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Quand on arrive en livre !

Lauréats du concours d'écriture Récits d'objets 2022

Article publi-rédactionnel / Un musée, une collection, des bibliothèques et vous

Le concours d’écriture Récits d’objets, lancé en mars 2022 à l’occasion d’une rencontre à la bibliothèque Part-Dieu avec Pierric Bailly (À la pointe) s’est déroulé jusqu’à la fin avril. Les participants et les usagers des bibliothèques ont été invités à participer à des visites guidées du musée des Confluences et des ateliers d’écritures dans les bibliothèques participantes.

Ouvert à toutes et tous, cette deuxième édition du concours d’écriture Récits d’objets proposait aux participants de donner vie à un objet du musée des Confluences en le transportant dans un univers romanesque à la manière des auteurs de Récits d’objets. Étaient exposés dans les Bibliothèques municipales de Lyon 2e, 3e, 4e et 7e, un crâne de Diplodocus, un collier d'apparat du 20e siècle, un pectoral à valeur d'échange ou encore un instrument de musique Vina Sarasvati. Ces quatre objets ont pu inspirer les participants, répartis en deux catégories : adultes et jeunes de – 20 ans.

Catégorie Adulte : Claire Arcam 

Son récit est inspiré du « Pectoral à valeur d’échange,  kina »,  20e siècle, provenant de Mélanésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée,  Hautes Terres, composé de coquillages, fibres végétales et pigments rouges.

L’objet était exposé à la Bibliothèque de Lyon 4ème 

© Musée des Confluences, Olivier Garcin.

De pollens et de sables

Depuis plus de six jours, la planète Typho hébergeait le nouveau musée axé sur les civilisations terriennes. La dernière conservatrice sur place devait encore compléter sa section, à la suite d’un retard de livraison.

Keye se trouvait face à la scénographie de la Mélanésie du XXe siècle. Les détails des organismes étaient extraordinaires, elle approcha une main pour effleurer la peau d’une androïde adolescente. La couche protectrice de sa combinaison l’empêcha automatiquement de ressentir les subtilités de la reproduction de la chair, pour respecter les normes de sécurité.

Elle enviait la coiffure libre et bouclée de la jeune femme. Les voyages spatiaux et les missions sur des planètes hostiles forçaient les humains à arborer un Cascom. Le dispositif métallique devait être posé sur un crâne rasé et entravait la repousse des cheveux. Les explorateurs revendiquaient le style comme signe distinctif de leur caste, mais Keye regrettait souvent sa longue chevelure ébène.

Elle sollicita son Cascom, relié à ses pensées, pour connaître l’estimation de l’atterrissage de la prochaine cargaison. Une voix lui répondit qu’un drone arrivait dans dix minutes, avec le dernier artefact de la collection.

Le village semblait authentique, mais elle désirait s’en imprégner. Elle changea les paramètres de sa combinaison. Désormais, les capteurs extérieurs reproduiraient les sensations du réel sur son organisme. Le vent effleura son visage, tandis qu’elle touchait du bout des doigts la couronne de plantes sur la tête de l’adolescente. Les fleurs dégageaient un parfum exquis et elle fut surprise de la douceur des pétales.

L’équipe d’artistes avait magnifié la scène, chaque morceau de la représentation déclenchait un stimulus cognitif. Elle vivait l’instant comme si elle appartenait à la tribu. Dès l’ouverture du musée, les androïdes immobiles prendraient vie. Le programme d’intelligence artificielle leur inventerait des quotidiens, et leur offrirait un semblant d’âme.

Une notification envahit ses pensées afin de l’avertir de l’arrivée du drone. Elle leva les yeux pour fixer le ciel, et un point gris se dessina lentement à l’horizon.

Après trois minutes d’attente, les hélices perturbèrent la simulation de vent, et l’environnement se terraforma pour prendre en compte ce nouvel élément. Une caisse métallique fut déposée à quelques mètres des humanoïdes, pour ne pas altérer la scénographie. Keye ouvrit le couvercle du conteneur pour accéder à l’objet terrien.

Avec précaution, elle plongea les mains pour saisir le vestige. Elle sentit la finesse d’un tissu, puis un côté plus dur, qu’elle parvint à manipuler. Son pouce droit effleura une partie tranchante, et la combinaison dupliqua l’effet sur sa peau. Elle se traita d’imbécile et retira la diffusion des sensations.

Elle reconnut sans peine un kina, collier et monnaie de Mélanésie. Le tour de cou était élégamment tressé, avec des creux pour permettre la respiration de l’épiderme. Des petits coquillages venaient agrémenter les fils, laissés libres à la prise de l’air. Le pectoral attira l’attention de la conservatrice, lui donnant une impression de vertige.

Elle fut projetée dans son enfance. L’objet ressemblait aux outils agricoles utilisés sur Argam 4, lors de la saison de la moisson. Le demi-cercle possédait la même courbure que la faucille pour la récolte des fleurs d’anfroize : suffisamment large pour ne pas se briser sur les tiges imposantes de la plante, et maniable pour des mains d’enfants inexpérimentées.

Dans son souvenir, la coupe des végétaux libérait une partie de leur pollen rouge qui voyageait avec le vent. Des pétales ivoire accompagnaient cette danse de couleurs, pour finir par s’échouer dans les dunes des terres arides. La couche supérieure de sable blanc arborait la teinte carmin, puis le temps venait mélanger les grains.

La coquille arrondie dans ses mains représentait parfaitement l’environnement de sa planète natale. Les tons secs et fleuris se toisaient, se touchaient et se rencontraient selon les règles d’un art abstrait. Keye y trouva le même manque de sens que pour Argam 4, de simples nuances au service d’un but sociétal : beauté ou troc pour le kina et commerce ainsi que survie pour l’anfroize.

Mécaniquement, la conservatrice passa la main sur les tâches colorées du pectoral en nacre, et son ordinateur simula la rugosité des poudres teintées. Elle se souvint de son père, tentant désespérément de combattre l’avancée inexorable du sable, puis leur exil forcé.

L’oppression dans sa poitrine s’intensifia et sa respiration devint saccadée. Elle étouffait. Elle devait quitter le lieu sans plus attendre, avant que l’angoisse ne parasite entièrement ses pensées. Elle saisit le tour de cou et s’approcha de l’adolescente pour lui installer l’artefact. À la dernière seconde, elle se ravisa, épargnant l’enfant du poids de la disparition de leurs deux peuples.

Elle plaça le kina sur un homme, dont le torse n’était paré que d’une couronne végétale. D’une main hésitante, elle arracha une fleur factice blanche du sol et la déposa dans la chevelure de la jeune Mélanésienne, comme une offrande de paix.

Une capsule de voyage vint la chercher pour la ramener sur le vaisseau de transit. Elle s’installa au hublot principal de la salle de commande afin d’observer l’objet céleste. La galerie planétaire était finalement prête pour son ouverture au public.

Après vingt ans de construction, la caste des conservateurs était parvenue à ériger une copie exacte de la Terre, disparue depuis plus de quatre-cents ans à la suite d’une erreur de terraformation. Les habitants des diverses galaxies arpenteraient sous peu la planète musée et ses nombreuses zones civilisationnelles. Les expositions changeraient grâce aux ressources des collectionneurs, et permettraient de faire perdurer les racines culturelles des générations nées hors-Terre.

Catégorie Jeune de –20 ans : Elise Renard-Houël

Son récit est inspiré de « l’instrument de musique »,  Vina Sarasvati, fin du 19e siècle, provenant d’Inde du Sud, composé de bois, métal et pigments.

L’objet était exposé à la Bibliothèque de Lyon 7ème

© Musée des Confluences, Olivier Garcin.

 

Arrêtez de vous disputer !

Je bouche mes oreilles de mes mains, je serre à m’en fissurer le cerveau, mais les cris s’infiltrent encore et chamboulent tout dans ma tête. Ils envahissent toute ma chambre, alors que la porte est fermée, claquée et les coussins devant, mais les insultes sillonnent l’air ; c’est comme des cafards qui se glissent dans tous les petits trous, on en a eu l’année dernière à l’école, les cafards revenaient toujours par une nouvelle fente, même si on essayait de les arrêter ça continuait. Les parents, c’est un peu comme des cafards.

Une main sur mon épaule. « Isha ! » Mes paupières se décollent, j’y vois flou et mouillé mais je reconnais le chuchotement. « Isha, viens ! » Elle prend ma main et me tire, et je la suis sans m’en rendre compte, sans me crisper parce que la dispute devient plus forte, plus proche ; je suis comme sonnée, mais rassurée : Lavali est là et son énergie fuse sous ses doigts, autour de mon poignet. On traverse la maison, des souris sur les épais tapis, et on avance jusqu’à la grande porte du fond. Je fronce les sourcils malgré les larmes : « Lavali… C’est le bureau… » Elle se retourne et me tire un sourire, un sourire étincelle de grande sœur qui-sait-très-bien-ce-qu’elle-fait-même-si-c’est-interdit. Ses cheveux noirs lui glissent un peu devant les yeux, mais je vois bien qu’elle rit des yeux, en silence, comme elle sait faire quand ils crient. Elle tend sa main droite, effleure le bois verni de la porte, saisit la poignée et la tourne, très doucement… Elle pousse la porte, centimètre par centimètre, si on va trop vite elle peut grincer, elle pousse et elle me tire de son autre main car elle ne me lâche pas, jamais. On entre dans le bureau. La lune passe à travers la fenêtre, Papa a oublié de tirer les rideaux ; elle danse sur les livres qui forment des montagnes sur le sol, ou bien un fleuve de mots qui risque de nous engloutir. Lavali s’en moque, elle est rayonnante, comme un soleil face à la lune.

« Regarde, Isha ! Il est pas merveilleux ? » Au centre du bureau, entre les dossiers incomplets et les livres ouverts, trône une masse noire, une créature ? Ou un objet ? Je plisse les yeux mais l’obscurité absorbe tout. Je recule, j’ai envie de partir, mais elle serre fort mon poignet. « Attends. Juste un peu, tu vas voir, c’est génial. » Elle attrape le noir et le tire vers elle, il s’avance et engloutit tout dans un frottement étrange, comme le son du vent dans les roseaux. Elle lâche le drap et révèle l’objet :

« C’est… une guitare ? – Presque. »

Lavali abandonne ma main, va de l’autre côté du bureau et se penche, l’ampoule de la lampe de bureau s’illumine et l’instrument jaillit de l’obscur. Je sais que Papa rapporte des trucs étranges du musée, mais aucun objet ne m’avait marqué comme ça, celui-ci me tape à travers l’œil, droit dans l’âme. Ce n’est vraiment pas une guitare. Le bois paraît plus noble, plus riche, ses rainures sont comme des vagues, mais des vagues vivantes, qui voguent et portent la musique. Le long manche semble indiquer une direction, un but lointain pour les cordes prêtes à résonner : Lavali n’hésite pas, ses yeux brillent, elle est envoûtée, elle les effleure, puis les pince. Cela ne produit pas une « musique », comme on peut l’écouter dans des vidéos, mais un son plus profond, qui trifouille la poitrine. Ces quelques notes me rappellent quelque chose, mais je ne sais pas quoi, elles s’infiltrent en moi pour tirer le souvenir de ma mémoire, comme un vieux jouet resté coincé au fond du tiroir qu’on retrouve un jour, sans s’en rappeler, mais qui sonne familier, qui semble miroir de mon ancien moi. Les notes de la mélodie improvisée dansent étrangement dans la pièce, elles font la ronde : c’est qu’elles traversent une sphère pas tout à fait parfaite, un petit bulbe doré, qui ressemble un peu à une lanterne. Des formes végétales ornent ce bulbe, j’ai presque l’impression qu’elles bougent avec le son, qu’elles s’en nourrissent pour croître. Et tout au bout du manche, la

figure qui m’attire le plus, qui semble profiter qu’on lui gratte le dos…

« Le dragon ricanant. Je l’appelle comme ça. C’est lui, le vrai maître du luth. Peut-être qu’il porte le message de Sarasvati. »

Luth. Sarasvati. Je retourne ces mots dans ma tête, je les soupèse, ces mots : ils ont l’air tout simple comme ça, mais leur ombre paraît si grande que j’ai peur de bien les comprendre. J’aimerais peut-être rester dans l’ignorance de mes huit ans ? Je ne sais pas. Mais je sens sur mes lèvres un goût irrépressible et piquant, comme un parfum de mystère.

« Sarasvati ? C’est qui ?

  • Une déesse hindoue. C’est la plus intelligente, c’est elle aussi qui sait bien parler. J’aientendu aussi que c’était elle qui avait inventé le sanskrit.

  • Le sanskrit ?

  • Une langue qui était importante avant. J’ai vu Maman en parler, hier, avec les invités, c’estpour ça que je connais tout ça. Elle était fière que ce soit une femme. »

Je fronce les sourcils. Je suis encore dans la brume magique du luth, je ne veux pas retourner si violemment dans la réalité. Elle le voit et elle sourit, puis elle pince deux cordes.

Son sourire est comme une mélodie.

« Isha, tu t’en souviens ? D’avant l’adoption je veux dire ?

  • … C’était il y a longtemps, j’étais trop petite. Et toi ? Tu te souviens d’où on vient ? – Je suis pas sûre… »

Elle s’assoit contre le mur, en face de moi. Elle me fixe droit dans les yeux pour créer un chemin direct entre nos pensées.

« Mais je crois que je me rappelle un peu. Quand je serre mes paupières, très fort, je me souviens du soleil.

  • Le soleil ?

  • Le soleil là-bas était plus rouge qu’ici. Plus brillant et plus grand aussi. J’avais vraimentl’impression qu’il était vivant, même qu’il vibrait. Ou alors c’est moi qui le regardais trop longtemps. Il résonnait, comme un tambour géant, et, en rythme, les nuages commençaient à onduler… Peut-être bien que c’était le dragon de Sarasvati qui dansait… »

Je ferme les yeux. Un éclair lumineux flashe, je me souviens par bribes. Les écailles frissonnantes, les cornes rutilantes ; et les flammes, les flammes vertes…

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