Coupez !, de Michel Hazanavicius : une resucée réussie pour ouvrir le Festival de Cannes

Coupez !
De Michel Hazanavicius (Fr, 1h51) Avec Matilda Lutz, Bérénice Bejo, Romain Duris

Cannes 2022 / Expert ès détournements et pastiches, le polyvalent Michel Hazanavicius avait déjà pratiqué l’exercice du remake en réactualisant Les Anges marqués dans The Search (2014). Il redéploie sa virtuosité en s’emparant d’un film de zombies japonais plus récent, Ne coupez pas ! de Shin'ichirō Ueda (2017) mêlant horreur, humour et — naturellement — cinéma. Présenté en ouverture à Cannes 2022.

Au milieu de nulle part, une équipe de série Z galère sur le tournage de la dernière scène d’un film d’horreur avec des zombies. Soudain, de vrais zombies attaquent le plateau, pour le plus grand bonheur du réalisateur surexcité, en quête d’une vérité de jeu qu’il ne trouvait jusqu’alors pas auprès de ses interprètes…

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Qu’est-ce qu’un remake, sinon l’entreprise frankensteinienne d’un cinéaste visant à faire exister de nouveau une création ? Une œuvre “achevée” dont il va s’emparer pour lui réinsuffler un souffle de vie à travers l’ensemble du processus artistique passant par l’écriture, le tournage, le montage et enfin la projection. Il y a quelque similitude entre cette volonté d’empêcher l’oubli d’avaler un film, entre le désir de faire sienne une création antérieure ; entre l’opération — la liturgie — de fabrication, et le rituel de zombification s’exerçant ici sur le “corps du film“.

Une zombification au carré lorsque le film d’origine est lui-même un film de zombies, et une mise en abyme démultipliée s’il s’agit en sus d’un film évoquant un tournage. Autant de paramètres qui ne pouvaient qu’intéresser le plus ludique des cinéastes-cinéphiles-théoriciens contemporains. Michel Hazanavicius offre en effet une relecture aussi fidèle (quasiment plan par plan) que décalée (l’approche culturelle occidentale nécessitant des ajustements et une distance nécessaire au référent) de Ne coupez pas ! de Shin'ichirō Ueda (2017).

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Film de zombies tourné par des étudiants nippons, ce coup de maître avait rencontré un succès incroyable du fait de son intelligence narrative et technique, il aurait été dommage de la dénaturer. Hazanavicius est donc parti de la même trame.

Coupez/décalé

Chaque film de Michel Hazanavicius peut s’apprécier comme un hommage vivant (et non déférent ni compassé) au 7e art, ainsi qu’une mise en application ou un prolongement à ce qui a déjà été accompli — Le Redoutable (2017) constitue ainsi une intelligente approche biographique de Godard, assimilant son art autant qu’elle cerne la personne. À l’instar d’un De Palma accommodant la scène de la douche de Psycho comme une figure de style dans plusieurs ses films, Hazanavicius explore les genres sans se fixer d’impératif catégorique, ne redoutant pas d’aller là où les autres s’interdisent de s’aventurer.

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Parfois mal payé en retour : The Search (2014) mériterait d’être revu à la lumière des événements contemporains ; on jugerait alors, en sus de sa pertinence, de ses qualités narratives et formelles ; Le Prince oublié (2020) également, en tant que déclaration d’amour au conte et à l’imaginaire des conteurs. Il ose en (s’)amusant, et cette nouvelle aventure en est la réjouissante démonstration.

Si ce professionnel mondialement reconnu et récompensé reprend un film troussé par des étudiants, ce n’est pas pour le “corriger“ même s’il ajoute quelques précieuses giclées d’huile scénaristiques : on ne peut s’intéresser à cette histoire si l’on éprouve de la condescendance pour les soutiers du cinéma, suant de toute leur âme dans la fabrication  des films, fussent-ils de série Z.

Mais bien pour célébrer l’art et le grain du film fauché, comme pour rendre manifestes les différences d’appréciations pouvant exister entre deux pays ou traditions — l’expression « traduttore, traditore » y trouve une magnifique illustration. La translation ne peut se faire sans encombre, ajoutant une couche d’ennuis supplémentaires à un tournage déjà apocalyptique. Clin d’œil pour les spectateurs ayant vu Ne coupez pas !, la commanditaire japonaise du film est la même et donc interprétée par la même comédienne, Yoshiko Takehara. Face à cette productrice se délectant du sang à l’écran, la distribution est aussi allumée que bien composée : Romain Duris en réalisateur possédé, Bérénice Bejo en maquilleuse ultra combative, Finnegan Oldfield en comédien jouant faux ou Grégory Gadebois en mort-vivant sont en tête de cette liste ménageant autant de surprises que le film de twists.

Indirectement, Michel Hazanavicius réussit, en plus de son film, un méta-remake en réécrivant (en mieux) l’ouverture du Festival de Cannes 2019, soit la dernière édition “normale“ avant le début de la pandémie. Promise sous les auspices d’une comédie de zombies réalisée par un grand cinéaste déroulant un prestigieuse distribution, elle s’était retrouvée pantoise devant The Dead don’t die d’un Jim Jarmusch signant “l’exploit” de livrer un film plus pesant et gênant que drôle ou horrifique — il y aura toujours des hypocrites et des snobs pour crier au génie, allez. Nul besoin de faire semblant pour Coupez ! : c’est plus que bien.

★★★★☆ Coupez !
Un film de Michel Hazanavicius (Fr, 1h50) avec Romain Duris, Bérénice Bejo, Grégory Gadebois, Finnegan Oldfield, Matilda Lutz…

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