Au TNP, conflits de loyauté dans le viseur de Tiphaine Raffier

La réponse des Hommes

TNP - Théâtre National Populaire

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Théâtre / Talentueuse, maitrisant parfaitement l’exécution d’un spectacle choral et complet, Tiphaine Raffier a eu cette étrange idée d’adapter les œuvres de miséricorde pour aborder les maux du monde. Réussi et sage.

Au TNP, Dieu plane en cette nouvelle année : dans Le Jeu des ombres de Jean Bellorini et dans cette Réponse des Hommes de Tiphaine Raffier, artiste associée au théâtre qui signe là son quatrième spectacle, après avoir passé quelques années comme comédienne dans la compagnie de Julien Gosselin. À chaque fois, ce fantôme encombre car l’une et l’autre de ces pièces sont, par ailleurs, suffisamment pensées, charpentées et maitrisées pour s’en détacher. La Réponse des Hommes ne fait pas d’apologie chrétienne — les recommandations positives de l’Évangile selon Matthieu sont simplement le marchepied pour embrasser les questionnements existentiels de l’humain.

Tiphaine Raffier porte, en un peu plus de trois heures et deux chapitres, neuf des quinze œuvres que les croyants se doivent de réaliser : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, visiter les prisonniers, ensevelir les morts, enseigner aux ignorants… Avec ses dix acteurs, tous impeccables et parfaitement en harmonie collective et l’ensemble de musique Miroirs étendus, elle fait preuve d’un talent indéniable à orchestrer ce ballet classique et métal où des éléments de narration rebondissent d’une scène à l’autre ; comme avec ce foulard de soie reçu en cadeau lors du récit d’un Noël familial sous haute tension, qui échoie à un conférencier musicologue, plus tard.

L’écriture est habile, précise et totalement fluide pour permettre ce genre d’échos sans qu’ils n’alourdissent le propos. Au cœur de cette dialectique de la bonté et la compassion, elle sait aussi fabriquer des moments de légèreté suspendue comme cette danse sur Fred Astaire d’un homme sous dialyse, au corps empêché. Jamais, Raffier n’aborde ces faits sous le prisme d’une actualité. Même quand elle traite de l’arrivée de migrants – un médecin syrien –, elle ne les associe pas à un fait clairement identifiable et daté, offrant à ces préceptes bibliques une atemporalité qui conforte leur source puisée dans le sacré.

Confessions

Comme Krzysztof Kieslowski, dont elle dit volontiers que Le Décalogue l’a inspirée, ce qui intéresse l’autrice et metteuse en scène trentenaire est de placer le spectateur face aux conflits de loyauté : peut-on renoncer à nourrir son nouveau-né et s’investir dans une ONG du Programme alimentaire mondial ? Combien d’hommes peut-on sacrifier pour sauver femmes et enfants ? Doit-on soigner tous les malades y compris les criminels ? La réponse des Hommes n’est évidemment pas univoque et Tiphaine Raffier, par sa galerie de personnages (prisonnier, militaire, prof, médecin, avocat commis d’office…), brosse un échantillon de l’humanité convaincant.

Toutes les pièces de son ample puzzle sont en place. Pourtant quelque chose résiste dans ce décor immaculé et vierge, seulement doté d’un mur en fond de scène, réceptacle des images filmées en direct au plateau. L’art filmique est justement dosé, les scènes chorales sont enthousiasmantes, mais ce trop-plein de sujets conduit à la frustration de ne pas les voir traités plus politiquement. Sont exposés la détérioration de l’hôpital (notamment psychiatrique), la situation des militaires au Mali, le cyberharcèlement, la pédophilie, et même le nécessaire combat écologiste via, dans un final apocalyptique qui se clôt de façon très cut et juste (le décor mange et étouffe les comédiens), un groupe d’activistes qui aura annoncé, en filigrane, la fin irrémédiable du monde.

Constamment en mouvement, La Réponse des Hommes séduit dans sa forme autant qu’il laisse à la lisière les problématiques de fond qu’il soulève. Tout en abondant avec vigueur et conviction à cette quinzième œuvre de La Miséricorde proposée en 2016 par le pape François : sauvegarder la création.

La Réponse des Hommes
Au TNP du jeudi 3 au samedi 12 février

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