Najat Vallaud-Belkacem : « nous avons les moyens de construire un âge d'or de la culture »

Régionales 2021 / Najat Vallaud-Belkacem, tête de liste du Parti Socialiste pour les Régionales, était de 2004 à 2008 en charge de la culture au sein de cette collectivité, sous la mandature de Jean-Jack Queyranne. Nous l'avons questionnée sur ce volet culturel de son programme.

Si vous êtes élue, vous doublez le budget culture : de 60M€ à 120M€. Ça veut dire que la culture redevient un enjeu politique à gauche ?
Najat Vallaud-Belkacem :
Je ne sais pas si on peut dire que la gauche avait abandonné ce sujet ces dernières années. Ce dont je suis persuadée, à titre personnel, c'est que l'on a énormément besoin de culture. Surtout à la sortie de cette crise Covid. Potentiellement, nous avons les moyens de construire un âge d'or de la culture. Tellement de gens ont manqué de spectacles, de concerts, de toute cette vitalité, coincés devant Netflix, que je pense qu'ils rêvent de ressortir. Toutes nos belles idées de démocratisation de l'accès à la culture, c'est maintenant qu'il faut leur donner corps. Or, démocratiser la culture, ça passe d'abord par un soutien à nos structures culturelles. Sur tous les sujets : la capacité de production, de diffusion, de médiation. Et j'insiste, car ce sont des mots qui peuvent paraître techniques — mais la médiation par exemple, c'est avoir des moyens humains qui permettent que les publics viennent, de les accompagner.

J'assume clairement cette idée de doubler le budget de la culture : on a besoin de ça en ce moment. Toutes les structures culturelles ont énormément souffert pendant la crise. On a besoin qu'elles nous aident à penser la suite.

Ce dont on a besoin aussi, c'est de les laisser travailler sans interférer de façon idéologique dans leurs créations. Je serais une présidente de Région qui bien naturellement ne viendra jamais dire : « ça je ne soutiens plus parce que ça me déplaît, ou ça je soutiens parce que ça va dans le sens que je souhaite. » La liberté de création est l'une des grandes valeurs que je soutiendrais, au moment où elle est attaquée aussi bien par Laurent Wauquiez, c'est une évidence, on a vu des cas précis, que par Andréa Kotarac qui appelle à un maccarthysme envers les structures culturelles et associatives.

Il faut faire attention à ne pas entraver la création culturelle

Voire même par Europe-Écologie-Les-Verts, qui peut avoir ce discours-là sur d'autres points.
Il faut faire attention à ne pas entraver la création culturelle. Soit avec des conservatismes idéologiques, soit avec des critères, des visions de la société qui devraient être partagées par les acteurs culturels. Ils sont libres de leurs créations. Heureusement. On a besoin de ce souffle !

Vous dites vouloir encourager les initiatives de la région désirant se positionner au niveau national et valorisant la décentralisation culturelle, avec ce que vous appelez les "grands projets Culture-Territoire". Qu'est-ce donc ?
Ce que l'on veut dire par là, c'est que la culture c'est à la fois une politique en tant que telle à soutenir — c'est pour ça que je commençais par évoquer le budget de la culture, comme ça c'est clair. Et en même temps, la culture est à la jonction de beaucoup d'autres politiques que l'on mène, en matière d'éducation, de désenclavement du territoire... L'idée c'est de faire en sorte qu'elle se rende, dans le sens "aller vers", dans un certain nombre de territoires qui aujourd'hui n'en bénéficient pas. Par exemple, et c'est en ça que nos différentes mesures vont se croiser, on crée à l'échelle de la Région 1000 comptoirs qui sont des lieux de vie. On se donne les moyens de les créer, en se dotant d'une foncière régionale qui va acheter des terrains, des locaux, pour ces territoires enclavés dans lesquels les services publics, les commerces de proximité, les animations ont disparu. Et ainsi, on remet dans un seul lieu du service public et du commerce de proximité, des espaces de coworking. Et des activités culturelles — des expositions d'art, etc. C'est en ça que la culture est aussi une politique territoriale.

Vous reconnaissez la culture comme un acteur économique à part entière ?
Oui. La priorité numéro un de mon programme, c'est l'emploi. Notre difficulté va être de mettre en emploi des gens qui cherchent et n'en trouvent pas. Et d'en créer. Cette création d'emplois, il ne faut jamais oublier qu'elle se situe aussi dans le milieu artistique — la culture, c'est de l'économie. J'ai été affligée de voir que de par les différentes décisions prises ces dernières années, il y a eu au moins un millier d'emplois qui ont disparu dans le secteur de la culture à cause des décisions de la Région. Je pense au contraire que c'est le moment de venir soutenir ces structures culturelles pour qu'elles créent de l'emploi et que ce soit aussi une réponse au manque de perspectives d'un certain nombre de jeunes aujourd'hui.

Personne ne s'interroge sur le fait que la Région a une compétence "vie associative"

Création d'emploi, y compris au sein des associations : vous avez un grand plan pour les associations, pas seulement culturelles.
Le monde des associations n'est pas fait que de culture mais aussi d'éducation populaire, de sport, de plein d'autres secteurs. Aujourd'hui, ce qui me frappe, c'est en effet combien ce monde associatif reste toujours au seuil des priorités. La dernière roue du carrosse, le dernier sujet auquel on pense. D'ailleurs, vous savez que beaucoup d'électeurs ignorent que la Région a une compétence sur la vie associative ? Du coup quand les associations reçoivent quelques subsides, elles trouvent ça formidables, comme si c'était un don du ciel. La plupart des autres n'en reçoivent pas. Et personne ne s'interroge sur le fait que la Région a une compétence "vie associative" et devrait avoir, normalement, une politique qui va avec. Avec des critères et une ambition. La crise de la Covid a prouvé qu'on en avait besoin, pour ceux qui n'étaient pas convaincus.

De ce point de vue, je suis favorable à un budget qui soit là encore considérablement renforcé. On passerait de 15M€ à 150M€. Et surtout, à un mode de fonctionnement avec ces associations qui soit dans le conventionnement, et non pas dans l'appel à projets. D'ailleurs, ça vaut pour la culture aussi. Je ne supporte pas cette idée que l'on impose au secteur associatif et souvent à la culture de devoir chaque année inventer un truc (rires) ! Parce que quand on les soutient pour des créations nouvelles, pour des appels à projets spécifiques, ça veut dire que l'on attend d'eux qu'en fait ils se réinventent systématiquement — sans se soucier qu'ils arrivent à fonctionner au long cours avec ce qu'ils ont déjà. Je pense que la puissance publique est là pour aider les associations en fonctionnement. En conventionnant avec elles sur plusieurs années. Plutôt que dans l'à-coup des appels à projets.

Dernière chose, beaucoup d'associations souffrent de ne pas avoir de locaux. Notre politique de logement qui consiste à avoir cette foncière régionale permettant d'acheter du foncier et des murs, nous permettra aussi de loger ces associations.

Est-ce qu'il y a un champ de la culture que vous souhaitez développer, pousser, dans la région ?
Je dirais que c'est le spectacle vivant. Je pense que c'est celui qui souffre au fond beaucoup, qui a le plus souffert de cette crise. Je n'ai pas de raison de placer un secteur par rapport à un autre, mais je pense qu'on a la chance sur ce territoire d'avoir une richesse du spectacle vivant, qui va du théâtre au cirque, qui devrait nous pousser à rayonner un peu plus. À profiter de ce grand fait régional pour donner plus d'ampleur à beaucoup de festivals existants, à Lyon ou Annecy, un peu partout. Tirer partie de ce que l'on a et les faire grandir. Donc oui, je dirais plutôt le spectacle vivant.

Quid de l'émergence ?

Le patrimoine est absent de votre programme. Vous pensez qu'il n'y a pas besoin de se focaliser dessus ? Votre discours est très porté sur la jeune création et l'émergence.
Il ne faut pas partir du principe que les mots qui ne sont pas cités dans notre programme n'existent pas dans notre politique. Un programme, c'est fait pour dire ce qui apparaît évident à nos yeux en ce moment. Par exemple, ce qui m'apparaît évident, c'est qu'en sortant de cette crise inédite, il y a une difficulté qui va se poser pour les lieux d'accueil, de culture : "l'embouteillage" en matière de programmations, compte-tenu de tous ces spectacles qui ont été arrêtés pendant un an et demie, qui sont morts-nés. Qu'est-ce qu'ils deviennent ? Il va y avoir un embouteillage aussi dans le monde de l'édition — je le vois, je dirige une collection —, avec tous les livres que l'on n'a pas pu sortir ces derniers mois. À la fin, la réalité économique nous rattrape, elle nous fait dire : « bon ben là on va plutôt sortir des grands noms, pour se rééquilibrer. » Quid de l'émergence ? Quid de ces jeunes auteurs ? J'imagine très très bien que toutes les salles de spectacles vont se retrouver dans ce genre de situation, qui peut être très néfaste pour l'émergence. Et le rôle de la puissance publique, c'est justement de venir contrer ce phénomène naturel. De faire en sorte de venir rééquilibrer, pour que l'émergence puisse continuer d'exister, car on en a vraiment besoin.

C'est comme pour le rapport des jeunes à l'emploi : on sait bien que des jeunes artistes, quand ils ont du mal à avancer, ils subissent une perte de confiance, de la frustration. La puissance publique doit faire très attention à ça, car ces problèmes mis bout à bout créent un climat dans le pays, dans la société. Et ce, au moment même où l'on a besoin de s'appuyer sur la jeunesse. Sinon c'est la dépression générale ! Et je trouve enthousiasmant de se dire, oui, nous, puissance publique, on va venir contrer ces difficultés. Ce sont, c'est vrai, des questions qui se posent moins que le patrimoine — mais ça ne veut pas dire que l'on n'a pas de politique patrimoniale.

Le mot tourisme apparaît dans votre programme culture. Comment voulez-vous relier les deux ? Est-ce que ça peut être un point de discorde avec vos potentiels alliés de second tour, les Verts, qui sont plutôt contre ce développement de la culture comme levier touristique via les grands événements ?
Ils ne voulaient pas que les gens viennent, genre à la Fête des Lumières ?

Par exemple. C'est aussi Victoire Goust, adjointe aux Grands événements et au Tourisme à Lyon, qui déclare sur Twitter que c'est une bonne chose que Woodstower doive faire avec un public local cette année et que c'est une piste pour le futur.
C'est assez intéressant : au bout d'un moment, on voit quand-même ce qui fait nos identités respectives. On ne peut pas complètement nous confondre, même si à un moment donné il faut faire l'union. Mais on n'est pas exactement pareils.

Que ce soit sur la question économique ou sur la question culturelle, ou touristique, je reste convaincue par un modèle dans lequel on rayonne. Mais vraiment ! C'est évident. J'étais en charge de la culture à la Région de 2004 à 2008. Je travaillais énormément sur la question du rayonnement à l'international de nos artistes, et vice-versa. Et j'ai été en charge de la Fête des Lumières à Lyon en tant qu'adjointe aux Grands événements. Je travaillais beaucoup sur le fait de faire venir des touristes ! À un moment donné, que l'on se dise, comme à propos de Venise pendant le confinement, « ahlala, y avait trop de touristes, ça fait du bien de voir Venise avec moins de touristes. » — OK, bien sûr. Il y a des règles de sobriété à appliquer pour éviter que les sites touristiques voient leur atmosphère polluée par trop de véhicules, etc. Ou que des Airbnb finissent par profondément affecter les mécanismes d'une ville. Mais on peut trouver ces équilibres tout en promouvant le rayonnement, franchement. Sans lequel il n'y a pas de projection possible dans la suite ! Si on n'aspire pas à grandir, c'est l'échec d'un individu : qu'est-ce qui fait qu'on se lève le matin pour apprendre à marcher, ensuite savoir parler ? C'est toujours pour avoir un horizon, et que cet horizon soit ambitieux, soit grand. Je trouve que le rayonnement, touristique, économique et culturel, il est de cet ordre-là.

Un milliard d'euros seront investis, en partie dans la culture, via le Fonds Impact Avenir. Pouvez-nous nous expliquer comment, et quel est le principe de ce fonds ?
Le Fonds Impact Avenir, c'est notre outil principal. La Région a les compétences économiques. Étre responsable du développement économique, c'est comprendre qu'il y a des entreprises qui ont besoin d'être aidées, parce que ça va mal — c'est le cas en ce moment —, qu'il y a des entreprises qui ont besoin de faire des plans sociaux et qu'il faut vraiment venir soutenir l'emploi. Qu'il y a un besoin d'innover dans telle ou telle filière parce que c'est ça qui va faire rayonner notre territoire ou créer un écosystème. C'est ça, une politique économique. Et notre outil à nous, c'est le Fonds Impact Avenir. Un fonds d'investissement régional, abondé à la fois par la Région, le secteur bancaire et les épargnants d'Auvergne-Rhône-Alpes.

L'idée, c'est que l'on ait une puissance de feu d'un milliard d'euros, qui nous permette d'entrer au capital des dites entreprises, pour pouvoir leur être véritablement utile. Ce n'est pas un prêt ou une avance remboursable. Non, on est utile : on apporte de l'argent. Et en même temps, comme on est la Région, comme on est la puissance publique, on dit à ces entreprises dans quel sens elles doivent aller. Notre capital n'est conditionné que par ça : on veut bien aider, y compris si besoin perdre de l'argent parce que ça se passe mal à la fin, mais par contre on conditionne ça à l'emploi. Soit on en crée, soit on le maintient. Et aux questions de transition écologique et sociale, qui sont évidentes. Aller vers décarbonation progressive de l'activité. S'interroger sur l'empreinte laissée par l'entreprise sur son territoire. On le fait dans un état d'esprit qui n'est pas incantatoire, mais dans l'accompagnement, avec des experts. L'idée, c'est que ce Fonds Impact Avenir soutienne l'ensemble de l'économie. Et on va se retrouver parfois devant des entreprises culturelles. Un organisateur de festival, on va alors lui demander, parce qu'on le soutient via ce fonds, de privilégier le recycable plutôt que le gobelet à usage unique, par exemple.

Le jeu vidéo est très présent dans la région : vous avez prévu un volet concernant cette filière ?
Sur le jeu vidéo, ils exportent plus que l'automobile ! C'est invraisemblable. Ça veut dire que c'est un des fleurons de notre région. J'ai l'impression qu'on n'a pas du tout misé jusqu'ici sur les filières comme celle-ci, le jeu vidéo, ou tout ce qui est bio-médecine et les industries de la santé — on n'a pas été capables d'en faire un cluster. Quand on entend Laurent Wauquiez parler uniquement de relocalisation, c'est une façon de ne pas dire qu'il y a déjà de l'innovation ici et que l'on pourrait exporter.

Ce qui m'impressionne, négativement bien sûr, c'est qu'on aurait pu se dire : tiens c'est un président de droite, pas porté sur le social, peut-être idéologique sur l'écologie — ce qu'il a été —, mais sur l'économie, la droite se targue toujours d'être forte. Mais non ! Il n'y a rien ! C'est fascinant, on a l'impression de lui avoir laissé les clés d'une Jaguar — parce que vraiment la Région Auvergne-Rhône-Alpes quand vous la comparez à d'autres, il y a des choses extraordinaires sur tous les plans —, et six ans plus tard, on ne sait pas dans quelle filière économique on est spécialisé, on ne rayonne nulle part à l'étranger, auprès de l'Union Européenne on est presque persona non grata parce que ça a servi ses petits intérêts de taper dessus à un moment donné, du coup il n'est même pas allé chercher l'argent auquel on avait droit... À l'échelle de la France, on est devenu la dernière région apprenante, parce que la formation a été totalement désertée. C'est invraisemblable !

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