"La chance sourit à Madame Nikuko" de Ayumu Watanabe : telle mère, telle fille ?

La chance sourit à Madame Nikuko
De Ayumu Watanabe (Jap, 1h37), Animation

Animation / La chronique animée de l’entrée dans l’adolescence de Kikurin et de son exubérante mère aux mille mésaventures, Nikuko, imposante cuisinière aussi fantasque que Kikurin est discrète et filiforme. Un chef-d’œuvre de sensibilité et d’humour racontant avec élégance la vie à hauteur de fillette et de femme, les différences et surtout l’amour inconditionnel. À voir en famille ! 

Après avoir été plaquée par bien des sales types ayant abusé de sa joviale naïveté, la ronde Nikuko débarque avec sa fille Kikurin dans un petit village de pêcheur où elle fait — comme toujours — merveille aux fourneaux entre deux situations embarrassantes pour sa fille. Pendant ce temps, celle-ci grandit et s’intéresse à Ninomiya, un ado de son âge affligé d’étranges tics nerveux… 

à lire aussi : Un cycle Hayao Miyazaki au Pathé Bellecour

Volontiers à rallonge, parfois trompeurs sur leur contenu (Je veux manger ton pancréas, par exemple, n’a rien d’une histoire d’épouvante cannibale, mais tout d’un mélo propre à arracher des larmes à Hannibal Lecter) ou alors d’une platitude informative déconcertante (Josée, le tigre et les poissons ; Hana & Alice mènent l’enquête), beaucoup de titres d’anime ressemblent à des tests visant à trier les initiés.

Mais celles et ceux qui osent aller au-delà d’une devanture guère affriolante se trouvent en général hautement récompensés. La chance sourit à Madame Nikuko est de ces joyaux inattendus dont le chatoiement vous éblouit et l’intelligence poétique vous transporte de la première seconde à la dernière note du générique.

à lire aussi : Mamoru Hosoda, la visite d’un maître

Franchir les frontières

À l’instar de ses plus illustres compatriotes Miyazaki (cité explicitement puisque Nikuko est comparée à Totoro) ou Hosoda, Ayumu Watanabe se place ici à hauteur d’adolescente pour décortiquer les problématiques inhérentes au “passage“ d’un monde à l’autre : celui, relativement insouciant et ouvert sur l’imaginaire de l’enfance, à l’univers adulte lesté de contraintes, de choix et de concessions. Parce qu’elle vit avec une mère au comportement souvent puéril, Kikurin est objectivement plus mûre dans sa tête que ses condisciples même si son corps, lui, n’a pas encore franchi le cap de la puberté.

C’est d’ailleurs un des grands mérites de ce film d’évoquer sans fausse pudeur la question des règles, comme Alerte rouge de Domee Shi il y a peu — les œuvres d’animation seraient-elles moins timorées que le cinéma en prises de vues  réelles quand il s’agit de parler de sujets organiques et de féminité ? Madame Nikuko aborde aussi le thème de l’exclusion à l’intérieur du microcosme scolaire, et de la violence psychologique qui en résulte, comme de la singularité de certains enfants : le solitaire Ninomiya, avec ses grimaces, fait ici office de prince charmant des contes que Kikurin libère (un peu) de son mauvais sort… et au contact duquel elle s’affranchit de quelques réflexes grégaires.

Oscillant du grotesque à l’infra intime, ce portrait collectif rappelle parfois le Isao Takahata de La Famille Yamada (ce qui n’est pas un mince compliment), en intercalant de petits intermèdes drolatiques où Nikuko apparaît en style “chibi-viande de bœuf tendre de première qualité“. La beauté du graphisme et la variété des émotions qu’il procure suffiraient à faire de Madame Nikuko un grand film ; mais il va au-delà avec cette étrange rupture affectant le récit au-delà de sa moitié — une déchirure inattendue donnant à toute l’histoire une nouvelle perspective comme dans JSA de Park Chan-Wook. Difficile, au terme de cette chronique, de ne pas quitter les personnages avec l’œil sec.

Bénéficiant d’une v.f. aussi réussie que la v.o., La chance sourit à Madame Nikuko peut se revoir déjà avec le même plaisir ; gageons qu’ils se bonifiera encore avec le temps pour accéder au statut de grand cru. Ce n’est pas une raison de tarder pour le découvrir sur grand écran !

★★★★★ La chance sourit à Madame Nikuko 
Un film de Ayumu Watanabe (Jap, 1h37) avec les voix (v.o.) de Cocomi
,  Shinobu Ôtake,  Izumi Ishii…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Vendredi 11 juin 2021 Officiellement, la 16e édition du Lyon BD Festival se tient les 12 et 13 juin. Mais chacun sait que, dans les faits, le rendez-vous de la bande dessinée a commencé depuis une septaine déjà. Rien à voir avec quelque éviction prophylactique :...
Mardi 8 octobre 2019 C’est une discrétion un peu affligeante qui accompagne la Fête du Cinéma d’Animation. Il faut dire qu’elle manque un poil de lisibilité : elle se déroule durant (...)
Mardi 10 septembre 2019 Petits poissons deviennent grands. Après trois années d’intenses activités, le ciné-café croix-roussien poursuit son développement façon pieuvre : à la fois vidéo-club, (...)
Samedi 17 août 2019 Leur ville inexplicablement envahie par des pingouins, un groupe d’enfants profite des vacances pour enquêter. Un songe astrophysique drapé de poésie mythologique, empli de fantaisie. Et de palmipèdes.
Mardi 18 décembre 2018 Ce futur classique, où un enfant unique apprend à aimer sa petite sœur nouvelle-née en voyageant dans le futur et le passé familial, comptera autant que Totoro ou Le Tombeau des Lucioles au panthéon de la japanimation, dont Mamoru Hosoda est...
Mardi 28 mars 2017 À l’instar de ses héros humains améliorés par les machines, ce film en prises de vues réelles s’hybride avec toutes les technologies visuelles contemporaines pour revisiter le classique anime de Mamoru Oshii (1997). Une (honnête) transposition,...
Mardi 25 avril 2017 La rue Burdeau qui s’agite ? Cela n’arrive que cinq fois par an, malheureusement, lors du vernissage commun (ou presque) des galeries. Nous y étions le 19 janvier dernier. Récit.
Mardi 7 avril 2015 Jusqu’ici, le témoignage cinématographique de référence concernant la grotte Chauvet restait celui de Werner Herzog. Ce grand aventurier des images avait (...)
Mardi 29 avril 2014 Superbe documentaire de Michel Gondry où il va à la rencontre du linguiste Noam Chomsky, et transforme leurs échanges en petit laboratoire animé où se dessine un portrait de Chomsky mais aussi un autoportrait touchant de Gondry en candide...
Mardi 8 avril 2014 Période faste pour le documentaire français en ce moment… Du coup, Les Écrans du doc, le festival consacré au genre au Toboggan de Décines n’a eu qu’à se pencher (...)
Jeudi 28 novembre 2013 Il est le seul non Lyonnais de l’histoire. Le Chartrain Laurent Lhuillery, maire adjoint du chef-lieu d’Eure-et-Loir et responsable de la (...)
Mercredi 16 octobre 2013 Les 3 rendez-vous nocturnes à ne pas manquer cette semaine : DJ Harvey au Sucre, Parade au Platinium et Amine Edge & Dance au Kao. Benjamin Mialot
Mercredi 25 septembre 2013 À Cannes, la semaine de l’ACID (Association pour le Cinéma Indépendant et sa Diffusion), qui aime à sa définir comme le Off du festival, fait figure de salon (...)
Mercredi 31 mai 2006 Expo / Le jeune Marko Velk remue la nuit des images du passé pour redessiner des émotions nouvelles. Des œuvres souvent noires, toujours fortes. Jean-Emmanuel Denave
Mercredi 12 janvier 2005 Asie / A priori, 2005 ne sera pas encore l'année du rayonnement asiatique : on ne relève dans les mois à venir que de rares sorties à se mettre sous la dent, (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X