Arlo Parks au Ninkasi : super grave

Arlo Parks

Ninkasi Gerland

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Soul / Nouvelle pépite néo-soul, Arlo Parks, de passage au Ninkasi Gerland, n'est pas qu'une chanteuse exceptionnelle de 21 ans. Elle est, volontairement ou non, la voix d'une génération Z tracassée.

En termes de communication ou d'écrit journalistique, c'est l'équivalent de la bombe H, dégainée par tous les Oppenheimer de la critique, déclinée en variante : "bombe générationnelle", "phénomène d'une génération". Sous entendu, si vous n'êtes pas à fond, en pâmoison, en PLS, alors c'est que l'âge de vos artères (et de vos oreilles) ne vous permet pas de comprendre, d'attraper au vol l'air du temps qui flotte dans ces mélodies, dans ce timbre duveteux, dans tout ce qui fait basculer la curiosité du moment dans la branchitude. Arlo Parks est un phénomène générationnel, une bombe à fragmenter le zeitgeist et à l'éparpiller façon puzzle. C'est ainsi que s'avancent les communiqués, pliés/dépliés en origami de dithyrambes.

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Pur produit de la génération Z et de la créolisation du monde chère à Édouard Glissant, moins à Éric Zemmour, Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho est, comme un symbole, née en 2000. À Londres. D'ascendance pour moitié nigériane et pour les deux quarts qui restent tchadienne et française. Depuis l'adolescence, elle noircit des carnets de poésie fondus en journaux intimes. Et chante en bidouillant le logiciel domestique Garageband. L'année de ses 18 ans, tout s'accélère de la manière dont notre monde le permet aujourd'hui. Un claquement de doigt : la notoriété.

Arlo Parks publie le single Cola, qui fait immédiatement un tabac, puis deux EP. Le dénommé Super Sad Generation pose les bases de la profession de foi parksienne : relater les tourments des Z. Sur la chanson Sophie, Arlo pousse un cri feutré qui pourtant résonne « I'm just a kid / I suffocate and slip / I hate that we're all sick ». On pensait sa génération insouciante, égarée dans le monde virtuel et caressant des écrans d'un air distrait, elle suffoque, malade, au bord du gouffre.

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Cicatrices

La mayonnaise Parks prend immédiatement. Et pas seulement parce qu'elle a la texture onctueuse d'une soul-folk sucrée juste ce qu'il faut, amère en fond de bouche, pas si éloignée de la formule trip-hop qui nous transportait il y a 25 ans mais pimpée, revisitée, sublimée, par les Top Chefs de la production contemporaine. Plutôt parce que les mots prononcés sont comme les lettres d'amour dans le Blue Velvet de David Lynch, envoyées directement depuis et vers le cœur, métaphore lynchienne de la balle de revolver, létale. Ils font mouche à chaque fois, les mots.

Ici pas d'amours de vacances post-adolescentes ou de déclarations d'intention à la "hors-de-ma-vue", les chansons de la jeune femme puisent dans le quotidien de sa génération : Black Dog sur la dépression d'une amie qui se fait « des yeux à la Robert Smith », Hurt où un adolescent se noie dans l'alcool et la contemplation de Twin Peaks (on revient à Lynch), Cola, déjà évoquée, qui conte une histoire d'amour lesbienne ou Eugene, où la chanteuse voit une amie dont elle est amoureuse emballer un mec. Des chansons sur la quête d'identité, y compris sexuelle, les problèmes de santé mentale, la séparation, les affres adolescentes, l'ennui universel qui traverse cet âge de la vie, depuis au moins le Jeune Werther. Arlo Parks c'est la série Kids dans une jaquette de coton. Ou de barbapapa.

On pourrait parler de soul consciente comme il y a (de moins en moins) du rap conscient. Arlo Parks a ainsi emprunté le titre de son album, Collapsed in sunbeams, à une phrase – « évanouie dans les rayons du soleil » – du roman De la beauté de l'autrice anglaise Zadie Smith, métisse elle aussi, d'une autre génération, la X, mais dont la prose se tisse pareillement d'engagement jamais frontal. Mais comme chez Smith, c'est autre chose que l'engagement qui percute à ce point les auditeurs de son âge – et il faut bien le dire les plus vieux –, avec la même acuité que le fit en son temps le Génération X de Douglas Coupland sur les parents des Z. C'est le caractère consolateur, rassérénant de ce disque. Ces mots murmurés comme un baume sonore – « You're not alone (…) We all have scars » – par une chanteuse qui porte les cicatrices de sa génération. Quasi christique.

Arlo Parks
Au Ninkasi Gerland le jeudi 2 décembre

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