Myriam Gendron : chanteuse à voies

Folk / Dans sa grande sagacité, l'Opéra Underground a eu la bonne idée d'inviter une figure montante du folk québécois – un concept en soi vu d'ici – en la personne de Myriam Gendron. La jeune femme, qui a livré cette année Ma délire, songs of love, lost & found, y pratique un folk sans âge qui semble abolir le temps et brouille les notions de chanson traditionnelle et de composition originale pour atteindre au sublime. 

Vous n'entendrez rien d'aussi beau en 2022 que Go away from my window, la chanson qui ouvre Ma délire, songs of love, lost & found, le dernier album de la québécoise Myriam Gendron, libraire et folkeuse originaire de Gatineau qui donne au folk contemporain (si tant est que ces deux mots puissent être accolés) des semelles de vent pour échapper au passé tout en le regardant dans les yeux (oui, ça demande un peu de souplesse de corps et d'esprit mais c'est comme ça).

Ce faisant, la musicienne québecoise ramasse des tonnes d'influences parfois antédiluvienne pour les transformer en matière inédite. Voilà le tour de force (et donc la souplesse). Car on dit folk mais il faudrait rallonger le diminutif : « folklorique », « folkloriste » serait plus approprié, tant la musique de Gendron charrie de limon vieille école remontant aux calendes nord-américaines – et donc, par extension au dessus de l'Atlantique, européenne. Un folklore parfois oublié car au Québec comme ailleurs, celui-ci a parfois été repassé, écrasé, par une modernité rampante qui voudrait nous pousser à empailler tout ce qui n'est plus – ou ne devrait plus être – pour le poser là, voilà, pas bouger.

Poor girl blues

À tout cela, Myriam Gendron redonne quelque chose comme une identité et une raison d'exister, celle de constituer une boussole guidant son monde par l'arrière. Ainsi faut-il peut-être entendre les paroles de Poor girl blues, sur lequel elle mixe des vers du Canadien Errant (The Lost Canadian) de Leonard Cohen, en décalant au passage le point de vue : « J'suis une pauvre fille, loin de sa famille / J'ai perdu mon pays et ma maison / J'ai perdu mes amis, j'ai même perdu mon nom / J'suis une pauvre fille loin de sa famille / Mon pays, je ne le verrai plus / Les beaux jours sont disparus / J'erre sur la terre comme une étrangère / J'suis une pauvre fille loin de sa famille ». Ici il faut lire comme une nécessité de se reconnecter avec des racines, la musique comme medium, y compris au sens paranormal du terme, pour réparer ses propres errances. 

On pourrait distinguer reprises et chansons originales – sur cette dialectique marche depuis toujours la musique folk – mais la chose serait vaine. Car dans tous les cas, avec Myriam Gendron, c'est à chaque fois un peu plus que cela. Ma Délire, album de chanson traditionnelle est aussi une création originale. Il faudra davantage parler de "refondations" offrant de nouveaux et multiples niveaux de lecture. Comme lorsque sur son premier disque, elle mettait en musique les poèmes de Dorothy Parker pour faire émerger une troisième voie du un plus un : la poétesse plus la musicienne, cela donnait une tierce entité artistique qui devait tout aux deux précitées et en même temps pas grand-chose. On peut le constater en mettant dos à dos deux titres : I Wonder as I Wander, emprunté à John Jacob Niles, sorte de Tim Buckley primitif à la voix insensée, et La jeune fille en pleurs, qui lui succède sur l'album toute en claudications jazz. Les deux racontent l'errance et surtout le même projet musical, désignent cette manière qu'a Myriam Gendron de plier les uns sur les autres des pans entiers du folk comme on plierait l'espace-temps pour créer des raccourcis quantiques dans l'univers infini du folk – à quoi sert un raccourci dans l'immensité de l'infini ? Vous avez quatre heures.

Trois accords et la Vérité

Au centre, au cœur du disque, on trouve Au cœur de ma délire, revisite d'une chanson de Claude Gauthier, figure folk canadienne et prince de la variété locale – au Canada on peut être les deux –, mais surtout genre de messe noire qui marie le Leonard Cohen le plus sépulcral et la Nico la plus avachie, agit comme un concentré de cet univers d'errance éternelle : où, comme des échos de dimensions parallèles un chant de criquet, des bruits d'enfants et la bande-sonore d'un reportage télévisé sur un accident de la route viennent parasiter une berceuse en forme de requiem amoureux. Tout cela, Myriam Gendron le tisse méticuleusement avec une solennité biblique qui tient toute entière dans un chant antédiluvien et un jeu de guitare dont la sobriété est une virtuosité – il y a là quelque chose de l'American primitive guitar la plus pastorale, d'un psychédélisme rentré. « Trois accords et la Vérité », énonce le mantra multi-cité de la country music attribué à Harlan Howard en tant que définition absolue et définitive du genre. Et de fait, on ne peut pas dire ici qu'il y a la moindre note en trop.

Chez Myriam Gendron, la vérité surgit parfois simplement dans les extrasystoles d'une batterie qui déraille, la distorsion d'une guitare, le plus souvent dans l'épure comme sur Le Tueur de femmes, confession d'un tueur en série aux air de fabliau – car la vérité n'a pas besoin d'extra et s'exprime aussi bien en anglais qu'en français, parfois les deux à la fois dans la même chanson, et se contrefiche du genre narrateur. Ma délire c'est un peu un grimoire, un incunable, un herbier folk dans lequel la chanteuse tenterait d'inscrire à jamais quelques braises de la mémoire collective musicale, d'en perpétuer et renouveler les formules – ses formules – ensorcelantes, comme on consigne des incantations. La tradition reste orale mais elle se grave, s'immortalise. Myriam Gendron, à sa manière, est une immortelle. 

Myriam Gendron, Ma délire, songs of love, lost & found (Les albums Claus)
À l'Opéra Underground le lundi 7 novembre

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