Gustave Kervern : « on a quand même l'espoir que les gens changent »

En même temps
De Gustave Kervern, Benoît Delépine (Fr) Avec Vincent Macaigne, Jonathan Cohen, India Hair

En même temps / Avec son comparse grolandais Benoît Delépine, Gustave Kervern vient de signer son dixième long-métrage mettant en scène deux politiciens (un écolo et un extrême-centriste de droite) collés l'un à l'autre par le fondement par des féministes pas contentes. Derrière la satire, une réelle inquiétude détaillée lors des Rencontres du Sud d'Avignon...

En même temps sort en période électorale, alors qu'il n'y a pas vraiment de “campagne électorale”. De fait, il participe du débat et se substitue presque à ce qui devrait être la campagne...
Gustave Kervern
: On a tout fait pour sortir le film avant la présidentielle ! Ça a d'ailleurs été un truc de fou parce qu'on a changé d'acteurs : ça devait être Bouli Lanners et Denis Podalydès au départ mais ils n'ont pas pu pour des raisons de planning. Quant à Jonathan Cohen et Vincent Macaigne, ils ne pouvaient pas avant novembre/décembre. On a donc tourné en se disant « tant pis pour la présidentielle ». Mais ç'aurait été trop dommage de ne pas le sortir avant. On espère qu'on aura un impact, même si on ne le pense pas...

Sur l'affiche, on voulait même mettre « la seule campagne que vous aurez » ! Parce qu'effectivement, il n'y a pas de campagne. Tout est accaparé par l'extrême-droite : l'immigration, etc., tous ces thèmes qu'ils déroulent, qui plaisent aux médias. Mais franchement, même sans la guerre en Ukraine, je ne suis pas sûr que l'écologie et le féminisme auraient été abordés. L'écologie, qui est malheureusement assez mal représentée, aurait été ignorée comme auparavant. Et là, on en parle encore moins parce que la guerre prend le pas sur l'actualité. Or, pour nous comme pour beaucoup de gens, l'écologie n'est pas de la rigolade. Le climat est assez anxiogène pour nos jeunes — les pauvres ! — et on va vers des périls monstrueux en regardant les trains passer sans savoir quoi faire. Les catastrophes arrivent, elles sont vites oubliées et on passe à autre chose, comme dans l'actualité en général alors qu'on va vraiment vers des choses catastrophiques.

On voit bien avec la guerre en Ukraine que c'est un château de cartes : il suffit qu'une carte tombe pour que tout tombe. L'énergie, par exemple : on est prêt à repasser au charbon parce qu'on n'a plus le gaz russe, que les centrales nucléaires sont vieillissantes, que l'EPR ne marche pas — même si on va en construire d'autres. Ça devient une espèce de truc globalisé infernal qui fait qu'on a l'impression de ne jamais pouvoir rien faire.

Pourtant En même temps se termine de manière plus apaisée que le précédent, Effacer l'historique...
Dans le précédent, c'était catastrophique : ça finissait sur la Lune, qui est un astre mort — c'était forcément beaucoup plus radical. Ici, c'est comme une fable : on a quand même l'espoir que les gens changent. C'est sûr qu'un mec de droite ne peut pas changer radicalement comme ça, mais bon... c'est un film. On voulait donner une note d'espoir au moins sur l'humain ; peut-être que sur l'écologie, la forêt est sauvée mais pour combien de temps ? Dans cette période vraiment trouble, terminer sur une catastrophe aurait plombé l'ambiance, on a préféré donner la parole à ces activistes féministes pour montrer que le combat existe et peut être fait de façon rigolote, même si ce ne sont pas des problèmes rigolos.

Les féministes sont importantes dans le film. Elles sont radicales, mais il y a plusieurs courants — c'est comme dans l'écologie. On s'est inspiré de copines belges qui ont repris le flambeau de l'entarteur Noël Godin. C'est d'ailleurs quasiment que des filles qui acceptent de faire ce genre de chose, qui demandent un certain courage. On s'est aussi inspiré d'un autre copain, Robert Dehoux, un mec vraiment génial qui lui, le soir, allait dans Bruxelles mettre de la colle dans les serrures de banques pour pas qu'elles puissent s'ouvrir le lendemain matin. Toutes ces actions un peu rigolotes du surréalisme belge dont on se revendique (si on doit se revendiquer) ça nous plaît, parce qu'il y a à la fois de l'humour et du fond. Dans nos dix films, on a toujours essayé de mêler les deux, en ayant des fonds assez durs parfois mais sans se prendre au sérieux. Le fond est indissociable de la forme, et s'il n'y a pas de fond, on a pas envie de faire un film uniquement de gags. On a toujours envie de mettre des choses en avant.

Mais on peut peut plus rien dire !

Des femmes ont-elles participé à l'écriture du dialogue sur ces problématiques ?
Ben on avait notre conseillère technique féministe, Ovidie, qui joue un petit rôle dans le film. C'est une ancienne star du porno, qui fait des documentaires très très engagés sur le féminisme et qui est hyper pointue et hyper intéressante. Elle est devenue notre copine parce qu'elle habite en Charentes, à côté de chez Benoît. Elle nous a aidés parce qu'elle connaît vraiment les milieux féministes ; on lui a demandé de regarder pour qu'on n'ait pas trop d'emmerdes. Ce qui est marrant, c'est que toutes les interrogations qu'on avait sur la manière dont le film allait être reçu, on les a mises dans la bouche des féministes qui disent : « mais on peut peut plus rien dire ! » On a tout évacué dans les dialogues du film.

Pensez-vous que vous seriez autant en phase avec l'actualité avec cette scène montrant au second plan les prix de l'essence qui flambent en temps réel ?
On sait que ça joue toujours un peu au yo-yo, et que ça allait bouger — si vous regardez bien, on n'a pas dépassé les 2€ donc on s'est fait un peu avoir — mais on essaie toujours de mettre des petites idées en plus dans les plans, pour parler du maximum de sujets, de coller le plus possible à la situation actuelle et aux problèmes. Comme ce sont des plans fixes et qu'il n'y en a pas beaucoup, il faut toujours qu'il se passe quelque chose, que ce soit au niveau du dialogue ou d'un petit détail rigolo ou d'un petit élément dissonant. C'est un peu notre travail principal, et ce n'est pas si évident que ça. Là, on devait filmer un coup de fil, qui n'est pas un moment des plus passionnants. Alors on s'est mis devant un panneau d'essence...

On a justement l'impression qu'avec le temps, vous investissez davantage ces arrière-plans...
On l'avait fait aussi dans Effacer l'historique. Je vais vous dire un truc que personne n'a remarqué mais que je tenais à faire : dans chaque maison, il y a toujours une orchidée sans fleur. De celles qu'on a tous chez soi, qu'on garde avec l'espoir qu'elles vont reprendre avec leurs deux feuilles et leur tige. Mais ça ne reprend jamais. Autre détail que seul Dupontel avait remarqué : lorsqu'ils sont à l'aéroport, quand Blanche Gardin revient des États-Unis, derrière elle, il y a des gens qui attendent leurs valises et elles sont toutes rouges (rires). En même temps, on l'a un peu plus travaillé que les autres. Il ne fallait pas que ça soit lourd : une fois qu'on les a montrés marchant l'un derrière l'autre, on devait oublier cette situation au fur et à mesure du film. Et alors que c'était inouï et excitant, artistiquement parlant, d'avoir toujours une tête derrière l'autre, on a cherché toutes les manières de montrer ce duo dans cette position, en essayant de varier les plans : quelquefois on voit l'un, on voit l'autre... Je pense qu'il y avait d'autres possibilités qu'on regrette de pas avoir faites, mais on ne peut pas tout faire. Ça nous a obligé aussi à vraiment travailler sur comment présenter ce duo.

Il nous en reste un plan à la con

Justement, il y a un plan étonnant où Jonathan Cohen est masqué par un poteau rouge...
C'est juste une idée à la con. Souvent, quand on regarde un film, il nous en reste un plan à la con ; un élément bizarre qui rappelle quelque chose. Je suis persuadé que ce sera la cas de ce plan avec le poteau rouge. En plus, pour rigoler, on avait fait croire à Jonathan qu'on ne le verrait jamais dans le film puisqu'il est derrière Vincent Macaigne ; et comme c'était une des premières scènes, on avait fait exprès de le filmer derrière le poteau.

Un coffret de vos films avec Benoît vient de sortir. Quel regard portez-vous sur l'évolution de votre travail depuis Aaltra (2004) ?
Il y a aussi un bouquin qui est sorti, qui est vraiment super. On avait très peur quand il y a deux mecs, deux journalistes qui sont venus. On avait l'impression d'avoir déjà tout raconté, et bon c'était pendant le confinement... On a eu des heures et des heures d'entretiens, ça nous a occupés. Et ce livre contient toute la philosophie de ce qu'on a voulu faire. On n'a jamais eu de plan de carrière, on s'est fait guider par nos sujets, nos envies de travailler avec des acteurs, sans se prendre au sérieux et en essayant de bosser sérieusement.

Maintenant, à voir les dix films comme ça... Il y a des thèmes, je ne sais pas d'où ça vient : lui et moi, on n'est pas frères mais on a des convictions fortes. On s'était dit avec Benoît qu'on avait fait le tour de la question : c'est toujours des road movies parce qu'on aime rencontrer les gens. On se posait sérieusement la question de s'arrêter ou même de faire une série, ou une espèce de polar. Sauf qu'on n'est pas Stanley Kubrick qui peut passer d'un film de science-fiction à autre chose. On est limité au point de vue technique, scénario, façon d'écrire... On s'auto-limite, aussi.

On a bien essayé sur une idée de polar, mais comme on est perdu dans les films au bout de cinq minutes, alors on s'est perdu dans notre propre scénario ! Un polar rigolo ? On y arriverait peut-être. Alors on fait ce qu'on sait faire, et ça s'arrêtera le jour où on aura vraiment plus d'idées. Pour l'instant, on continue comme ça, parce que faire un film c'est toujours tellement génial. Mais si on n'a pas une bonne idée, on va pas faire un film pour faire un film non plus. Le prochain devrait parler du “cartel du jambon“ qui se réunissait dans des hôtel Ibis pour s'entendre sur le cours de la charcuterie...

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