Classique / Connu par les amateurs de rock comme le guitariste et compositeur principal de The National, Bryce Dessner est aussi un compositeur classique dont l'œuvre pour orchestres de tout style, soliste ou quatuor de chambre est pléthorique. Le voici à l'Auditorium.
Si on ne s'intéresse qu'à l'indie rock (on a le droit c'est déjà un continent en soi qu'on n'a pas assez d'une vie pour explorer) et qu'on suit de près le groupe américain The National (sans doute l'une des meilleures choses qui soient arrivées au rock ces vingt dernières années) et à Bryce Dessner, alors on passe quand même à côté d'un gigantesque pan de la carrière de musicien du guitariste et compositeur du groupe (avec son jumeau Aaron).
Laquelle figure en quelque sorte un iceberg dont The National serait pour beaucoup de monde la partie émergée, le reste s'étalant de la BO de musique de films au ballet, de la pièce pour quartet à cordes (comme le Kronos ou Eighteenth Bird...), orchestres de chambre ou grand format, concerto pour quatuor ou duo de pianiste (El Chan et son Concerto pour deux pianos avec les sœurs Labèque) ou son St. Carolyn by the sea qui sera, comme le Concerto, présenté en regard de La Symphonie fantastique de Berlioz, comme un pont jeté entre l'Amérique de Dessner et l'Europe des sœurs Labèque et du fantastique Hector. Un pont qu'à vrai dire, Dessner a déjà franchi plus d'une fois, lui qui a terminé ses études de musique classique, entamées à Yale, dans notre capitale en 1999. Avant de revenir y vivre avec sa femme (la chanteuse Mina Tindle), il y a presque une décennie.
Accent français
Le compositeur ne cache pas s'être beaucoup nourri de l'influence française, de concerts dévorés à la Philharmonie de Paris, aux Bouffes du nord ou à l'Opéra Comique, de ce « côté lumineux » surtout qu'il perçoit dans une certaine tradition française qu'il vénère, de Ravel à Messiaen en passant par Boulez ou Dutilleux (« l'un de mes compositeurs préférés, sans aucun doute », confie-t-il). Si bien que sa musique, enrichie d'expériences aux côtés des grands maîtres américains du minimalisme que sont Philip Glass et Steve Reich, se colore volontiers d'un accent français qui répond avec l'accent américain de son français impeccable et que l'intéressé est pourtant un peu en peine de définir tout à fait. Pour Dessner, que la notion de genre intéresse peu, « la vraie question est celle de la collaboration : les sœurs Labèque m'ont ouvert à plein de choses, emmené dans d'autres univers musicaux. Comme mes amis de The National ou même Philip Glass ou Steve Reich avec qui j'ai joué quand j'avais 25 ans, dans les deux cas, l'expérience d'une vie. »
Un tableau de Manet
À cet égard, Bryce Dessner est tout aussi à l'aise de travailler avec des musiciens qui lisent la musique qu'avec d'autres qui travaillent à l'instinct, comme son frère Aaron : « parmi les musiciens les plus talentueux que je connais, beaucoup ne savent pas lire la musique et n'ont pas eu de formation classique. J'ai travaillé avec Paul Simon, qui ne sait pas communiquer avec une partition mais c'est un génie ».
Mais dans la catégorie de "ceux qui savent lire", il a sans doute fait avec les sœurs Labèque l'une des rencontres déterminantes de sa vie lorsqu'il s'est agi de leur composer El Chan ou ce Concerto pour deux pianos (« écrit sur leur propre piano ») : « Il n'y a pas chez elle de jugement élitiste sur ce qui serait de la musique ou non, nous confie celui sur lequel les étiquettes n'adhèrent pas. Et je n'ai jamais vu de musiciens travailler autant. Quel que soit le compositeur, elles donnent tout ».
Celles qui lui ont un peu rappelé sa manière de fonctionner avec son frère jumeau Aaron, le feront encore, ce soir à l'Auditorium, aux commandes du Concerto, en regard de St. Carolyn by the sea et de la Fantastique de Berlioz, qu'il a un peu de mal à rapprocher de son œuvre : « cette pièce, c'est un tableau de Manet ou de Picasso, c'est un incontournable et je ne sais pas si les miennes peuvent y être reliées. Ce qui est sûr, c'est que cette soirée va proposer un chemin vers la beauté. C'est comme ça qu'elle a été conçue. » Un chemin sur lequel il serait temps de suivre enfin Bryce Dessner.
Berlioz/Dessner
À l'Auditorium le samedi 15 octobre