Théâtre / Du pari fou d’Enzo Cormann d’écrire 99 pièces de théâtre de 30 minutes, le metteur en scène Philippe Delaigue en porte huit à la scène. Partie 2 et intégrale de cette aventure aussi étonnante que séduisante à La Renaissance, à Oullins.
C’est un compagnonnage long d’une quarantaine d’années qui unit les deux hommes, depuis une rencontre fortuite à Lyon. Ils ont beaucoup travaillé ensemble notamment en tant que directeurs de département à l’ENSATT et aussi sur les planches. En 2014, Philippe Delaigue dirigeait Enzo Cormann dans Hors jeu, un texte de ce dernier relatif à la violence de la société envers les chômeurs. Seul en scène, il dialoguait avec ses interlocuteurs cachés dans de multiples haut-parleurs. Désormais il y a des visages. Depuis 2016, l’auteur s’attelle en effet à l’écriture d’un grand ensemble de textes de chacun 30 minutes, pour trois acteurs de trois générations (25, 45 et 65 ans). Un volume a déjà été publié aux Solitaires Intempestifs, un autre suivra très prochainement.
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Au théâtre, il joue dans sept des huit pièces retenues dans cette somme et semble s’en amuser. Car, avant les propos politiques que véhiculent ses textes, il y a un plaisir indéniable de jouer, à se transformer, s’affranchir des mensonges et des contraintes pour mieux jouir de cet outil qu’est le théâtre et sur lequel Cormann a beaucoup disserté (cf. ses différents ouvrages Ce que seul le théâtre peut dire et À quoi sert le théâtre). Ainsi, dans le premier épisode (quatre textes), il campe un dirigeant d’extrême-droite anti-IVG qui doit faire face à la grossesse de sa fille générée par le viol commis par son fils. Il cherche à construire férocement le storytelling parfait pour devenir le premier président des États-Unis d’Europe ou fait l’expérience de l’épreuve de l’évaluation de son projet artistique devant des tutelles dans un exercice de méta-théâtre franc et énervé.
Certaines des histoires ne se concluent pas
Mais si, comme l’affirme l’un des personnages « le théâtre s’intéresse au désastre et aux âmes en peine », il le fait avec une constante mise à distance, à mille lieues d’un pathos pesant, lorgnant même vers une forme de comédie bienvenue dans N’importe qui. La patronne, rigide et fade, d’une entreprise de transports, bousculée par un jeune ex-taulard aux abois et en quête d’un emploi, opère une culbute quand le même texte est rejoué par les mêmes acteurs dans la peau de personnes aux caractères modifiés.
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Cormann a l’art des ruptures de rythme, voire des suspensions de texte – certaines des histoires ne se concluent pas. Avec ses six acteurs (absolument tous parfaitement habiles à ces jeux-là), Philippe Delaigue orchestre ce maelstrom dans un décor chausse-trappe très adapté à tous ces mouvements avec une fluidité impeccable. Duras, Borgès, Kafka (à qui le titre est emprunté), mais aussi Pierre Dac passent par là – via des incrustations de citations - en toute fraternité.
L’Histoire mondiale de ton âme
Au Théâtre de la Renaissance les mercredi 1er et jeudi 2 décembre (partie 2) ; samedi 4 décembre à 18h (intégrale)