Salem : « j'avais intégré qu'avec un nom d'Arabe, je ne vendrais pas de BD »

Activiste / L'artiste, auteur, tatoueur et dessinateur de BD Mehdi Laïd sévit sous le nom de Salem. Depuis peu, il met en avant les scènes underground lyonnaises, à traver son podcast Under The Ground. Rencontre avec un artiste qui transcende les disciplines.

Vous avez récemment changé de nom d’auteur. De Raven Quarts, vous êtes passé à Salem, en écho au nom que vos grands parents ont perdu en arrivant en France.
Salem : Ça me fait bizarre d’entendre mon ancien nom, ça faisait pourtant des années que je l’avais. Quand j’étais petit, j'avais intégré qu'avec un nom d'Arabe, je ne vendrais pas de BD. Alors j’ai choisi ce nom au hasard. Tout ce que j'ai créé, tout ce que j'ai construit jusqu’ici, c'était avec Raven Quarts. C’est comme si tout s’est effacé, comme tuer un perso dans une histoire. Salem, ça veut dire quelque chose de moi, de mon histoire.

Ce changement d’identité légitime-t-il encore plus votre propos, votre combat politique ?
Ça le justifie encore plus. C'est une meilleure identité pour continuer à faire des choses, d'avoir un nom aussi reconnaissable. Le porter, c’est presque une mission, il ne faut plus qu'il tombe dans l’oubli. J'ai toujours eu cette envie de faire des grandes choses. Pas seulement pour être célèbre, mais parce que je veux une estrade pour pouvoir dire aux gens : « oh, les Arabes, c'est pas tous des terroristes, on fait des trucs aussi. » (rires) Et faire profiter à d’autres Salem de mon estrade. Quand tu n'as pas d'estrade, tu ne peux pas le dire aussi fort.

Vous n’envisagez pas votre travail autrement que politique ?
Dans l’épisode de podcast avec Soprane, elle dit « mon existence a toujours été politique » et c’est juste. Moi, c’est parce que je suis Arabe. En traînant avec des gens politisés, queer, racisés, qui ont des questions politiques alternatives, je me rends compte que c'est impossible aujourd'hui de ne pas être politique dans ce que je fais. Notre monde se déchire socialement, écologiquement. Si tu as conscience des problèmes, c’est un choix qui s’impose. Je ne dis pas que tout le monde devrait le faire, au contraire, c'est hyper nécessaire d’avoir une respiration. Mais moi, je considère que mon boulot, c'est ça.

Cette veste que j’ai en vrai

Vous le faites aussi sur les réseaux sociaux, à travers votre personnage, celui que vous dessinez avec sa grande cape noire pour raconter votre histoire. Il semble inspiré du manga, comment est-il né ?


J’ai beaucoup dessiné de mangas. J’ai des mimétismes de main qui n'ont jamais bougé. Je me suis représenté de pleins de façons différentes, c’est vraiment une évolution de la santé mentale. Avant, il était renfermé sur lui, maintenant, c'est un gars qui a une prestance, bien droit, avec cette veste que j’ai en vrai, qui est devenue une belle cape à fourrure. Il évoque aussi ma racialité, il a mon nez crochu d’Algérien. Ses traits simples me permettent de dessiner vite pour servir un propos. Avec la BD, je parle d’un sujet, j’ai besoin que les gens se concentrent dessus sans passer cent ans à regarder le dessin. Je ne me considère pas comme un bon dessinateur, mais comme un bon artisan de mon dessin. Il n’y a rien que je ne puisse pas représenter pour dire ce que je veux.

À l’inverse, dans votre ouvrage Oxymore (recueil d’illustrations qui mélange musique, texte, dessin..), le trait est plus abrupt, rempli de détails… Pourquoi ce style, et qu’est ce que ce livre ?
Parfois, tu as besoin de raconter d'autres choses. Les styles de dessin doivent servir ton propos. Dans Oxymore, j’avais besoin d'un dessin qui impressionne. Plein de petits points, de hachures… J’avais besoin de puissance dans le dessin. Oxymore, c’est le titre de mon livre mais ça fait aussi partie d'un univers que j’écris. Ce sont deux faces d'une même pièce. Il y a la réalité, et la face cachée, qui est l'intérieur de l’artiste. La soif de création et l’insatisfaction chronique. Je le représente par un personnage en feu qui brûle tout autour de lui. Puis le feu devient cendre, les cendres deviennent noires et le noir devient fourrure et le réchauffe.

Vous parlez de vous en planches, et des autres, dans votre nouveau podcast Under The Ground, en allant à la rencontre de la scène artistique lyonnaise. 
Notre jeunesse a des choses folles à dire. On a plein de questions sur l'identité, sur l’immigration… La télévision c'est quelque chose de fou, mais on a des vrais dinosaures qui donnent leurs avis sur des choses qui datent d'il y a trente ou cinquante ans. Parler en inclusif par exemple, c'est un truc que je considère normal maintenant. À la télé, c’est encore bien compliqué. Du coup, j’ai très envie de donner la parole à ces gens pour qu'ils puissent dire : « regardez l'époque, elle change » tout en créant du divertissement et du show.

Est ce que je suis le seul à être taré dans ma discipline ?

Quelque chose à la Jimmy Fallon émane dans votre dernier podcast filmé à Collision, avec du public. On ne s’étonnerait pas non plus de vous voir un jour sur les planches d’un comedy club…
C’est mon rêve, j’adore le stand up. J’ai une part de jalousie des gens du théâtre ou de la musique car eux, ils jouent, et le public applaudit. C’est tangible d’un coup. Quand t’es auteur, les seuls retours que tu as vraiment sont sur Internet. C’est pour ça que j'ai voulu faire une émission en public. Aujourd’hui, on ne fait plus un seul métier. Au-delà d’auteur, je voulais être entertaineur, il n'y a pas vraiment de mot français. Faire des podcasts, de la radio, de la télé, des émissions, inviter des gens, nous aider à voir émerger le nouveau monde artistique populaire. J’ai toujours considéré qu’il y avait une scène folle à Lyon mais qu’on reste dans nos coins. Quand j’ai commencé à côtoyer le milieu et la scène punk rock lyonnaise, j’ai rencontré des artistes qui s’accomplissent. Les histoires des gens me fascinent. J'avais envie de savoir : pourquoi tu fais ça ? Est ce que je suis le seul à être taré dans ma discipline ? Non, parce que maintenant, on me le dit, et c’est rassurant.

On sent aussi une envie de sortir de la solitude qu’impose le métier de dessinateur / auteur, à rester enfermé pour créer…
J’en avais marre d’être dans ma chambre, je voulais picoler avec des amis, être autour d’un canap' et créer une grande fête. Il y a un vrai moment de scène sans que rien ne soit écrit. Inviter des auteurs et autrices de BD (Mathilde Bonin alias Floxxi, Maïa Neel, Théo Grosjean) à dire « venez, on sort de notre chambre et on se montre. » était symbolique. C'est le meilleur moyen de créer un monde d’art. Quand on a les talents, les gens motivés, qu'est-ce qui peut t’arrêter ?

La BD peut parfois être négligée dans le monde de l’art. Est-ce un sentiment que vous avez éprouvé en pénétrant ce milieu ?
J’ai fait les Beaux-Arts, j'ai été confronté à des artistes. Les artistes de l'art contemporain ! Des trucs sombres pour moi, à l’époque. La BD n'existait pas là-bas, elle était méprisée. C'était compliqué de faire comprendre que c’était mon travail. On me disait « ok, mais il faut que tu fasses du vrai art, le bel art avec le grand  A. » Grâce à ça, j'ai quand même sorti un bouquin qui n'était pas une BD, et j’ai exploré la vidéo, la radio…

Vous avez sorti votre première BD à quinze ans en auto-édition, vous gérez vos réseaux sociaux, votre image… Quelle place a l’entreprenariat dans l’art, est-ce un gros mot ?
Ça ne marche pas séparément.. Si tu es un artiste et pas un entrepreneur, tu es un peintre du dimanche, c’est un vrai terme. Bien sûr, il y a de l'entrepreneuriat bien de droite où l’on ne parle que de thune. Mais quand tu fais de l'art, ce n’est pas parce que tu es un entrepreneur que tu brasses des thunes. Les artistes ont peur de perdre leur statut de poète en se disant entrepreneur… Ça fait moins rêver c’est sûr. Cette question revient beaucoup dans le monde de l'underground que je côtoie. L’underground serait l’underground spécifiquement parce qu’il n’y a pas de thunes. En discutant avec le groupe Antenn.e (deuxième épisode de Under The Ground) qui est le meilleur groupe actuel émergent, je me questionne...

Pareil pour les réseaux, je connais plein d’artistes qui n’aiment pas, car ils ont eu la chance d’avoir cette éducation artistique de « l’art est grand, l’art est beau ». Moi, j’ai fait des études d’art après avoir commencé à bosser. Tout était question de thune. Le vrai talent, c'est être capable de s'adapter à l'époque dans laquelle tu vis. On a des trucs qui nous permettent de montrer ce qu'on fait. Eh bien, on va apprendre à s'en servir. Être hyper bon n'a jamais suffi et ne suffira jamais. Et parce que tu génères du monde, tu t’améliores encore. Quand j'ai commencé à quinze ans avec ma première BD, je voulais raconter des histoires. C’était mon obsession. Il me fallait un réseau, je savais aussi à quel point, quand t'es d'une minorité, c'est difficile de se faire entendre. Le premier truc que j'ai fait dans mon travail, ce n'était pas de devenir meilleur, c’était de montrer ce que je faisais, mais j’étais éclaté ! (Rires). J’ai tout fait pour être vu : des vidéos sur YouTube, des sketchs, des courts-métrages… Et c'est uniquement grâce à ça que ça marche un petit peu maintenant. Le pendant de ça, c’est que tu marches sur des œufs en permanence, ta carrière peut aussi dégringoler avec un seul truc que tu vas foirer. Et tu te rends compte de la violence d’Internet.

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