Théâtre / Impossible d'attaquer la saison 2022-23 sans regarder dans le rétroviseur de la saison précédente qui a permis de constater que les spectateurs ne sont pas tous revenus dans les salles et encore moins démultipliés face à l'offre exponentielle. De même qu'au cinéma et dans la musique, la crise covid a laissé des traces. Peur du virus, changement d'habitudes, préférence pour le canapé-Netflix, baisse inexorable du pouvoir d'achat, les prochains mois devraient permettre d'y voir plus clair avec des propositions à foison.
« Se ré-inventer » disait naïvement (méprisamment ?) le président de la République en pleine tourmente sanitaire, à l'été 2020 sur les conseils de sa conseillère culture devenue entre-temps ministre, Rima Abdul-Malak, attentive autant au spectacle vivant qu'aux musiques actuelles. Mais les directions des théâtres n'ont pas attendu qu'on leur serrine la réinvention pour multiplier les liens entre artistes et habitants et, dans le même temps, elles font ce vieux job qui ne nécessite pas d'être redynamité tous les quatre matins : proposer des spectacles de qualité à des spectateurs curieux (les têtes d'affiches désertent un peu les rangs des théâtre publics cette saison quoiqu'elles squattent le Radiant, délégation de service public, très abondé par la ville de Caluire : Vanessa Paradis sera là avec Maman notamment en décembre ou Gérard Darmon, Clotilde Courau, Max Boublil dans Une situation délicate, janvier).
Si en 2021-22, les directeurs et les directrices ont fait le constat que le public privilégiait les classiques aux découvertes, aucun ne renonce à soutenir la création. Jean Bellorini, directeur du TNP se disait même heureux en mai dernier de revenir en 22-23 à l'ADN de ce qu'est un centre national dramatique : une maison de création et un long temps de travail en amont : huit créations seront répétées entièrement au TNP qui affiche cette saison 215 levers de rideaux contre 300 la saison précédente. Les spectateurs supplémentaires (115 000 contre 80 000 comme habituellement) attendus ne sont pas venus « mais c'est déjà beaucoup étant donné les mesures sanitaires » (NDLR, le port du masque était obligatoire jusqu'aux élections nationales du printemps). Même son de cloche aux Célestins qui ont particulièrement souffert de ce manque de nouveau public qui « s'est au mieux dispersé, au pire on l'a perdu » s'inquiétait Pierre-Yves Lenoir, co-directeur, au début de l'été devant le constat de ses salles très clairsemées, ce qui engendre un trou dans le budget de ce théâtre municipal puisque la part de vente de billets en représente 25%. Le théâtre de la Comédie Odéon, privé, ou de petites salles publiques comme les Clochards célestes se sont elles bien portées... Tous les mystères ne sont pas levés. La baisse aléatoire, brutale et toujours en cours de la Région n'arrange pas le tableau financier.
Moins de reports
Pourtant face à ces inquiétudes, les locomotives pré-citées n'ont pas baissé les bras sur la qualité (c'eut été un comble) tout en proposant des reprises, des périodes longue durée de présence d'artistes. Chassez l'éphémère au risque de kidnapper du temps d'exposition à d'autres artistes : équation sans fin. Donc le TNP, outre ses créations (avec des artistes suivies comme Margaux Eskenazi qui travaille sur la Marche pour l'égalité et contre le racisme, passée notamment par Vénissieux, 1983 en novembre) accueille le fondateur (et quelque peu perché) Crocodile trompeur de Samuel Achache et Jeanne Candel (juin), l'exceptionnel monologue de Dominique Blanc dans La Douleur alors dirigée par Patrice Chéreau, et aujourd'hui son collaborateur Thierry Thieû Niang (sept-oct) ou Le Petit Chaperon rouge (avril) de Joël Pommerat, merveille de conte re-trafiqué avant que le metteur en scène successfull ne triomphe avec Pinocchio puis Cendrillon. Bellorini fait lui une vraie-fausse reprise en proposant Le Suicidé (janv) de Nicolaï Erdman qu'il avait monté précédemment avec le Berliner Ensemble.
Les liens entres les théâtres sont plus renforcés que jamais avec des artistes qui passent de l'un à l'autre, manière de fidéliser intelligemment le public. C'est le cas avec le metteur en scène scénographe Marc Lainé qui sera à la Renaissance (Nos paysages mineurs, mars) et aux Célestins (Nosztalgia Express, janv), ses deux dernières créations en date, avec Johanny Bert à la Renaissance et à la Croix-Rousse pour trois spectacles, avec le nouveau directeur du festival d'Avignon Tiago Rodrigues deux fois aux Célestins (comme metteur en scène écrivain avec Dans la mesure de l'impossible, oct, et comme auteur avec son exceptionnelle Iphigénie, très sobrement adaptée par Anne Théron, janv) puis à la Croix-Rousse pour un Antoine et Cléopâtre (avril) ou encore avec Thomas Jolly. Pendant que le directeur du CDN d'Angers montera à la Seine musicale Starmania (mais quelle idée... !), ses anciens (Arlequin poli par l'amour, déc) et récents (Le Dragon, fév) travaux seront respectivement aux Célestins et au TNP.
Plus de reprises
Avec 45 spectacles dont 6 reports contre 50 la saison dernière, les Célestins sont encore lieu le plus dense des mois à venir avec une place forte faite aux écritures contemporaines (Petit pays de Gaël Faye, ms Frédéric R. Fisbach, janv ; Tropique de la violence de Natacha Appanah par Alexandre Zeff, nov ; Jeanne, Garraud, Marion Aubert, Samuel Gallet et tant d'autres...). En travaux dans sa grande salle de Vaise qui rouvrira en septembre 2024 avec scène et cage de scène neuves, le TNG se délocalise chez des amis (MJC Duchère, musées Gadagne...) et investit plus fortement son site en Presqu'île aux Ateliers pour offrir de salutaires focus sur des artistes importants durant un mois chacun : David Wahl, Marion Duval, Renaud Herbin, Frédéric Sonntag, Fanny de Chaillé et le collectif Das Plateau pour attaquer la rentrée avec un autre petit Chaperon rouge. À l'Elysée, Olivier Maurin prend ses quartiers pour cinq spectacles dont ses retrouvailles avec l'auteur japonais Oriza Hirata (Tokyo notes, sept).
Difficile bien sûr de résumer la saison à venir tant il y a de lieux dans la métropole et de surprises en perspective. Probablement que le mot d'ordre – s'il devait y en avoir un – serait la tentation d'aller vers l'inconnu. Le bons plans tarifs sont partout, dans les théâtres eux-mêmes, auprès de partenaires comme la bibliothèque municipale avec la Carte culture, les TCL (regardez, fouinez...). Notons enfin que le Théâtre du Point du Jour semble trouver sa vitesse de croisière avec un défrichage de compagnies intrigantes avec toujours l'indispensable Courir à la catastrophe qui plonge dans l'histoire du Groupe de travail de psychothérapie et de sociothérapie institutionnelles qui, dans les années 60 réunissait Felix Guattari, Jean Oury... (La Brande, nov) ou via les Portugais Inês Barahona Miguel Fragata, lié au Teatro Nacional de Lisbonne sous Tiago Rodrigues (L'Etat du monde, oct) et le collectif La Lenteur, issu de l'École de la Comédie de Saint-Étienne qui se colle au mythe de Johnny (janv). Possible que les stars de la variété française soient un nouveau filon du théâtre contemporain puisque Michel Berger sera aussi à l'honneur dans Seras-tu là ? de (et avec) Solal Bouloudnine (Célestins, nov). On demande à voir. Espérons au moins que ça ramène une partie du public des ventes et du streaming que génèrent encore ces monstres post-mortem.
Et les enfants ?
Pas moins de trois Chaperon rouge cette saison. La reprise du Pommerat au TNP avril où la mère de la petite fille est une working-girl, et celles présentées cette année à Avignon, dans le In avec Das Plateau au TNG (oct) dans un décor de forêt projetée au sol et en fond de scène qui inaugure le mois focus sur la metteuse en scène Céleste Germe et dans le Off celle de la compagnie Locus Solus qui reprend le texte de Pommerat (Patadôme d'Irigny, fév). Autre conte qui était aussi dans le In d'Avignon cet été : le Gretel et Hansel très réussi d'Igor Mendjisky qui se passe dans une chambre d'enfants (Célestins, déc). Un petit trésor accessible dès 3 ans revient après de longues tournées : dans Les Petites Géométries (TNG hors les murs, mars), Justice Macadoux et Coralie Maniez inventent tout un monde et grandissent la tête dans des cubes en tableaux noirs crayonnés à la craie. Présent dans quasiment toutes les salles désormais, les spectacles jeune public sont aussi accessibles aux grands. Les Clochards célestes, enrobés de leur nouvelle comm' magnifiquement dessinée par Gaëlle Loth, regorge de propositions en la matière comme ce Petit Prince (oct) basculé en milieu agricole avec l'équipe du cabaret Miz B. et Mister G. Tout est possible !