Drame / À partir de souvenirs mêlant biculturalisme, déboires d'une agro-entreprise familiale et relation avec une aïeule, Lee Isaac Chung signe un film aussi ouvert que lyrique participant de ce courant cicatriciel touchant le cinéma étasunien. Du rêve américain et de l'invincible espoir...
Arkansas, années 1980. Jacob Yi a convaincu son épouse Monica de quitter la Californie afin de mener de grands projets de culture de légumes coréens pour les expatriés affluant aux États-Unis. En attendant la fortune, ils travaillent comme sexeurs de volailles, au milieu de nulle part. Mais Monica a peur pour leur fils David atteint d'un souffle au cœur. Alors elle invite sa mère Soon-ja...
Recomposition autobiographique de l'enfance du réalisateur dans l'Amérique de Ronald Reagan, Minari est, à l'instar de Nomadland — auquel il disputait les statuettes suprêmes cette année —, une relecture d'un de ces grands mythes étasunien : celui du chercheur d'or persuadé de faire fortune grâce à son obstination et sa confiance inébranlable dans cette land of plenty. Ce grand pays tellement neuf où l'on plante des espoirs et où fleurissent des promesses vite flétries ; où les récoltes attendues s'avèrent amères, et les surprises abondantes... Une terre à l'herbe toujours plus verte ailleurs et qui semble perpétuellement s'ingénier à illustrer la maxime « quand la vie te donne des citrons, fais de la citronnade ». Car évidemment, Jacob ne va pas réussir à engranger (au sens propre) les bénéfices de son labeur...
Des vertes et des pas mûres
Certes, les motifs ne sont pas nouveau : l'aspiration à la néo-ruralité pionnière de Jacob croise en effet les idées fixes des héros de Jean de Florette (1986), Mosquito Coast (1986) et de Captain Fantastic (2016) — même si ces deux derniers, misanthropes, sont dans une démarche sociétale radicalement opposée ! — ; sa soif de conquête rappelle celle de l'ogre de There Will Be Blood (2007) dans une version végétale et poissarde. La famille Yi, accumulant déroutes sur déconvenues dans son projet de la dernière chance, évoque aussi les Joad des Raisins de la colère (1940) comme les Mee de Nouveau départ (2012) ; quant à la relation épineuse puis tendre entre la grand-mère et le petit-fils, elle renvoie au fameux Jiburo (2005).
Lee Isaac Chung fait cependant de cette chronique familiale autre chose qu'un empilement clinique ou tragique de catastrophes : au contraire ce récit de déconstruction culturelle/acculturation/adaptation est-il empli de lumières désamorçant les a priori. À commencer ceux sur les habitants de l'Arkansas : les Yi ne subissent pas le moindre ostracisme, la banque les aide, la communauté religieuse les accueille à bras ouverts dans son église. Même les enfants du patelin ne leur cherchent pas de noises : ils préfèrent se moquer de leur valet de ferme, ancien soldat ayant perdu des boulons en... Corée. En somme, l'étrangeté de ce film vu indifféremment à hauteur d'enfant et d'adulte est que tout va de plus en plus mal et cependant de mieux en mieux ; rien ne doit entacher sa leçon d'optimisme.
Si l'on veut toutefois finir par une note plus sombre, on peut s'amuser à voir dans Minari un pendant intéressant au Burning — la présence de Steven Yeun aux génériques des deux n'y est pas étrangère — ou du moins une hypothétique préquelle où le jeune David, perturbé par son enfance insécure, retournerait en Corée pour devenir le trouble Ben du film de Lee Chang-dong...
Minari
Un film de Lee Isaac Chung (Corée du Sud-G-B, 1h56), avec Steven Yeun, Ye-Ri Han, Alan S. Kim...