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Jean-Jacques Annaud : « faire le récit du sauvetage d'une star internationale »

Notre-Dame brûle
De Jean-Jacques Annaud (Fr, 1h50) Avec Samuel Labarthe, Jean-Paul Bordes, Mikaël Chirinian

Notre-Dame brûle / Habitué aux superproductions spectaculaires et aux films d’époque, Jean-Jacques Annaud en tourne une qui résonne avec son histoire intime puisqu’elle se focalise sur le monument patrimonial qu’il connaît (et aime) sans doute le plus, à l’époque contemporaine. Et ici, tout est vrai, voire plus que vrai.

Vous souvenez-vous de ce que faisiez le 15 avril 2019 lorsque vous avez appris la nouvelle de l’incendie ?
Jean-Jacques Annaud
: J’étais à Saint-Gilles-Croix-de-Vie dans une petite maison sans télé et j’écoutais la radio parce que je voulais quand même savoir où on en était avec les Gilets jaunes. Et d’un seul coup, on me décrit Notre-Dame en feu. Et moi je l’imagine au sens propre du terme, parce que la cathédrale je la connais sous tous les angles. Je n’ai pas besoin qu’on me montre des photos de Notre-Dame pour savoir comment c’est, où les vents soufflent, comment est la flèche… Toute ma vie j’ai rêvé d’habiter pas loin ; mon premier grand amour était une normalienne avec qui j’allais à Notre-Dame écouter des concerts… Cet événement, je l’ai vécu de manière imaginée et j’ai à peine eu besoin de voir les images ; je les avais comprises. C’était douloureux également parce qu’il y avait la symbolique de l’écrasement d’un Occident qui n’arrive plus à soutenir son passé et qui ne se souvient plus de celui-ci. Ce qui était formidable, c’était le réveil de Paris, de la France et du monde, qui se sont émus parce que tout le monde a ressenti cela.

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L’idée d’en tirer un film est-elle aussitôt née chez vous ?
C’était une telle idée de cinéma que je m’en suis tout de suite éloigné : j’ai compris que ça allait être un afflux de milliers de cinéastes qui voudraient faire cette histoire. Pour quelqu’un habitué à faire des scénarios, vous avez une star internationale qui est belle et respectée, Notre-Dame — c’est Meryl Streep qui aurait 850 ans. Qui est le méchant ? Le feu. Est-ce que le méchant est charismatique ? Oui ! Dangereux et fascinant ? Oui ! Et le drame, c’est quoi ? Elle est malade, elle va mourir et les secours n’arrivent pas. Vous avez un scénario. Car mon film n’est pas une enquête sur qui a fait le coup ou ou d’où est venu le le problème : il y a une zone inconnue qui demeure inconnue. J’ai évoqué toutes les pistes qui sont sur la table, y compris celles qui sont pas sur la table et que je connais. C’est l’éventail des possibles, et le récit du sauvetage d’une star internationale attaquée par des démons charismatiques.

À une époque où les blockbusters hollywoodiens sont saturés de trucages numériques, Notre-Dame brûle fait le choix de reconstituer “en dur” les décors et de recourir à des effets directs…
Les effets spéciaux physiques ont été énormes puisque, évidemment, j’ai fait cramer les décors. Vous ne pouvez pas obtenir des résultats de vos acteurs si vous leur dites : « bats-toi contre le fond bleu ; fais semblant avec ton tuyau que c’est de l’eau et d’avoir chaud ! ». Je les ai collés dans de vraies flammes ; tout ce qui brûle, ce sont des décors qui ont été refaits à l’identique — y compris la nef sur laquelle s’effondre la toiture. La chapelle latérale a été partiellement reconstituée mais dans la cathédrale de Bourges ; en revanche, en studio, j’ai refait trois étages d’escaliers en colimaçon tout en ayant tourné à Sens, à Amiens et à Bourges certains escaliers qui était mieux pour certaines scènes dont j’avais besoin. J’ai fait refaire le beffroi nord, toute la charpente sur les plans de Viollet-Le-Duc parce les cloches étaient nouvelles et qu’elles étaient moins spectaculaires que dans le beffroi sud. J’ai repris le modèle qui a servi d’inspiration à Victor Hugo… Et tous ces effets sont des effets directs, c’est-à-dire que j’ai fait effondrer 75m3 de matériaux enflammés sur un dallage refait à l’identique et des chaises réalisées par le fabricant de celles de Notre-Dame. Il y a dans le décor quelques colonnes arrière dans le déambulatoire en numérique, mais le feu qui dégringole est entièrement vrai.

Et pour que ce feu fait de balsa et de liège pour les moellons “sonne” juste, on a refait les sons en faisant tomber d’une grue des poutres de chêne sur un dallage. Le seul son des jets d’eau a nécessité trois jours de travail au centre d’exercices des pompiers à Villeneuve-Saint-Georges. En Normandie, on a aussi travaillé sur le bruit du plomb qui fond dans un hangar spécialement construit pour nous ; c’était très complexe parce qu’il fallait retenir les fumées, être en “tenue-plomb” comme des cosmonautes. On avait fait beaucoup d’essais pour avoir la texture du plomb fondu, soit avec de l’étain, soit avec du vrai plomb, pour avoir l’impact et la lourdeur d’une goutte qui tombe sur un bout de bois ancien, qui se fige et explose. C’est des heures et des heures de boulot au bruitage !

Tout ce qui peut sembler invraisemblable est vrai

De quelles images d’archives disposiez-vous ?
J’ai eu à disposition tout le matériel des pompiers qui, dans la panique n’avaient envoyé qu’une équipe de photographes-vidéastes et ont surtout fait des photos fixes. J’ai pu en animer une ou deux, en particulier la première fois où l’on voit tomber des braises depuis l’oculus. Le problème, c’est qu'on a fait sortir tout le monde et que les vidéastes n’étaient pas là : ils étaient occupés à raccorder les tuyaux, les bras articulés. Et comme tout était interdit par la police à proximité de Notre-Dame, les vidéos que nous avons proviennent des caméras de télévision qui ont accouru — un peu tard. Les toutes premières sont vraiment des vidéastes amateurs et des gens avec leur iPhone, certaines inexploitables. J’avais passé un appel aux vidéos sur Internet, j’en avais reçu 6000 la première semaine pour 25 000 au total ; une équipe a travaillé tout l’été pour tout remettre dans l’ordre chronologique et savoir à quel moment du feu on est. Et au moment-même du tournage sur le parvis de Notre-Dame, des gens se sont manifesté derrière le cordon de police : ils avaient des images exceptionnelles de la rue du Cloître qui n’avaient jamais été vues — et qui sont dans le film.

Il fallait utiliser ces images plutôt que faire du numérique — qui aurait été ridicule et n’aurait pas eu la même vibration de réalité — ; c’était tout de suite conçu comme ça dans ma tête. Pour montrer la réalité des événements et montrer l’autre réalité qui n'a pas été filmée. Car tout ce qui peut sembler invraisemblable est vrai. Plus j’ai fouillé, plus l’invraisemblable devenait encore plus invraisemblable. J’ai repris minute après minute le trajet depuis Versailles du régisseur de Notre-Dame, Laurent Prades. Je l'ai refait avec lui pour qu’il me le montre. C’était tellement un matériau cinématographique phénoménal entre ses Velib en panne et son moyen de planquer la clef du Trésor dans la cathédrale ; pourquoi les changer ?

Justement, vous montrez dès l’ouverture du film avec les visites guidées où chaque traducteur apporte des nuances à sa version de l’histoire de Notre-Dame, que la vérité est somme toute une chose très relative. En tant que scénariste et cinéaste, quelle latitude vous autorisez-vous avec les faits pour raconter cette histoire ?
Je vais vous donner un exemple. Quand j’ai vu les images de Notre-Dame au petit matin avec cinq ou six bougies qui restaient allumées, j’ai eu envie de personnaliser la bougie. Pendant mes repérages, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup d’enfants qui venaient à la messe avec leurs parents — ou seuls avec leur grand frère — et qui allumaient des bougies votives. Je me suis inspiré d’une famille d’Antillais avec trois petits enfants que j’avais observée à Sens qui était allée allumer des cierges et prier sous la Vierge de Sens. C’était tellement beau qu’il me fallait un petit personnage comme pour personnaliser cette bougie sur laquelle je termine le film. Parce je voulais que la cathédrale ne soit pas qu’un recueil de vieillards au bord de la tombe ; il y a plein de gens, surtout dans le quartier de Notre-Dame, qui vont à l’église régulièrement, et beaucoup d’enfants qui prient.

Voyez-vous une spiritualité dans le lieu ?
Je suis complètement pas croyant, mais quand j’étais petit, j’avais une petite Vierge lumineuse qui m’avait été offerte par ma tante et que je priais pour avoir des bonnes notes en calcul ! Mes parents n’étaient pas croyants non plus, j’ai été baptisé, je suis allé au catéchisme une journée — et j’ai trouvé que c’était tellement nul, je n’y comprenais rien et j’ai dit : « non, je veux pas qu’on me raconte des conneries ». Mais je suis profondément ému par le patrimoine, au point que j’ai fait une licence de lettres avec Histoire du Moyen Âge et Histoire de l’art du Moyen Âge et — j’en ai presque honte — ma vie d’enfant a presque été de photographier les églises. J’ai des boîtes entières d’abbayes, de cathédrales ; j’ai cassé les pieds de mes parents pour faire le tour des calvaires bretons, des églises romanes de Provence, les basiliques romaines d’Auvergne… C’était mon choix de vacances. Je ne sais jamais pourquoi je choisis un film, et après je comprends les attaches. Là, ce n’est pas un hasard que je me sois passionné pour Le Nom de la Rose ou pour 7 ans au TibetJ’ai encore en moi la nostalgie de l’odeur des temples tibétains. J’étais tellement bien reçu, c’était tellement beau à 3500m d’altitude d’avoir ces moines qui chantent, ces trompes qui résonnent dans la vallée ; moi, ça m’émeut. Et je ne peux pas m’empêcher d’avoir une vibration différente, une sensation différente, quand je vais dans un lieu de culte. J’adore la mosquée de Djenné, au Mali, qui est le plus grand bâtiment de terre. Quand je rentre là-dedans, je sais que c'est un lieu de prière, je suis ému. Si je visite Château de Versailles ou Chambord, je trouve ça beau, mais ce n’est pas la même émotion. Récemment, j’ai visité la cathédrale de Poitiers. C’était vingt minutes de bonheur pour moi. Je sais que c’est un lieu sacré, que ça compte dans les vies, que c’est le lieu où on se rassemble… Je suis vraiment ému et respectueux de la foi, quelle qu’elle soit. J’aime la foi des autres.

Bah…Grrrrrrrheu…

Notre-Dame brûle emprunte autant à l’épopée qu’au thriller, il possède des instants burlesques et même satiriques. Mais il est aussi empli d’images authentiques qui le placent entre la fiction et la reconstitution documentaire…
J’aime faire des projets inattendus ; je n’aime tellement pas être mis dans une boîte ! Quand je proposais un film comme La Guerre du feu, la problématique était de prendre des inconnus courant cul-nu en posant des borborygmes dans une langue inconnue — déjà, on m’a pris pour un fou-furieux, en me disant que ça n’allait pas marcher ! Je n’ai pas pu faire Le Nom de la Rose à partir de la France parce que les producteurs disaient : « mais qui a envie de voir un thriller dans un monastère ? Ça n'existe pas ! Ou bien vous faites un thriller, ou bien vous faites un film de moines. » Bah non, on peut mélanger les deux ; c’est une denrée peu commune. Et quand j’ai proposé L’Ours, la première réaction a été : « mais qui joue l’ours ? — Un ours — Ah, c’est un documentaire ? —Non, c’est le point de vue de l’ours. —Mais quelle langue il parle ? —L’ours. —C’est quoi ? —Bah…Grrrrrrrheu… ». Il a fallu que des gens aillent au cinéma et parlent à d’autres gens : « non, non, c'est pas ce que vous croyez ; c’est plus compliqué que ça ». Toujours, je me trouve dans des situations où on me jure que ça ne peut pas marcher.

Alors décrire le genre de Notre-Dame brûle ? Je n’en sais rien, j’ai fait comme c’est venu… Je prépare énormément mes films : ce que vous avez vu, je l’ai vu dans ma tête. J’écris très précisément ce que je vois dans ma tête parce que, comme je fais faire mes décors je sais ce que je veux puisque je le vois. Vous savez, j’ai eu ma première caméra à 11 ans et quand j’étais au lycée je ne pensais qu’au montage que j’allais faire le soir à la maison. Ensuite, j’ai fait les deux écoles de cinéma Louis-Lumière et l’IDHEC, j’étais bon élève et je suis sorti à 19 ans on m’a tout de suite collé sur les plateaux. Je sais que je suis formé à prévisualiser : je n’ai aucune difficulté à cela. J’ai prévisualisé et dessiné 400 films publicitaires. Aujourd’hui, je ne fais plus de storyboard, sauf pour des plans très particuliers, mais quand je relis mon découpage, c’est exactement ce que j’ai fait : contre-plongée, caméra à 35 cm de hauteur, amorce de chaise… La lumière vient de la droite… C’est pour cela que c’est fluide.

Terminons sur le dessin en évoquant l’affiche. Jadis vous avez travaillé avec Druillet, cette fois c’est avec Plantu. Ce choix donne forcément une tonalité particulière, “actualité“, à l’affiche. Comme s’est-il opéré ?
On a tout de suite compris qu’il était impossible de décrire ce qu’était le film, comme pour L’Ours ou La Guerre du feu. On m’a présenté des affiches qui plaisaient beaucoup au département marketing de la concurrence — sans doute parce qu’elles était mauvaises et d’une banalité atterrante : des pompiers qui regardaient Notre-Dame en feu ! Ça veut dire quoi ce truc mollasson ? Comme le producteur Jérôme Seydoux savait que j’étais ami avec Plantu, que je trouve brillant, il a eu l’idée de le faire venir sur le plateau. Et Plantu a tout de suite commencé à avoir des idées. Il y a eu une petite bataille, mais j’ai pensé très fortement que comme ce film était inexplicable, il ne fallait pas tenter d’expliquer un des aspects, mais que l’affiche elle-même soit un puzzle. Et que l’on soit un peu dérouté. D’après les retours que j’ai, les gens sont intrigués. D’ailleurs, il a fait tellement de dessins qu’on va les publier, je crois…

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