Lecture / La Bibliothèque Municipale de Lyon, équipement culturel le plus fréquenté de la Ville, connait une sérieuse désaffection de ses visiteurs que son directeur estime en grande partie due à l'obligation « incohérente » du pass vaccinal, qui exclut les plus précaires. Explications.
Les chiffres sont sans appel. Par rapport à la dernière année de référence (2019), la fréquentation du réseau des seize bibliothèques de Lyon a baissé de 48%, passant de 2, 6 millions à 1, 4 million. Les prêts se portent un peu mieux, subissant une baisse de 20%. Le nombre d’abonnés (130 000 en 2019 soit 20% de la population de la ville) a fléchi dans la même proportion. Inquiet, le directeur Nicolas Galaud replace ces chiffres au niveau national : cette baisse est observée partout en France qui compte 16 000 bibliothèques, au point que le ministère de la Culture va réaliser une enquête flash à ce sujet dans les prochaines semaines. De toute évidence, la crise sanitaire « nous a plus impactés encore que les théâtres ou les cinémas » constate-il.
Les petites bibliothèques, « celles auxquelles on accède sans prendre les transports » (Duguesclin, Point du jour, Guillotière), pâtissent moins de la baisse de fréquentation que les trois plus grandes (Bachut, Vaise et La Part-Dieu) qui ont perdu plus de 50% de leurs visiteurs. Ce sont les antennes les plus "traditionnelles" qui attirent (prêt de livres, DVD, magazines…), a contrario des plus récentes (Gerland, Lacassagne) axées sur une grande diversité de services, sur l’accès à des jeux de société ou des jeux vidéo. « Ce n’est pas leur modèle qui est en cause car elles étaient plus visitées qu'on ne l'envisageait à leur création, avant la crise. » Probablement subissent-elles « l’évolution des pratiques culturelles qui voient l’accès aux plateformes se généraliser » sans toutefois que l’appétit pour les DVD ne s’amoindrisse – « ils sont toujours très demandés. »
Rôles multiples
Une bibliothèque, ce n’est pas que cet usage du prêt : « elle a d’autres missions que la culture. Elle a aussi un rôle social, éducatif et d’information, avec l'accès à la presse qui a un rôle non négligeable pour contrer les fake news. » Bien sûr, les activités culturelles, les ateliers ont été mis sur la touche durant de longs mois, même si les bibliothèques étaient les seuls lieux culturels ouverts début 2021. Le problème est que ceux qui ne reviennent plus « sont les plus précaires et ils vont être très durs à reconquérir ». Pour preuve les abonnements (gratuits) pour les titulaires de minima sociaux ont baissé de 24% entre 2019 et 2021 ; la formule "connexion" permettant de se servir des postes informatiques pour Internet ou la bureautique, a perdu 64% de ses abonnés !
Durant plusieurs semaines, la BML a réclamé, avec d’autres au niveau national, que le pass sanitaire ne soit plus un pré-requis pour accéder aux bibliothèques : « hélas nous n’avons pas été entendu ». Or c’est le seul établissement culturel qui jusque-là permettait un accès « inconditionnel aux locaux ». C’est rompu et « c’est une incohérence, tonne Nicolas Gallaud : les bibliothèques universitaires sont exemptées de pass, le centre commercial voisin de la Part-Dieu qui accueille 100 000 clients par jour ne le requiert pas non plus. »
Alors pourquoi le réclamer aux 2 000 à 3 000 visiteurs quotidiens (5 000 avant la crise) de la BM centrale ? Le directeur l’accepte d’autant moins qu’en décembre une loi réaffirmant les multiples missions et l’accès libre des bibliothèques a été adoptée par l’Assemblée Nationale. Sur le terrain, ce n’est pas le cas. C’est alors aux collectivités locales d’épauler la BM : un plan d’action sera voté à l’occasion du nouveau projet d’établissement présenté au conseil municipal en mai prochain. Les horaires et la tarification seront notamment étudiés. Mais il est sûr, pour Nicolas Galaud, « qu’il faudra des années pour retrouver un fonctionnement normal ».