article partenaire
"Le Diable n'existe pas" de Mohammad Rasoulof : quatre morts et une seule vie
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 30 novembre 2021

Photo : © Poyan Behagh / Pyramide Distribution

Le Diable n'existe pas
De Mohammad Rasoulof (Ira, 2h32) avec Ehsan Mirhosseini, Kaveh Ahangar, Alireza Zareparast
Drame / Un film en quatre temps et en crescendo pour montrer la banalité de la peine capitale en Iran, où la mort donnée sur ordres détruit par contrecoup bien des vies. Un conte d’une tragique beauté visuelle, douloureusement bien interprété, comme toujours chez Mohammad Rasoulof. Ours d’Or à Berlin 2020.
Un père de famille, époux et fils attentionné, exerce un métier peu commun ; un militaire cherche à éviter de participer à une exécution capitale ; un autre militaire profite d’une permission pour aller fêter l’anniversaire de sa fiancée ; une jeune femme expatriée débarque en pleine campagne pour faire connaissance avec son oncle malade… sans se douter de ce qu’elle va découvrir. Quatre courts-métrages se déroulant dans l’Iran contemporain, quatre histoires se répondant entre elles, quatre contes liés à la question de la peine de mort…
à lire aussi : L'Aquarium propose une soirée Bis, une vente de DVD et du documentaire
De la contrainte naît la créativité — hélas ! Rasoulof a opté pour ce film en quatre tableaux afin d’éviter d’attirer l’attention sur son travail. Pour qui est familier du court-métrage (et de sa construction “à chute”, sans exécrable jeu de mot), son premier volet se révèle prévisible ; mis en perspective dans la globalité de l’œuvre, il prend une dimension davantage inquiétante contrastant avec son apparente douceur : la peine de mort est cette épée de Damoclès gangrénant le quotidien, menaçant tout le monde, et dont tout un chacun peut être malgré soi complice. Une mécanique bien huilée, conçue par des humains, à laquelle le diable est étranger.
C’est l’ombre ruinant chaque tableau, ternissant moralement la beauté absolue des plans — dans le troisième segment tout particulièrement rappelant Le Cid, où les bois et la campagne exhalent une douce sensualité induisant des frôlements entre les deux fiancés —, pareille aux crânes représentés jadis dans les vanités. La beauté semble se donner à voir en pure perte ; et la jeunesse faire l’ellipse du bonheur pour devenir prématurément vieille, agonisant dans une nature reculée et sèche (au diable vauvert…) dans le quatrième film. Comme si elle était passée à côté de sa vie…
à lire aussi : "La Croisade" avec Louis Garrel au Pathé Bellecour
Requiem pour Anastasie ?
Alors que la censure iranienne n’était pas parvenue à contrarier la réalisation de ce film fatalement critique à l’égard du régime — et d’autant plus attendu qu’il fut récipiendaire de l’Ours d’Or à Berlin en 2020 —, la pandémie l’a obtenu en lui infligeant l’équivalent de plus de dix-huit mois de purgatoire. Une ironie du sort dans laquelle on se gardera bien de lire quelque “justice immanente“, mais posant une fois encore l’énigme du cinéma iranien et de ses cinéastes mis à l’index et/ou incarcérés et/ou interdits de filmer etc., continuant tant bien que mal à produire dans une semi-clandestinité une œuvre où la dimension artistique n’est jamais abolie par la revendication politique, et surtout à la diffuser hors des frontières persanes. Ce qui lui vaut un surcroît d’exposition dans les festivals internationaux, où Panahi et Rasoulof sont — à raison — récompensés, la précarité de leur situation rejaillissant alors sur les autorités iraniennes.
Au même moment, Asghar Farhadi signe des films tout aussi critiques sur les mœurs de son pays (et tout autant reconnus à l’étranger : il est sur le point de récolter son troisième Oscar) mais semble jouir d’une forme d’invulnérabilité médiatique rendant au finale peu lisible la politique censoriale de la république islamique — dont le comité serait, semble-t-il, assez “souple”, ce qui expliquerait pourquoi les ciseaux d’Anastasie se retrouvent si souvent dans ce qui ressemble à une impasse (soit les films défavorables échappent à ses coupes, soit ils ne lui sont même pas soumis). Reste une possibilité : l’Iran laisse à dessein diffuser des films montrant la rigueur de sa société (Pig, Yalda, La Nuit du pardon…) afin de prouver a contrario que l’État n’est pas si répressif que cela. Ce serait machiavélique, voire diabolique ; heureusement, le diable n’existe pas…
★★★★☆ Le Diable n'existe pas
Un film de Mohammad Rasoulof (Ir, 2h32) avec Ehsan Mirhosseini, Shaghayegh Shourian, Kaveh Ahangar…
à lire aussi
derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Cinéma...
Mardi 5 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or Anatomie d’une chute et sans doute favorisé par la grève affectant...
Mardi 29 août 2023 Et voilà quatre films qui sortent cette semaine parmi une quinzaine : N° 10, La Beauté du geste, Alam puis Banel & Adama.
Suivez le guide !
Lundi 12 juin 2023 Parmi les jeunes maîtres du cinéma nippon, Kôji Fukada est en train de se tailler une place de plus en plus importante. Présenté à la dernière Mostra, Love Life est un film sur les liens invisible, l’incommunicabilité, la famille et la résilience....
Mercredi 19 avril 2023 Invité aux Rencontres du Sud pour présenter sa nouvelle comédie avec Charlotte Gainsbourg, "La Vie pour de vrai", Dany Boon évoque les lointaines inspirations qui l’ont aidé à modeler son personnage de candide. Comme son rapport inattendu à Agnès...
Mercredi 30 novembre 2022 Deux lieux atypiques accueillent des projections en ce début décembre. D’abord, la Maison de l’Écologie dans le 7e arrondissement ce jeudi 1er à 20h à (...)
Mercredi 30 novembre 2022 Le Festival du Film Court du Zola ayant servi de warm-up, on ne lâche pas l’affaire et l’on continue avec entrain avec la deuxième édition de Mutoscope, (...)
Jeudi 1 décembre 2022 Le titre un brin lapidaire de la livraison mensuelle du cycle Ciné Collection concocté par les salles du GRAC (“Femmes à la caméra“) ne doit pas susciter (...)
Mercredi 30 novembre 2022 L’un aurait fêté son centenaire, l’autre ses 130 printemps en 2022. Mais tous deux sont d’une étonnante contemporanéité et — curieusement — complémentaires. Ernst Lubitsch et Francesco Rosi finissent l’année à l’Institut Lumière.
Jeudi 6 octobre 2022 Huit ans après "La French", le réalisateur et le comédien se retrouvent pour un film à nouveau tiré d’un fait historique mais beaucoup plus contemporain : les attentats de 2015. Rencontre autour de la conception d’un film sur une tragédie française.
Lundi 5 septembre 2022 Bien qu’il atteigne cette année l’âge de raison avec sa 7e édition, le Festival du film jeune de Lyon demeure fidèle à sa mission en programmant l’émergence des (...)
Lundi 5 septembre 2022 Appelés à retrouver leurs chères études, les écoliers se sentiront-ils moins seuls en sachant que les cinéphiles lyonnais doivent suivre un programme au moins aussi chargé en ce mois de septembre avec moult rencontres et événements dans les salles ?...
Mardi 23 août 2022 Après avoir endossé sur scène le rôle d’Hortense dans La Dégustation d’Ivan Calbérac, Isabelle Carré le reprend avec enthousiasme pour l’adaptation réalisée par l’auteur. L’occasion de converser avec une comédienne toujours impeccable, devenue...
Lundi 5 septembre 2022 Malavida ressort l'un des films phares de la Nouvelle Vague tchèque, dont l'inventivité et la pertinence demeurent totalement d'actualité.
Mercredi 17 août 2022 Et si Forrest Gump portait un turban et dégustait des golgappas plutôt que des chocolats ? L’idée est audacieuse mais aurait mérité que le réalisateur indien de Laal Singh Chaddha se l’approprie davantage. Si l’intrigue réserve forcement peu de...
Mercredi 11 mai 2022 Lauréat début mai du Meilleur premier film de fiction et Meilleur acteur dans un second rôle aux 9e Prix Platino (attribués aux productions du monde ibérique), Karnawal incarne la relève du cinéma latino-américain. Avant de recevoir ses récompenses,...
Mercredi 11 mai 2022 Alors que son film posthume Plus que jamais réalisé par Emily Atef sera présenté dans la section Un certain regard du 75e festival de Cannes, l’Aquarium (...)
Jeudi 12 mai 2022 Tous deux ont porté le Nouvel Hollywood sur les fonts baptismaux, joué (sans avoir de scène en commun) dans le plus célèbre film de mafia/la plus fameuse (...)
Jeudi 12 mai 2022 Et vous, comment vivrez-vous ?, le nouveau long-métrage de Hayao Miyazaki n’étant annoncé que l’année prochaine (une décennie après le dernier), le Pathé Bellecour (...)
Vendredi 13 mai 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 10 mai 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 26 avril 2022 Comédienne chez Denys Arcand (L’Âge des ténèbres) et surtout Xavier Dolan (Les Amours imaginaires, Laurence Anyways), la Québécoise Monia Chokri avait réalisé en 2019 un premier long-métrage remarqué, La Femme de mon frère. Elle est de retour...
Mardi 26 avril 2022 Un très joli conte de printemps s’apprête à sortir sur les écrans : le bien nommé C’est magnifique !, troisième long-métrage du comédien et cinéaste Clovis (...)
Mardi 26 avril 2022 Retour à un calendrier habituel pour le festival Cinémas du Sud concocté par la galerie Regard Sud et accueilli par l’Institut Lumière du mercredi 27 au (...)
Mardi 26 avril 2022 Faut-il une raison pour aller au musée contempler les toiles des Impressionnistes ? Évidemment non. Il en va de même pour les chefs-d’œuvre du cinéma (...)
Mardi 26 avril 2022 Les organisateurs d’On vous ment ont de le sens de l’humour (ou de l’à propos) puisqu’ils ont calé la septième édition de leur festival pile entre la présidentielle et les législatives. Une manière de nous rappeler qu’il ne faut pas tout...
Mardi 26 avril 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 26 avril 2022 Mercredi, jour de sorties en salles : voici notre sélection des films à voir à Lyon cette semaine.
Mardi 26 avril 2022 Orfèvre dans l’art de saisir des ambiances et des climats humains, Mikhaël Hers (Ce sentiment de l’été, Amanda…) en restitue ici simultanément deux profondément singuliers : l’univers de la radio la nuit et l’air du temps des années 1980. Une...
Mercredi 20 avril 2022 Le duo de cinéaste est de retour avec un nouveau documentaire consacré au seul établissement en France ayant intégré une section hip-hop ouverte à tous les profils d’élèves, le lycée Turgot de Paris. Ils ont suivi les élèves de cet enseignement...