Bryce Dessner : « les soeurs Labèque sont aussi importantes que Philip Glass »

Berlioz / Dessner

Auditorium de Lyon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Classique / De passage à l'Auditorium, où il vient présenter notamment son Concerto pour deux pianos, écrit pour Katia et Marielle Labèque, le guitariste de The National Bryce Dessner, très versé dans le classique et la musique contemporaine nous raconte son rapport à la musique, aux genres, à la composition, et sa rencontre avec ses adorées interprètes du soir. 

On vous connaît comme guitariste et compositeur de The National, moins comme compositeur à la formation classique et auteur de ballets, de concertos, de pièces pour orchestre ou orchestre de chambre – une particularité que vous partagez avec beaucoup de vos collègues américains étiquetés pop. Il semble qu'aux États-Unis, les barrières entre les genres semblent beaucoup plus faciles à briser qu'en France, où les musiciens font rarement à la fois du rock et ce qu'on appellera du classique. La question du genre a-t-elle une importance pour vous ? 
Bryce Dessner : C'est une question qui m'est souvent posée et c'est un grand sujet. Mais j'ai un point de vue différent, surtout sur l'aspect européen et même spécifiquement français. Dans un certain sens, je trouve le public et le milieu des conservatoires, des orchestres, très ouvert en France. Au contraire du milieu orchestral américain, qui est très conservateur, sauf à New York et Los Angeles. Ce sont des institutions assez réactionnaires et on trouve des programmes beaucoup plus ouverts en France et en Europe, en Hollande, en Angleterre. Évidemment, les choses ont changé depuis les années 50 à 70.

En général, la musique, pour moi et ma génération, ou les plus jeunes, parce que je vais avoir 46 ans, est davantage un langage personnel : il s'agit de trouver ce qu'on a à dire plutôt que de s'affilier à une école ou une idéologie musicale – musique tonale, atonale, sérielle, minimaliste. Évidemment quand on étudie la musique ces notions sont quand même essentielles. Moi je viens d'un milieu classique, depuis tout petit je n'ai fait que ça. Mais bien sûr ma génération a grandi avec le rock ou d'autres musiques et j'ai très tôt fait un groupe avec mon frère, Aaron [NdlR : l'autre guitariste de The National]. Donc le rock a toujours été là aussi. En fait, le sujet le plus important pour moi musicalement, c'est sans doute la notion de collaboration. Les sœurs Labèque par exemple m'ont ouvert à plein de choses, emmené dans d'autres univers musicaux. Comme mes amis de The National ou même Philip Glass avec qui j'ai joué quand j'avais 25 ans. 

Votre frère jumeau Aaron n'est pas du tout dans le classique, lui...
Il n'a jamais étudié la musique formellement, contrairement à moi. Je communique beaucoup avec des partitions et des manuscrits, lui ne sait pas lire la musique et communique autrement. Et c'est peut-être une clé à cette question de genre. Steve Reich dit que ce n'est pas une question de musique populaire ou pas populaire mais de musique notée ou non notée. C'est vraiment un langage et un outil. Avec les musiciens de l'ONL, on va aller assez profondément dans notre dialogue juste avec les partitions. Mais ce n'est pas la musique, c'est juste le point d'entrée de la création d'une œuvre. Et ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas communiquer avec quelqu'un qui ne lit pas la musique, le dialogue prend juste des formes différentes. Il faut dire que parmi les musiciens les plus talentueux que je connais, beaucoup ne savent pas lire la musique et n'ont pas eu de formation classique. J'ai travaillé avec Paul Simon, qui ne sait pas communiquer avec une partition mais c'est un génie. 

Philip Glass dit que peu importe où, comment, quoi on compose, c'est toujours de la musique. Mais vous faut-il vous mettre dans des états d'esprit différents lorsque vous composez pour The National, pour un concerto ou pour un ensemble à cordes ?
Ce sont des formes différentes, comme la poésie ou le roman lorsqu'on écrit, comme les différentes formes d'articles que vous pouvez écrire, j'imagine. Ce qui m'intéresse dans la musique qu'on dira orchestrale ou classique, la musique de concert, celle qui est faite avant tout pour être jouée en live, c'est qu'on ne peut pas tout dire en trois minutes, chose que l'on fait dans une chanson pop – et la chanson est pour moi la base de tout le reste, Schubert a fait des chansons incroyables, Mahler aussi.

Mais donc ce qui m'intéresse beaucoup ce sont des pièces de 30 minutes ou le concerto qui est un format génial parce qu'il entraîne un dialogue entre un soliste et un orchestre – pour un compositeur c'est génial. J'ai déjà écrit des pièces pour orchestre sans soliste et j'aime ça mais c'est moins vivant, le public peut se dire « ouais, autant écouter Beethoven » (rires). Un concerto, par le dialogue qu'il instaure entre le soliste, l'orchestre, le compositeur, s'il est vivant, d'une certaine manière justifie de faire ce genre de musique après tant de chefs d'uvre passés. J'ai écrit ce concerto pour les sœurs Labèque mais dans leurs mains, ça devient complètement autre chose, ça devient une histoire entre deux sœurs et ça m'échappe un peu. C'est merveilleux.

Vous même vous définissez comme un compositeur new-yorkais, au croisement de scènes purement new-yorkaises comme le rock et le minimalisme de Steve Reich ? Partant de là, le fait d'être venu vivre à Paris a t-il une influence sur votre musique ? 
J'ai aussi fini mes études à Paris en 1999, ce qui fait que j'ai une longue histoire avec la musique française et avec Paris comme ville. À New York pendant quinze ou vingt ans j'ai travaillé avec tout un tas de musiciens incroyables comme Steve Reich. Mais en arrivant à Paris, j'ai découvert la Philharmonie, je pouvais voir toutes les semaines des concerts incroyables à l'Opéra, aux Bouffes du Nord, à l'Opéra Comique. J'ai découvert des compositeurs français d'avant-garde, moins connus mais plus exigeants. Ça m'a beaucoup influencé. Il y a aussi quelque chose de français qui existe chez Ravel, chez Boulez, chez Messiaen ou chez Dutilleux – qui est d'ailleurs l'un de mes compositeurs préférés – c'est une sorte de luminosité, une beauté verticale dans les sonorités. Je n'oserais pas dire que j'arrive à ça mais ça m'influence. 

Comment s'est faite cette collaboration avec les sœurs Labèque et comment avez-vous composé pour elles qui sont des interprètes très spéciales ?
Je les ai rencontré à la Philharmonie en 2014, je présentais une pièce le même soir qu'elles donnaient un concerto. Ce sont des personnages mythiques, tellement sympathiques, mais surtout je n'ai jamais vu des musiciennes travailler comme ça, avec une telle discipline. Aux États-Unis, quand on fait de la musique contemporaine, on répète une journée, elles, elles travaillent trois mois minimum. Il y a quelque chose de l'ordre de l'Amour : quel que soit le compositeur, elles donnent tout.

Pour moi elles sont aussi importantes que Philip Glass, elles ont ouvert des portes dans cette idée que tout est musique, il n'y a pas chez elles de jugement élitiste sur ce qui serait ou pas de la musique. Ça m'a beaucoup inspiré. J'avais déjà composé El Chan pour elles et ça m'a permis de comprendre leur manière de dialoguer entre elles, leur technique. Ce concerto est vraiment fait pour leurs mains, je l'ai même composé sur leur piano. Katia et Marielle sont une des rencontres les plus importantes de ma vie.

Avez-vous retrouvé dans cette sororité très fusionnelle des sœurs Labèque, quelque chose du travail avec votre frère qui vous aurait touché ?
C'est sûr que cette manière de télépathie m'a forcément inspiré. Avec mon frère on a cette manière de communiquer propre aux gens qui sont ensemble depuis la naissance. Mais c'est aussi ce que j'aime dans un orchestre, voir des musiciens qui se connaissent communiquer sans se parler, comme s'ils étaient connectés. Entre deux sœurs ou deux frères c'est encore plus fort. Mais ça peut aussi être difficile car c'est intense. Et ce qui est vraiment intéressant avec Katia et Marielle c'est qu'elles ne font pas la même chose.

Votre œuvre est ici interprétée en regard de La Symphonie fantastique de Berlioz. Pour le profane, expliquez-nous ce qui les relie ?
La Symphonie fantastique, comme Le Sacre du printemps de Stravinski, c'est une référence très puissante dans l'histoire de la musique orchestrale, c'est un point aussi important que le sont les tableaux de Manet, Picasso ou De Vinci, une porte par laquelle on doit tous passer. En école de musique, La Symphonie fantastique, c'est un mois de cours (rires). Je ne sais pas si peux dire que mes pièces sont directement liées à cette œuvre – même si dans le concerto, il y a quelques moments qui peuvent faire penser à La Symphonie fantastique – ce qui est sûr c'est que cette soirée va proposer un chemin vers la beauté et vers la lumière, c'est comme ça que le programme a été conçu.

Difficile de ne pas évoquer The National... Y a-t'il quelque chose à venir ?
On a fini un album et même un peu plus qu'un album. On est en train de terminer les mixes. Ça devrait sortir en 2023, au printemps si tout va bien, mais vous savez que les délais pour les vinyles sont immenses, et ça bloque un peu tout le monde. En tout cas, n est très content, ç'a été une période très difficile mais on a réussi à trouver quelque chose de nouveau et puissant entre nous, encore aujourd'hui. C'est étonnant après vingt ans. On va vivre encore un chapitre du groupe et personne ne sait quand ça s'arrêtera.

Berlioz / Dessner
À l'Auditorium le samedi 15 octobre

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