Alors, Fête de la Musique ou pas ? Au-delà des errances du ministère de la Culture, de la contre-communication de la Ville de Lyon qui désire s'ériger en défenseur des artistes, entre annulations diverses, lundi soir et jauges vite complètes, il ne va pas être si simple d'écouter de la musique ce soir.
« Nous vous avons invité cet après-midi pour vous informer que, à l'initiative du ministère de la Culture, en étroite coopération avec les grands médias, dans la soirée du 21 juin, soirée du solstice d'été, la musique (...) va prendre possession des trottoirs, des fenêtres, des places, des chaussées, des parcs, des jardins, des cours, des cours de casernes aussi bien que d'autres endroits moins inhabituels. » C'est ainsi que Jack Lang, le 1er juin 1982, annonçait la création de la Fête de la Musique, quelques mois après l'élection de François Mitterrand. 39 ans après sa création en vingt jours, c'est peu dire que l'édition 2021 ne suscite pas grande émotion en comparaison.
Il aura fallu attendre le dernier moment pour écrire quoi que ce soit sur cette Fête de la Musique, chaotique à souhait dans son organisation, sa communication, sa validation. Ordres et contre-ordres, annulations et confirmations, reprogrammations et décrets contradictoires, déclarations de plus en plus ahurissantes d'une ministre de la Culture — Roselyne Bachelot — perdue dans les dédales de la rue de Valois ont achevé de brouiller la perception du message et de décourager les potentiels organisateurs.
Dernière intervention, sur France Info, le jeudi 17 juin : « les mini concerts dans les bars et les restaurants seront possibles. » C'est quoi, un mini-concert ? Et il reste interdit de se regrouper à plus de dix personnes dans l'espace public. Et les dits bars et restaurants avaient tous annulé leur programmation, puisqu'on leur avait dit qu'ils ne pourraient rien organiser quelques jours plus tôt — pensée émue au Ninkasi qui avait un artiste par lieu et avait tout supprimé. Certains ont reprogrammé — pensée émue pour le Ninkasi (bis) qui a tout repris sur son planning en quatre jours. Autre déclaration farfelue : le mardi 28 mai, la ministre déclarait dans une interview au Parisien que « [Les gens] pourr[ont] danser, mais ce sera une fête masquée. » On ne sait pas trop où l'on dansera ce soir, vu que c'est interdit partout ailleurs, si l'on a bien suivi.
Pour la danse, les dernières nouvelles de ce lundi matin, alors qu'Emmanuel Macron a reçu les représentants des clubs et boîtes de nuit à l'Élysée, sont les suivantes : réouverture le vendredi 9 juillet, avec une jauge à 75% en intérieur et port du masque recommandé mais non obligatoire. Les concerts debout seront eux autorisés à partir du 30 juin.
Clivage politique
« À vocation de rassemblement, elle [la fête] était aussi un moyen de cliver le champ politique » écrit Laurent Martin, dans Les Années Lang - une histoire des politiques culturelles 1981-1993, consacrée à la politique culturelle de celui qui était si friand de fêtes en tous genres et lança cette Fête de la Musique, Jack Lang. Ça n'a pas trop changé — et Nathalie Perrin-Gilbert (avec ses alliés Verts) essaye à son tour de se servir de cette fête, mais aussi de la nuit comme secteur culturel, pour cliver avec ce gouvernement qui de son côté a mis fin à « la bamboche » pour reprendre l'horrible mot employé par le préfet du Centre-Val de Loire Pierre Pouëssel, sur France 3 en octobre 2020. Gouvernement qui s'est encore fait remarquer en envoyant la police intervenir violemment lors d'une free party à Redon ce week-end — un raveur en a perdu sa main. Bref, l'ambiance n'est pas trop à la Fête et encore moins à la musique, visiblement. Puisqu'en plus, elle tombe un lundi soir, cette satanée fête.
Côté lyonnais, on savait déjà depuis notre article du 2 mars que le Boulevard Électro était annulé : plus de 10 000 personnes les bras en l'air face aux sound-systems, of course, ça ne le faisait pas. Puis on a appris de la bouche de structures organisant traditionnellement une scène en plein air sur appel à projets de la Ville que tout était annulé. Et puis non, Nathalie Perrin-Gilbert nous a expliqué qu'elle aurait lieu et « durerait plus d'un mois ». On croit sans problème que l'organisation de cette Fête a été un calvaire, on a plus de mal à avaler le discours voulant faire de cette édition un grand moment débutant ce soir et s'étalant sur l'été.
Ce sera donc très light, comme Fête de la Musique, dévitalisée, privée de ce qui fait son charme : beaucoup de plein air, de rues et de parcs investis, la possibilité de déambuler d'un endroit à un autre et de s'oublier là où ce n'était pas prévu pour des gens dont c'est l'une des seules sorties musicales de l'année. Là, il faudra faire l'effort d'aller dans les salles habituelles, pour que les jauges soient respectées (et donc avoir réservé en amont sur le site Internet pour certaines), et oublier la déambulation. Car oui, tout ce qui était prévu en extérieur est bel et bien annulé. Et recyclé pour plus tard, en ce qui concerne les appels à projets de la Ville, sur les week-ends de juillet. Mais non, ce ne sera pas la Fête de la Musique pendant plus d'un mois, juste des projets redispatchés ultérieurement dans la cité. Ce qui a un (gros) avantage : des musiciens payés, certains obtenant-là leur premier cachet depuis un an. Et du coup, ça fait une programmation estivale un peu plus fournie. Qui ne nous a pas encore été communiquée.
Mais la Fête de la Musique, c'est le 21 juin. Pas en juillet. On ne fête pas Noël tout janvier — et comme Laurent Martin, encore, l'écrit, cette fête est : « culture de consommation, certes, culture de l'éphémère et du spectaculaire, certes encore, mais tout autant culture de la curiosité, de flânerie et de bon plaisir démocratique, qui substitue au calendrier des saints celui des arts, au cultuel le culturel (...). Une culture qui associe les beaux soucis de démocratisation et de démocratie culturelles, comme dans le cas de la Fête de la Musique où de grands orchestres donnent des concerts gratuits tandis que chaque Français est invité à descendre dans la rue pour pratiquer son instrument. » Ce ne sera pas le cas cette année.
Programmation du 21 juin
- Ninkasi : dans chaque Ninkasi, un concert. Avec par exemple Claire Days et Two Faces à Gerland, Elona Kane à Guillotière ou Brume à OL Vallée.
- Subs : la scène lyonnaise sélectionnée par les toujours très pointus Génération Spontanée, avec dès 18h15 Wugo, puis la pop de Kcidy, Somaticae côté techno et Johnnie Carwash pour le garage rock. Bonne pioche.
- Auditorium : pour un concert gratuit de l'ONL, avec son directeur musical, Nikolaj Szeps-Znaider, qui vont rejouer « les grands tubes du répertoire » — L'Apprenti sorcier de Dukas, la Danse macabre de Saint-Saëns ou encore Roméo et Juliette de Prokofiev. Bon, c'est complet.
- Sonic : C'est annulé. Venin Carmin et Eat Girls devaient jouer sur le quai, avec trois autres groupes, et c'était clairement l'un des meilleurs plans du soir. Mais l'interdiction des concerts sur la voie publique empêche de le faire sur le quai comme prévu.
- Jardins de l'ESPE (Croix-Rousse) : Quatuor Debussy
- Boomrang : soirée 100% rap avec Yank, Perrine et Dehna dès 17h30
- Heat : ne surtout pas louper le concert de Obi, le nigérian qui faisait notre Une à l'automne dernier. Et aussi la chanteuse gabonaise Pamela Badjogo. Puis Pedro Bertho en DJ.
- Food Traboule : invite Jazz à Vienne. Avec James Stewart en DJ et Pamela Badjogo, en concert.
- Hôtel de Ville : une série de concerts diversifiés par le Conservatoire de Lyon, de 16h15 à 22h15, sur réservation
- Bar La Pêcherie : dans le 1er, sound-system techno par le label ULM Records avec Rosarum Rosis, Cali Bee, etc.
- Vaulx-en-Velin : concert du groupe soul The Buttshakers, à l'Esplanade Tase.
À lire sur le sujet :
- Laurent Martin, Vincent Martigny & Emmanuel Wallon, Les Années Lang - une histoire des politiques culturelles 1981-1993 (La Documentation Française)
- Jack Lang, Une révolution culturelle, dits et écrits (Bouquins / Robert Laffont)