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Récit : quand une compagnie venue du Chili affronte les tourments de la crise sanitaire pour jouer en France

Théâtre / Fin octobre, le festival Sens Interdits a mis le Chili sous nos pieds, celui de la communauté mapuche que la metteuse en scène Paula Gonzalez Seguel défend ardemment. Mais relier ces deux bouts de monde en pleine crise sanitaire n’a pas été une sinécure. Récit d’aventures.

Le 19 décembre, les Chiliens voteront pour leur deuxième tour d’élection. Ils auront le choix entre un homme de gauche, Gabriel Boric, et José Antonio Kast, candidat d’extrême-droite, admirateur de Pinochet, arrivé en tête au premier tour. Paula Gonzalez Seguel ira aux urnes, comme les membres de sa troupe. La metteuse en scène, autrice et militante vient d’achever une tournée française avec son spectacle magnifique, Trewa, État-Nation où le spectre de la trahison, assorti parfois d’un concert avec le groupe Ul Kimvn, "un chant pour la sagesse" à tomber à la renverse de douceur et de cris (au sens figuré). Ce parcours a été initié par le festival Sens interdits et son directeur-fondateur, Patrick Penot.

Trewa ce sont dix acteurs sur le plateau et une flopée de musiciens pour dire, sur plusieurs générations, ce qu’a été le supplice de la communauté mapuche, peuple autochtone chilien dont les terres ont été colonisées à la fin du XIXe siècle. Depuis lors, ses membres ont cherché à faire respecter leurs biens. Malgré le soutien d’organisations telles que l’ONU ou Amnesty International, le pouvoir politique les a méprisé et martyrisé. Sous Pinochet et maintenant également. Le travail sur Trewa a été initié à la suite de la mort d’une étudiante, Macarena Valdès, sous les coups de la police en 2008, pour avoir défendu son territoire. On y voit son enfant – joué par un môme si juste – et seul témoin de sa mort.

Épopée théâtrale

La metteuse en scène épouse différents pans de son histoire comme elle l’avait fait de manière plus parcellaire et plus modeste avec Ni pu tremen, dans lequel des grands-mères racontaient leurs traditions en faisant des gestes du quotidien (tisser, préparer des légumes, faire le thé…). Paula Gonzalez Seguel a les épaules pour prendre de l’ampleur à l’image de ce décor imposant d’une maisonnée de bois à cour et d’une toile qui reçoit des projections de vidéos pour rendre compte de la beauté des paysages sauvages, à jardin. Trop cher de déplacer tout cela ? Les ateliers de décor du TNP à Villeurbanne l’ont donc reconstruit pour la tournée européenne. Car c’est une aventure collective que de faire place à ce « besoin de faire mémoire et de rendre justice » comme le dit l’un des adolescents de la troupe. En produisant du théâtre, toujours. Il ne s’agit pas d’aligner des témoignages mais d’inventer un récit épais et profond à propos de ce sujet documentaire.

C’est à Château-Arnoux-Saint-Aubin (Alpes de Haute-Provence) que la tournée avait commencée le 20 octobre, devant une salle comble et debout. Au total, huit dates dans huit villes (Château-Arnoux-Saint-Aubin, Vitry-sur-Seine, Villeurbanne, Décines — le Toboggan a accueilli le concert qui a clos Sens interdits — Narbonne, Foix, Bayonne, Sète) et cinq concerts. Avec le Covid qui s’est invité à mi-parcours.

Il a fallu réinventer le spectacle après un premier cas détecté sur le grand-père le 12 novembre, suite aux tests réguliers, à quelques heures d’entrer en scène à Foix avec ceux qui n’étaient pas cas contact pour une sorte de lecture documentée. Pour la suite, Paula Gonzalez Seguel a décidé de répartir le rôle du grand-père entre des acteurs présents. C’est cela qui s’écrit en plus du spectacle. Ce sont aussi des coûts supplémentaires dans une économie tendue. Il a fallu isoler ce vieil acteur septuagénaire dans un petit chalet au-dessus de Foix, du 12 novembre au 2 décembre, avec des repas livrés. L’ennui, la peur se sont invités dans ce grand déplacement.

Isolement

Six jours plus tard, un deuxième cas positif se déclare avec une chanteuse et comédienne. Rebelote. S’en est suivi la multiplication de changements de billets d’avion pour accompagner celles et ceux qui étaient forcés de rester à l’isolement en France. Les derniers membre de la troupe ont pu décoller le 4 décembre, deux semaines après leur dernière prestation... Au total, ce sont 20 000€ de frais supplémentaires que doivent se répartir les lieux d’accueil.

Ce spectacle n’est bien évidemment pas le seul à pâtir de la situation sanitaire ragaillardie par l’hiver ; mais ces pérégrinations pointent l’énergie dépensée par les équipes co-productrice et celle des artistes pour que cette création puisse être vue dans de petites villes, par un large public, qui soudainement peut se rapprocher d’une terre si lointaine. Avec une opiniâtreté qui force le respect.

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