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Opéra de Lyon : l'ancien directeur dépensier et les tutelles absentes

Politique Culturelle / Ce rapport était attendu. Une partie de la ville bruissait de rumeurs à son sujet, suite aux révélations de Médiacités, qui avait dévoilé en mai 2017 les largesses que s'octroyait Serge Dorny, alors directeur, avec ses notes de frais. Il est arrivé, il fait 78 pages et sans surprise, il est cinglant : nous parlons du rapport d'observations de la Chambre Régionale des Comptes concernant le fonctionnement de l'Opéra National de Lyon et couvrant la période allant de 2010 à 2019.

Élu “Meilleure Maison d'Opéra de l'année 2017" deux jours avant les révélations de Médiacités, l'Opéra de Lyon doit beaucoup à Serge Dorny : une reconnaissance mondiale, des créations acclamées — y compris avec des personnalités non issues du sérail que l'ancien directeur aimait convaincre, tels Régis Debray en 2016 ou Wajdi Mouawad —, un public qui s'est diversifié largement au-delà des idées reçues et plus si élitiste qu'autrefois, et bien sûr cet Opéra Underground d'abord confié à Oliver Conan puis à Richard Robert pour servir de laboratoire aux musiques de traverse et ramener de la jeunesse dans ces murs reconstruits post-incendie en 1831 par Antoine-Marie Chenavard et Jean-Marie Pollet avant d'être pimpés par Jean Nouvel entre 1989 et 1993. Dès l'introduction, les juges insistent sur ces réussites en termes d'artistique et de fréquentation : « par la recherche de la diversité sur le plan artistique et par la qualité de ses productions, l’Opéra de Lyon a acquis une reconnaissance indéniable auprès du public, mais aussi de ses pairs, sur le plan national et international. Au-delà du respect des engagements pris avec les financeurs afin de rendre la scène lyrique accessible au plus grand nombre, la diversité des publics, celle des répertoires et des créations, les orientations stratégiques du directeur général ont concouru au développement d’une identité propre et de choix artistiques reconnus. La réalisation des objectifs chiffrés va au-delà de ce qui est prévu dans les conventions, à l’exception notable d’une diffusion des œuvres sur le territoire régional qui gagnerait à être renforcée. » Mais à quel prix ?

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La Chambre Régionale des Comptes pointe les coûts engendrés par le train de vie d'un directeur devenu tout puissant et n'ayant pas bénéficié des garde-fous nécessaires — on va y revenir. Et ceci, alors que Serge Dorny (aujourd'hui directeur de l'Opéra National de Bavière) insistait auprès de ses équipes pour qu'elles se serrent la ceinture : une partie des salariés et salariées avaient vivement réagi en 2017 en dénonçant le fait que leur chef ne montrait pas l'exemple.

Ces frais qui font jaser

« La justification des frais engagés par le directeur général fait l’objet d’une vérification régulière par le trésorier seulement depuis 2018 » est-il ainsi noté, soit l'année suivant les révélations de Médiacités, qui ont déclenché pour la première fois une attention sur ce sujet de la part des tutelles finançant à hauteur de 78% le budget de 38, 3 M€ de l'Opéra en 2019. Il n'existait auparavant aucun réel contrôle ni surtout de « politique de voyages et déplacements adoptée officiellement, mais seulement des "règles implicites" ». Parmi ces règles implicites, « l’association prévoyait des remboursements de notes de restaurant "en fonction de l’invité", limités à 50€, 70€ ou 90€, l’audit met en évidence 40 repas supérieurs au plafond (dont quatre supérieurs à 165€ par personne), sur les 203 repas pris en charge par l’opéra en 2014 (directeur général et invités compris). (...) Ont été en outre remboursés des dépenses très variées : consommations diverses, presse et livres "avec parfois un lien avec l’Opéra difficile à établir". » Si l'abus est manifeste, pour qui fréquente ces milieux, il ne paraît pas non plus complètement farfelu qu'un directeur d'une structure internationale invite un grand mécène ou une soprano star dans un restaurant plus huppé : la concurrence avec les autres opéras est rude et ces petites attentions font la différence. Les notes de taxis, exorbitantes, et les nuitées dans des hôtels de luxe sont aussi justement épinglées. Les frais de déplacement se sont élevés, à leur summum en 2014, à... 156 312€ ! Avant de revenir à un montant plus raisonnable dès les révélations publiées, descendant jusqu'à 62 375€ en 2019. Il a donc fallu qu'un média pointe ces dérives au sein d'une structure pourtant déjà fragile financièrement pour que les autorités de tutelle, Ville de Lyon en premier lieu mais aussi Région, État et Métropole s'emparent du sujet.

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Le rapport le pointe : « dans la mesure où la nature de ces dépenses n’a jamais été cachée mais au contraire systématiquement justifiée, sans que les administrateurs y prêtent véritablement attention, ces remboursements ne vont toutefois à l’encontre d’aucune règle interne qu’il revenait d’ailleurs aux administrateurs d’établir. Ces derniers ne disposaient donc pas d’un document de référence qui leur aurait permis de contester, malgré les justificatifs présentés, le remboursement de certains frais. » Serge Dorny, dont le salaire annuel était de 291 000€, a peut-être profité de la situation, mais il n'est pas le seul responsable. Où étaient passées les tutelles ?

Les juges expliquent — alors que chaque assemblée générale ordinaire de l'association est précédée d’une réunion du conseil d’administration et d'une du comité de suivi —, que « pour toute la période sous revue, aucune des réunions de trois instances ne s’est tenue en présence de tous les membres qui les composent. (...) En moyenne, trois membres du conseil d’administration sur dix et neuf membres de l’assemblée générale sur 19 donnent pouvoir ou sont absents ou excusés. Au moins un des deux représentants de la région n’a pas assisté à 17 des 19 réunions de l’assemblée générale. Cette proportion est en moyenne de deux membres sur trois pour l’État, trois membres sur sept pour la Ville de Lyon. (...) Cet absentéisme marqué n’empêche pas d’atteindre le quorum nécessaire à la tenue des réunions grâce aux pouvoirs que les membres peuvent attribuer pour se faire représenter. » Le rapport indique qu'en l'absence d'un conseil d'administration jouant son rôle, c'est Serge Dorny qui le fait : « le conseil d’administration exerce insuffisamment ses pouvoirs de direction et de décision, qui le sont de fait par le directeur général. » La responsabilité de la Ville de Lyon, alors dirigée par Gérard Collomb, n'est pas engagée seulement pour ces notes de frais.

Illégal depuis 1993

La chambre Régionale des Comptes pointe ainsi les nombreux personnels mis à disposition de l'Opéra par la Ville : « comme l’opéra est une association, ces mises à disposition sont en toute hypothèse proscrites. Aucune convention entre la commune et l’opéra ne saurait faire écran à l’application de la loi. L’association ne remet pas en cause ces constats, et précise que "la situation de la mise à disposition des contractuels a été plusieurs fois évoquée dans les discussions entre l’Opéra et ses partenaires publics, et tout particulièrement avec la Ville de Lyon". La situation des non-titulaires mis à disposition de l’opéra est donc illégale depuis 1993 alors même que ces derniers (...) représentent 70 à 73 % de l’effectif mis à disposition. Dans sa réponse aux observations provisoires de la chambre, le maire de Lyon a reconnu que "la ville ne pouvait plus continuer (...) à s’appuyer sur une convention de 1993 pour réglementer une partie importante de sa relation avec une association". »

Autre problème important pointé par la Chambre : « la commune se comporte en fait, comme si l’association était une régie municipale dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière. (...) Au-delà du risque juridique encouru, la gestion par une association de droit privé, créée à l’initiative de la ville de Lyon, d’un service public culturel pérenne de première importance, dont les membres sont publics, le financement assuré quasi-exclusivement sur fonds publics, et qui emploie 70% d’agents publics mis irrégulièrement à disposition, ne saurait perdurer et doit retrouver rapidement un cadre de gestion publique adapté. L’adoption de ce nouveau cadre est d’autant plus urgente que la sécurité juridique des financements publics n’est pas totalement assurée. » Rappelons qu'à l'initiative de Nathalie Perrin-Gilbert, le nouvel exécutif a retiré 500 000€ de subvention à l'Opéra cette année. Les juges concluent ainsi : « les nombreux risques juridiques et financiers qui caractérisent la gestion de ce service public culturel par une association doivent conduire à revoir sa forme juridique et à étudier notamment la possibilité d’une transformation en un établissement public de coopération culturelle (EPCC). » Richard Brunel, tout nouveau directeur de l'Opéra depuis septembre, aurait sans doute apprécié une prise de fonction plus tranquille.

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