Mardi 15 février 2022 Indispensables
★★★★☆ Sous le ciel de Koutaïssi
Dans la ville géorgienne de Koutaïssi, Giorgi et Lisa se (...)
François Favrat : « un mélange entre la France de De Gaulle et les oubliés de la République »
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 15 février 2022
Photo : © Wild Bunch Distribution
Compagnons / Compagnons use de la fiction pour mettre en lumière les métiers de l'artisanat, mais aussi les rites et coutumes de transmission propres à ces communautés d'apprentissage et de métiers si mal connues. Et que le réalisateur François Favrat a découvertes pour l'occasion. Conversation à l'occasion du festival de Sarlat.
Quel hasard vous a conduit à traiter de ce sujet ?
François Favrat : Romain Brémond et Daniel Preljocaj de Soyouz Film m'ont fait lire un synopsis court d'une histoire qui se passait dans l'univers des Compagnons, que je ne connaissais pas du tout — j'en avais juste entendu parler. Je suis allé rencontrer des compagnons à l'Hôtel de Ville de Paris ; j'ai fait ensuite La Rochelle, Angers et Nantes. Nantes correspondait pas mal en termes de décors à ce que je cherchais. L'autre chose que je ne connaissais pas, c'était la vie de banlieue. J'ai passé pas mal de temps dans la cité de Bellevue à Nantes où on a tourné l'intégralité du film avec beaucoup d'acteurs et de figurants de là-bas. Notamment la sœur et la maman de Nadjaa dans le film, qu'on a castées sur place. De la même manière, il y a pas mal de jeunes Compagnons, que j'ai pris pour leur maîtrise des gestes techniques et leur façon d'être en général. Pareil pour le jeune Prévôt, qui dirige l'établissement : c'est Kévin, le Prévôt de la Maison de Nantes, qui est tailleur de pierre : je trouvais qu'il avait un truc d'acteur, il joue son propre rôle.
Vous avez signé Le Rôle de sa vie qui se passait dans le milieu des comédiens, La Sainte Victoire dans le monde politique et maintenant Compagnons. Qu'est-ce qui vous intéresse autant dans ces univers clos, ces cercles fermées et codifiés ?
Je n'y avais pas pensé — pour vous dire à quel point, quand on travaille, ce qu'on fabrique nous échappe. Mais c'est vrai. Je n'ai pas la réponse, parce que je n'y ai pas réfléchi. En revanche, les Compagnons et les jeunes, j'avais envie d'en montrer une image différente d'une banlieue dangereuse où on ne peut pas pénétrer, parce que ce n'est pas du tout cela que j'ai vu. Le quotidien de ces jeunes, il est très dur, ils sont très créatifs, très avenants et ça s'est super bien passé avec nous. Quand on leur a dit qu'on les prenait dans le film, j'avais envie de pleurer : ils étaient super émus. Quant aux Compagnons, j'ai été fasciné par la transmission du savoir, l'attention portée aux jeunes. C'était bien restitué via le personnage d'Agnès Jaoui qui remarque que Naëlle a quelque chose qu'il ne faut pas gâcher et qu'il faut tout faire pour préserver cette richesse. On m'a dit que c'était un mélange entre la France de De Gaulle et les oubliés de la République.
L'idée de passer du tag aux vitraux est venue assez tôt
Comment avez-vous choisi la discipline dans laquelle Naëlle aurait à s'épanouir ? Pour des raisons visuelles ?
L'idée de passer du tag aux vitraux est venue assez tôt. J'ai travaillé avec une fille qui venait du tag, on a dessiné, dessiné, dessiné pour trouver un style qui pouvait devenir un vitrail. Quand j'étais jeune dans la Drôme, j'avais des copains qui s'appelaient les Thomas qui ont un atelier de vitraux à Valence — ils ont depuis récupéré la boîte du père. Les vitraux, ça m'a toujours paru très beau. Dans la première version, elle était ébéniste et à la fin, elle faisait une table. C'était bien, mais j'avais du mal à rendre visuellement l'excellence du travail, la lumière qui passe, etc. J'avais une obsession à cause de ma table en bois : je ne voulais pas avoir l'effet docu France 3, travail manuel, qui peut être super déprimant. D'où les plans sous le verre, l'idée de le filmer en macro... Je voulais composer et qu'on sente le plaisir et la découverte dans le geste. Qu'il doit devenir parfait au fur et à mesure. Comme dit le personnage de Pio Marmaï : « c'est le travail d'une vie » — c'est vraiment une phrase de Compagnon. Il y a une telle humilité dans leur travail ! Passé le cap du début quand elle débarque et qu'elle les entend chanter, elle rentre dans un truc où les gens restent.
Vous montrez ce qu'il y a de positif chez les Compagnons, qu'ils permettent une émancipation des talents, mais aussi qu'ils peuvent présenter un côté un peu vitrifié, notamment une part de misogynie ou d'archaïsme...
Le débat sur la présence des femmes, bon, ils sont au courant puisque chez les Compagnons du Devoir, elles y sont depuis 2004. Quant à l'Union compagnonnique (qui sont des gens formidables), elles sont arrivées au moment où on a commencé à parler du tournage — du coup, un jour, il m'ont rappelé en disant : « ça y est, on a voté ! ». Donc je me suis servi de cette matière sur le personnage de Pio. Mais si vous connaissez les chantiers, c'est masculin à plus de 90%, ça le reste encore même si c'est en train d'évoluer et ça m'amusait d'avoir un personnage un peu bougon, un peu misogyne qui a presque peur d'elle.
Il y a aussi des réflexions d'atelier, des allusions diffuses, qui sont assez représentatives de la société...
Oui. Je fais du sport et c'est encore largement comme ça ; sur un chantier, ça reste largement comme ça. C'est bien : c'est en train de changer. Et chez les Compagnons, on a vu plein de filles super : charpentières, ferronnières, tailleuses de pierre... On sent qu'elles prennent une place. Il m'est arrivé d'en discuter avec des jeunes, d'ouvrir le débat sur la place des filles et qu'un tout jeune mec me dise : « non, y a pas de problème, mais ce ne sera plus comme avant. Il va falloir faire une aile pour elles et l'ambiance ne sera plus pareille. » Paradoxalement, les anciens sont plutôt pour réformer les choses. Ils sont ouverts au changement.
Quel a été leur retour sur votre film ?
La misogynie sur le papier... J'ai eu deux-trois remarques mais quand ils ont vu le film, franchement, ils se sont marrés. Ils ont vu que ça correspondait au réel. Donc il y a eu une jolie réception de leur part : ils ont accompagné la tournée en province du film dans les différentes villes où il y a des maisons importantes de Compagnons, pour faire ça ensemble.
Le film est dédié à Jean-Louis. Qui est-il ?
C'est l'un des Compagnons les plus âgés, que l'on voit avec une belle chevelure, et qui parle à un moment en breton quand Najaa et Adama sont en commission. Il est mort très peu de temps après le film et sa disparition m'avait particulièrement touché.
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Mercredi 31 janvier 2024 Autour d’un entretien impossible avec Salvador Dalí, un labyrinthe surréaliste hilarant et fascinant dans lequel on rêve de se perdre à l’infini. Du pur Quentin Dupieux. Mais c’est quoi du pur Quentin Dupieux ? Tentative de réponse en trois temps.
Mercredi 2 août 2023 Divine surprise du cœur de l’été, le nouveau Dupieux vient chambouler le cinéma, le théâtre et surtout les consciences hypocrites. Diablement intelligent au point de faire oublier le concept sur lequel il repose, Yannick est une sorte de Théorème...
Lundi 17 juillet 2023 Surprise de l’été, le nouveau Quentin Dupieux imagine le chaos produit par Yannick, un spectateur de théâtre mécontent du spectacle donné par les comédiens jouant devant ses yeux. Comme toujours derrière la farce, une remise en question des dogmes...
Mercredi 29 mars 2023 Éclosion printanière de talents entre Rhône et Saône ! Le Festival du cinéma européen s’achève au Ciné-Meyzieu avec la réalisatrice belge Eve Duchemin pour Temps mort (...)
Mardi 20 décembre 2022 Lui-même ancien cavalier, le réalisateur Christian Duguay remonte en selle pour Tempête dans lequel une jeune fille née dans un haras en même temps qu’un cheval voit son rêve d’écuyère brisé par un accident la clouant dans un fauteuil. Au-delà du...
Mardi 1 février 2022 Peu de festivals début février, mais du monde à profusion pour deux semaines d’avant-premières et de séances d’exception. Compagnons de François Favrat ouvre la (...)
Mercredi 17 novembre 2021 Mûrie de longues années par Audrey Diwan, cette adaptation d’Annie Ernaux saisit l’ascèse et la précision de l’autrice, pour la transmuter en portrait dépourvu de pathos d’une éclaireuse engagée malgré elle dans une lutte à la fois intime et...
Mardi 26 octobre 2021 En un quasi temps réel, Catherine Corsini passe au rayons X et à 360° le “moment“ social des Gilets Jaunes dans un lieu essentiel où se joue une comédie humaine si réaliste qu’elle en devient fatalement tragique. Mieux qu’un épisode inédit...
Samedi 17 août 2019 Lassé par ses années d’échec au théâtre, Franck se fait recruter comme gardien vacataire dans un musée. Sa présence suscite l’hostilité de Sibylle, une consœur rigide, mais complète le staff et permet au conservateur de lancer un inventaire des...
Mardi 23 avril 2019 Pour son premier long-métrage, Mais vous êtes fous, l’ancienne journaliste Audrey Diwan s’est penchée sur une histoire d’addiction à fragmentation multiple. Propos rapportés des Rencontres du cinéma d’Avignon et de Gérardmer.
Mardi 23 avril 2019 De Audrey Diwan (Fr, 1h35) avec Pio Marmai, Céline Sallette, Carole Franck…
Mardi 30 octobre 2018 Pour compenser ses années de taule, un innocent commet des délits. Sans savoir qu’il est “couvert“ par une policière, veuve de celui qui l’avait incarcéré à tort, elle-même ignorant qu’un collègue amoureux la protège… Encore un adroit jeu...
Mardi 30 octobre 2018 L’accord entre un cinéaste et son compositeur est la clef invisible de nombreuses réussites cinématographiques. Pierre Salvadori le confirme en évoquant sa collaboration harmonieuse avec Camille Bazbaz sur En Liberté ! Avec, en prime, un solo de Pio...
Mardi 17 avril 2018 En moralistes contemporains, Bacri et Jaoui cernent depuis plus d’un quart de siècle les hypocrisies et petites lâchetés ordinaires face à la notoriété ou à l’illusion du pouvoir. Conversation croisée avec un duo osmotique.
Mardi 17 avril 2018 Entre cuisine, dépendance et grand jardin, le nouveau ballet orchestré par Jaoui et Bacri tient de la comédie de caractères, s’inscrivant dans la lignée du théâtre de Molière, au point de tendre à respecter la triple unité classique. Une féroce et...
Mardi 5 décembre 2017 de & avec Alain Chabat (Fr, 1h35) avec également Pio Marmaï, Golshifteh Farahani, Audrey Tautou…
Mardi 13 juin 2017 D’une vendange à l’autre, une fratrie renoue autour du domaine familial… Métaphore liquide du temps et de la quintessence des souvenirs précieux, le (bon) vin trouve en Cédric Klapisch un admirateur inspiré. Un millésime de qualité, après une série...
Mardi 13 juin 2017 C’est sur les terres du châteauneuf-du-pape, aux Rencontres du Sud d’Avignon, que Cédric Klapisch est venu évoquer en primeur le douzième degré de sa filmographie — lequel, à la différence du vin, peut se déguster sans modération.
Mardi 25 avril 2017 Portrait d’une femme à la croisée des émotions et de la vie, cette comédie culottée sur la ménopause brise réellement les règles. Interprète du rôle-titre, Agnès Jaoui donne émotion et fantaisie à ce grand-huit émotionnel, usant de son superbe...
Mercredi 4 mai 2016 de Sylvain Desclous (Fr, 1h29) avec Gilbert Melki, Pio Marmai, Pascal Elsoplus…
Mardi 22 septembre 2015 De François Favrat (Fr., 1h41) avec Laurent Lafitte, Mélanie Laurent, Audrey Dana, Wladimir Yordanoff…
Mardi 9 juin 2015 Bruno Podalydès retrouve le génie comique de "Dieu seul me voit" dans cette ode à la liberté où, à bord d’un kayak, le réalisateur et acteur principal s’offre une partie de campagne renoirienne et s’assume enfin comme le grand cinéaste populaire...
Mardi 3 mars 2015 De Brice Cauvin (Fr, 1h40) avec Laurent Lafitte, Agnès Jaoui, Benjamin Biolay, Nicolas Bedos…
Vendredi 14 novembre 2014 En 25 ans d'une belle amitié musicale, Piers Faccini et Vincent Segal n'ont jamais cessé, dans leurs chambres ou sur scène, de revisiter les chansons des autres - mais aussi les leurs. Et viennent enfin d'en tirer un très beau disque, "Songs of Time...
Mardi 22 avril 2014 Rencontre dans une cour d’immeuble entre un gardien dépressif et une retraitée persuadée que le bâtiment va s’effondrer : entre comédie de l’anxiété contemporaine et drame de la vie domestique, Pierre Salvadori parvient à un équilibre miraculeux et...
Mercredi 27 février 2013 Entretien avec Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui.
Propos recueillis par Christophe Chabert
Mardi 26 février 2013 Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri font entrer une fantaisie nouvelle dans leur cinéma, en laissant à une génération de jeunes comédiens pris à l’âge des contes de fées le soin de se heurter à leur réalité d’adultes rattrapés par l’amertume et les...
Vendredi 14 septembre 2012 Faux polar suivant la dérive existentielle d’un dealer juif qui tente de raccrocher pour s’exiler à Tel Aviv, le premier film d’Elie Wajeman opère un séduisant dosage entre l’urgence du récit et l’atmosphère de la mise en scène.
Christophe Chabert
Vendredi 13 juillet 2012 De Carine Tardieu (Fr, 1h29) avec Agnès Jaoui, Denis Podalydès, Isabelle Carré…
Jeudi 22 septembre 2011 De Rémy Bezançon (Fr, 1h50) avec Louise Bourgoin, Pio Marmaï…
Jeudi 4 septembre 2008 Le troisième film d’Agnès Jaoui reprend, avec un peu trop d’évidence, les thèmes développés dans les deux précédents, mais y fait entrer une nouvelle figure : Jamel Debbouze, impressionnante raison d’être de cette comédie douce-amère.
Christophe...