Mercredi 30 novembre 2022 L’un aurait fêté son centenaire, l’autre ses 130 printemps en 2022. Mais tous deux sont d’une étonnante contemporanéité et — curieusement — complémentaires. Ernst Lubitsch et Francesco Rosi finissent l’année à l’Institut Lumière.
Le Netflix Film Club à l'Institut Lumière
Par Vincent Raymond
Publié Mercredi 1 décembre 2021

Photo : © Niko Tavernise / Netflix

Clair-obscur
Institut Lumière
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Écrans / Après de rocambolesques péripéties, l’Institut Lumière accueillera bien du 7 au 14 décembre les neuf films du “Festival Netflix“ et sa pluie de grands auteurs, dans un contexte houleux. Récit du feuilleton qui a tourneboulé les “professionnels de la profession”…
Vendredi 8 octobre 2021, Halle Tony-Garnier, ouverture du 13e Festival Lumière. Ted Sarandos jubile. Le directeur des contenus de Netflix n’a pas fait le déplacement à Lyon pour rien. Sur scène, Thierry Frémaux vient de saluer publiquement sa présence. Plus tôt dans la journée, Sarandos a visité l’école CinéFabrique. À la clef, une rencontre avec les étudiants et l’octroi de bourses, comme à la Fémis, l’école des Gobelins et Kourtrajmé. Avec ses 200 millions d’abonnés dans le monde (dont plus 8 millions sur notre sol), la société qu’il représente peut être généreuse : elle n’a payé en France que 728 033 € d’impôts en 2020, soit 0, 6% de de ses bénéfices estimés.
Seulement, la France demeure un problème pour son modèle de développement, car elle dispose d’un bouclier protégeant l’exploitation et la distribution des films en salles : la chronologie des médias. Une ligne Maginot attaquée de toutes parts, traversées parfois à la faveur d’exceptions dérogatoires (notamment durant la pandémie), mais qui tient encore bon. Une frontière délimitant, dans son pays de naissance, l’exception du spectacle cinématographique du flux vidéo. Cette prééminence de la salle sur le petit écran avait conduit le conseil d’administration du Festival de Cannes à décider que les films de la compétition devraient sortir en salle, après le tollé suscité par la sélection de Okja et The Meyerowitz Stories en 2017 du côté des exploitants — Netflix prévoyant de ne rien changer à sa stratégie de streaming immédiat.
« C’est une règle qui se respecte, avait dit Thierry Frémaux l’année suivante à Lyon. Je trouve normal que la fédération des exploitants [la FNCF — La Fédération Nationale des Cinémas Français, NdlR] proteste contre ça, mais le sélectionneur que je suis doit faire son travail. » Fin 2017, ledit sélectionneur ne pouvait retenir Roma d’Alfonso Cuarón (acquis par Netflix) et se trouve « pénalisé par rapport à Alberto Barbera, qui lui a récupéré le film à Venise et le Lion d’Or ». À la veille du Festival Lumière 2018, Thierry Frémaux observait, pragmatique : « il est en train de se passer un truc extrêmement important (…) : pour la première fois, le cinéma est attaqué sur ses supports. Bien sûr qu’il y a eu la télévision, mais là c’est autre chose. Une “œuvre de cinéma”, c’est l’œuvre qui sortait en salles, c’est ça qui marquait le territoire. Aujourd’hui, c’est plus flou, le territoire ».
Mais pour Netflix, le Festival Lumière est un autre terrain où il vient depuis 2017 dans les salles (et la projection de Five Came Back de Laurent Bourreau). Un lieu neutre pour discuter, également. « Le contact n’est jamais rompu avec Netflix, expliquait Thierry Frémaux en 2018. Mon travail, c’est de continuer à ce que leur désir de venir à Cannes soit toujours aussi fort. Parce que c’est eux qui financent le cinéma mondial ».
Oui, non et puis oui quand même
Trois ans et une pandémie plus tard, Lumière 2021. Est-ce pendant ce festival que sont finalisés les contours du “Netflix Film Club” — une sélection d’avant-premières de prestige de la plateforme dans des salles art et essai courant décembre ? À peine dix jours après la remise du Prix Lumière à Jane Campion, des syndicats de distributeurs (le DIRE et le SDI) montent au créneau pour en dénoncer le principe avant même son officialisation, rejoints le 27 octobre par une foule d’organisations professionnelles dont l’AFCAE (Association Française des Cinémas Art et Essai) qui s’élève contre la tenue de l’événement auquel les réseaux MK2, Utopia, les cinémas Lumière de Lyon, le Méliès de Saint-Étienne et la Cinémathèque française semblent vouloir participer.
Coup de théâtre le lendemain : seuls l’Institut Lumière et la Cinémathèque diffuseront les films Netflix — deux lieux symboliques du cinéma qui plus est, ce qui ne calme pas les opposants. Mais si la Cinémathèque (qui a par ailleurs noué un partenariat avec Netflix pour la restauration du Napoléon de Gance) annonce rapidement son programme, l’Institut Lumière le divulgue le 26 novembre seulement : « vu les réactions, Netflix nous a demandé d’attendre. Nous avons plus de souplesse que la Cinémathèque (…) De fait, on a lu dans la presse des choses très fantaisistes » nous explique Maelle Arnaud, responsable de la programmation Rue du Premier-Film qui insiste par ailleurs sur l’indépendance de l'Institut Lumière vis-à-vis de la plateforme : « l’Institut Lumière ne bénéficie de rien de Netflix. Il travaille avec tous ceux qui proposent des films, toujours curieux d'œuvres qui ne sortent pas en salles, quand notre credo est le grand écran. Nous sommes même là pour ça. (…) Nous n’aurions pas accueilli cette programmation dans nos cinémas Lumière, car il faut défendre les films qui sortent, mais l’Institut est le lieu adapté pour cela. »
D’autres exploitants auraient aimé toutefois l'accompagner. Dont Sylvain Pichon, programmateur au Méliès de Saint-Étienne, qui ne cache pas son amertume : « ce projet s’est arrêté tout seul, au moment où tout le monde a commencé à s’agacer, avant même que je voie les films. On voulait diffuser ceux de Sorrentino, de Jane Campion, d’Adam McKay sur grand écran, qu’ils soient Netflix ou pas. Parce que c’est notre boulot de les partager avec les spectateurs dans NOS salles. Je suis choqué et malheureux que les distributeurs, avec qui on travaille toute l’année, soient allés se plaindre sans nous consulter et stigmatisent les salles. À mon avis, c’est totalement contre-productif. Alors oui, je comprends qu’il faut que ces grosses boîtes paient des impôts en France et participent au système français ; je comprends les angoisses des distributeurs, mais c’est nous qui choisissons ce que nous mettons dans nos salles. Et si leurs films sont moins bons que ceux de Netflix, qu’ils se remettent en question. »
Au finale, qui sera le grand gagnant ? Pour Maelle Arnaud, sans nul doute « La salle de cinéma. Netflix exprime un désir de grand écran, nous prenons. Ces films-là, comme le Scorsese ou le Cuarón que nous avons montrés, seront magnifiés par des conditions de projection qu’un poste de télévision n’offre pas. »
Les films
— Clair-obscur de Rebecca Hall le mardi 7 à 20h30
—The Guilty d’Antoine Fuqua le mercredi 8 à 18h30
— Malcolm & Mary de Sam Levinson le jeudi 9 à 20h30
— La Main de Dieu de Paolo Sorrentino le vendredi 10 à 18h30
— Pieces of a Woman de Kornél Mundruczó le vendredi 10 à 21h
— The Harder They Fall de Jeymes Samuel le samedi 11 à 15h
— The Power of the Dog de Jane Campion le samedi 11 à 21h
— The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal le dimanche 12 à 18h45
— Don’t Look Up : Déni cosmique d’Adam McKay le mardi 14 à 20h45
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