Théâtre / Bouleversant, intimidant par tant de sensibilité, "Love" est un immense spectacle de théâtre dans lequel Alexander Zeldin nous convie dans un foyer d'urgence de l'aide sociale britannique.
C'est un fils quadra, tatoué, un peu gros, qui lave les cheveux de sa vieille mère incontinente dans l'évier, avec une casserole et du liquide vaisselle. C'est une gamine qui dit qu'elle a froid, c'est un homme qui s'agace qu'une autre lui ai piqué sa tasse parce qu'il n'a que ça et elle s'excusera de son erreur involontaire, c'est un père qui, faute d'avoir honoré un rendez-vous à l'agence pour l'emploi, voit ses allocations supprimées et l'obligation, en dernier recours, d'aller à la banque alimentaire. Du pathos ? Certainement pas.
Love n'est pas un petit précis illustré de la misère à l'heure du néo-libéralisme, dans un pays qui n'a pas manqué d'être pionnier en la matière sur ce vieux continent européen. L'auteur et metteur en scène britannique de 36 ans, Alexander Zeldin, neveu de l'historien des Passions françaises, ne construit pas des personnages pour donner corps à un propos mais parce qu'il les aime, les estime, il leur rend leur dignité. C'est bien toute l'affaire de ce spectacle créé en 2016, vu en France en 2018 et sans cesse reporté depuis, qui trouve son origine dans la lecture d'un rapport à l'intention d'un important organisme caritatif, Shelter. Point de théâtre documentaire pour autant.
Un air de Walker Evans
Sur le palier d'un local des services sociaux anglais, des occupants attendent un relogement qui tarde. Dans un texte réduit à l'os où même les silences (l'ultime miracle du théâtre en cette rentrée !) existent durant ces 80 minutes, Zeldin fait apparaitre une Soudanaise et un exilé dont il ne traduit pas les quelques mots qu'ils s'adressent — la force de Love tient aussi à ce qui nous échappe. Leurs murmures contrastent avec les éclats de voix et les déclarations d'amour des autres, avec le rire, la colère, la frustration des enfants que Zeldin dirige impeccablement. Tous ont l'âge de leur rôle et sont magistraux.
Il y a sur le plateau un air de Steinbeck, de Walker Evans dont Zeldin se revendique volontiers. Love fait de l'amour un chiendent coriace qui pousse même et surtout entre les caillasses que la société balance sur les plus fragiles. Reste au fond du puits, une lueur d'avenir bouleversante comme celle qui éclaire Vladirmir et Estragon dans Godot.
Love
Aux Célestins du mercredi 6 au dimanche 10 octobre