Portrait / Avec son deuxième album, "Les Gens heureux", disque baroque 60's et mélancolique, la Lyonnaise Kcidy vient de frapper un très grand coup. Et de marquer avec bonheur un changement radical dans son approche de la pop.
« Les gens heureux dansent », chante Kcidy sur une chanson extraite de son dernier album. Du moins ils devraient, les gens, être heureux et danser. Mais en ce moment personne ne danse. Les lieux de culture ont beau rouvrir petit à petit, à Nuits Sonores (exemple non contractuel), le public se couchera, comme on passerait son tour. Et il faudra attendre encore un peu (beaucoup ?) pour le retour des « jours heureux » promis par Emmanuel "Fonzie" Macron. Certes, Les gens heureux dansent n'est pas tout à fait une chanson sur nos corps contrariés par la pandémie mais elle traduit quelque chose de l'inaccessibilité de cet état de mouvement. « J'ai imaginé ce que ça ferait d'être entourée de ces "gens heureux" qui dansent, alors que moi je serai immobile et figée, comme engluée dans la mélancolie, comme si le bonheur de ces gens m'était inaccessible, lointain » confiait la chanteuse et musicienne au site Soul Kitchen, à propos de cette chanson clipée en mode fantômatique par la réalisatrice Roxane Gaucherand. « Cette chanson traduit tout ça à la fois : l'envie de me rapprocher de gens heureux, tout en les trouvant inaccessibles. Comme si après tout le bonheur c'était pour les autres. » Ou pas pour tout de suite.
Magie des bidouillages
Son bonheur, Kcidy l'a pourtant trouvé avec ce deuxième album, baptisé Les Gens heureux (tout court, comme le tube du disque) en même temps qu'elle a retrouvé la joie assez primale de jouer. De vrais instruments, avec de vrais musiciens – ils sont désormais trois à l'entourer –, lors de vrais concerts qui commençaient à lui manquer. C'est que Kcidy est né, il y a une décennie quasi, quelque temps après que Pauline Le Caignec a découvert la MAO (Musique Assistée par Ordinateur) et la magie des bidouillages sur le logiciel Ableton Live. Et a vécu à l'avenant : « à l'époque, je m'étais acheté un synthé qui faisait un peu tous les sons de la terre, je découvrais l'enregistrement, je n'avais pas du tout une démarche de composition de chansons, en cherchant une mélodie, un arrangement, je partais un peu dans tous les sens, j'expérimentais beaucoup. » Des expérimentations d'apparence bordélique, qui travaillées dans le cadre du Conservatoire de Musiques Actuelles de Lyon avec Francis Richert, son coordinateur et éleveur de promesses, finissent par donner le EP Poursuites. Puis, en 2017, l'album Lost in Space, petit bijou d'indietronica perché et véritable perle pop, publié chez AB Records, label mais aussi « famille » qui abrite également Satellite Jockey, avec lesquels Pauline jouera un temps.
C'est avec la formation psychédélique de Rémi Richarme, et en s'essayant à la batterie au sein de Tôle Froide, que la Lyonnaise d'origine bretonne commence de retrouver le vrai goût des vrais instruments. Un goût développé très tôt en se mettant au piano à 7 ans, par atavisme familial – deux parents joueurs de piano, un père dingue de jazz – mais aussi par affirmation de soi – « j'avais décrété que je ne ferais rien comme ma grande sœur, alors quand elle a arrêté le piano, je m'y suis mise. » Elle ne lâchera quasiment plus, qu'elle écume écoles de musique et conservatoires ou se livre à une pratique plus libre : « j'ai tout de suite été très attachée à cet instrument, mon père m'a transmis ça. J'ai toujours adoré ça, même le solfège », ce qui est généralement signe d'un amour inconditionnel pour la musique, en effet. Au collège, Pauline a comme tout le monde des fantasmes rock – « j'aurais vraiment aimé jouer dans un groupe mais j'étais dans un collège catho et les filles que je connaissais jouaient du violoncelle et de la flûte, ce n'était pas trop ça ». Elle se rattrape un peu au lycée en jouant de la guitare dans une formation rock. Et si elle va à la fac, c'est pour rassurer ses parents qui, tout mélomanes qu'ils sont, aimeraient autant qu'elle fasse Sciences Po. Ce sera une licence d'Histoire à Rennes, pour la forme mais « si j'avais pu, je n'aurais fait que de la musique. Il n'y avait que ça qui m'intéressait. »
Zombies et Graal mélodique
Pauline/Kcidy s'est bien rattrapée depuis, et à l'écoute de Les Gens Heureux, on constate qu'il eut été bien dommage que ce ne fut pas le cas. Est-ce le plaisir retrouvé du jeu ? Toujours est-il que l'album, publié sur un nouveau label pour elle, Vietnam, dont les choix sont toujours très assurés, semble marquer un tournant pour la musicienne, un bouleversement esthétique qui a pris plus que de sérieuses distances avec l'électro-pop de Lost in Space. Car si Kcidy continue d'explorer la pop qu'elle aime, elle le fait par un autre versant, plus 60's, plus psychédélique, nourri d'arrangements complexes et de sonorités chaudes comme une pluie d'été. Une esthétique que l'on rapprochera aisément d'une certaine scène française qui des deux Julien Gasc et Barbagallo au très perché Orval Carlos Sibelius en passant par le Forever Pavot d'Émile Sornin, triture cette matière à sa manière, avec autant de déférence que d'audace. « Il y a vraiment un truc avec les arrangements de cette époque, un grain hyper chaud, les sons de batterie sont très beaux, explique Pauline de ce penchant pop. Je ne suis pas réactionnaire mais j'ai un goût pour ce son-là. Comme j'aime les arrangements de la pop de cette époque. Les Zombies, ça me touche beaucoup, par exemple, il y a un côté baroque et pour moi la musique baroque c'est le top de la musique. » Par là, Kcidy opère un genre de retour aux sources d'un savoir faire qui l'a conduite à apprendre à composer pour un groupe, une guitare, une partie de batterie jouable, pour la scène donc. Mais aussi à repartir en quête du Graal mélodique.
Un changement de logiciel, ou plutôt un abandon de ceux-ci, que matérialise aussi un glissement linguistique complet de l'anglais au français. Ce qui double l'authenticité musicale du disque d'une sorte de vérité textuelle, de sceau d'intimité, loin des évidences parfois paresseusements pop qui font recourir à la langue de Lennon/McCartney : « j'ai commencé à chanter en anglais parce que j'écoutais pas mal de musique anglophone et que pour moi faire de la pop c'était chanter en anglais. Surtout ça me permettait de ne pas trop me casser la tête sur le sens et de me concentrer sur les sonorités. Quand j'ai commencé à écrire en français, ç'a été une révélation. Ça m'oblige à écrire des choses qui ont plus de sens, des choses plus intimes. Ça m'oblige à écrire vraiment, en fait. » De là, un accès plus direct et profond à la psyché de l'autrice-compositrice au travers de textes dont Kcidy s'est aperçue assez vite qu'ils traitaient pour la plupart des relations à l'autre et particulièrement de toutes les formes d'amitiés, heureuses ou compliquées. Et le constatant, la chanteuse de creuser joliment ce sillon.
De là aussi des chansons qui profitent à plein d'un vieux mécanisme pop à l'efficacité jamais démentie : cette friction entre des mélodies lumineuses, des arrangements extatiques et des textes plus en demie-teinte prompts à la mélancolie et à la grisaille de l'âme, la magie de l'illusion musicale frottée à la réalité des désillusions existentielles. Une formule pas forcément très consciente, ce serait même plutôt l'inverse : « je me suis rendue compte qu'il y avait toujours une part de mélancolie dans mes chansons, pas de tristesse ou de nostalgie, vraiment de mélancolie. Je ne peux pas trop m'en départir. Je trouve ça chouette que les chansons soient un peu plus complexes. Pour autant, j'adorerais écrire une chanson 100% joyeuse. C'est ce que j'essaie de faire en ce moment mais ça me vient moins facilement. » Peut-être qu'un jour cela lui sera accessible, et le bonheur des gens qui dansent, avec.
Kcidy, Les gens heureux (Vietnam / Because Music)
Aux Nuits de Fourvière (Théâtre Antique) le vendredi 23 juillet (en première partie de Selah Sue)