques.

Au-delà de la bande dessinée d’auteurs francophones, y a-t-il une appétence particulière du public libanais pour la BD ?
MK :
Les lecteurs sont présents, mais c’est un petit pourcentage. Surtout parce que la plupart de la population s’intéresse à autre chose aujourd’hui.

KH : Oui mais avec Instagram et les réseaux sociaux, je crois que les gens aiment bien le format dessiné. C’est là où la BD a énormément de potentiel parce que ça se démocratise. Maintenant, c’est vrai que, aussi culturellement, on a tendance à déprécier la BD. Mais, là où je me contredis, tout le monde a un petit peu lu de la BD : quand on cherche, on réalise que toutes les personnes qui sont derrière les grands musées à Beyrouth aiment bien la BD. Ont leurs classiques chez eux. Collectionnent… Contrairement à ici où les élites ont méprisé la BD. Je crois que c’est la géographie qui détermine beaucoup de choses. Et Beyrouth c’est vraiment la périphérie de l’Europe, on travaille pour rattraper et se comparer aux autres (rires).

J’imagine que vous vous connaissiez bien avant de faire cette résidence — et que vous vous appréciiez ?
KH
: Tous les deux, je crois qu’on a un respect profond pour le travail de l’autre. Et il y a plein de truc assez drôles qui nous rapprochent, comme le fait que nos petites amies sont toutes les deux françaises et se retrouvent aujourd’hui à Beyrouth… en train d’organiser des dîners à parler de nous. Et nous, on est là, à Lyon (rires). II y a une touche très mignonne de voir qu’elles s’entendent bien et qu’on se retrouve ici à cuisiner l’un pour l’autre. On se connaissait avant mais je crois que notre résidence a précipité leur amitié. Du coup, on a créé un groupe sur WhatsApp : on se retrouve tous les quatre, on a les gags quotidiens… Il y a une dynamique d’humour qui est assez sympa…

Est-ce qu’elle se cristalliserait dans un projet artistique commun ?
KH
: Oui, oui ! Déjà, il y a un échange qui se fait. Et le fait qu'on se respecte, c’est cool. Le soir, on fait des exercices et des croquis ensemble… C’est déjà les prémices de quelque chose.

MK : On fait de la salade ensemble. Et ça a déjà un côté artistique, gastronomique. On expérimente avec plein d’ingrédients…

KH : …et on envoie les photos à nos copines pour voir si c’est approuvé. Ou pas. Tout en saveurs…


Dessinateur et storyboardeur en agence, Mohamad Kraytem a notamment participé au collectif Ça restera entre nous (Alifbata)… à l’instar de son aîné Kamal Hakim qui, après des études de sciences politiques à l’AUB puis d’animation au Sherdian College à Ontario signe entre autres Le Temps des grenades (Académie libanaises des beaux-arts).

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