Charlotte Le Bon : « je n'avais pas envie de faire un énième récit initiatique  »

Falcon Lake
De Charlotte Le Bon (Fr-Cda, 1h40) avec Joseph Engel, Sara Montpetit, Monia Chokri

Cinéma / Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, la comédienne Charlotte Le Bon adapte une BD de Bastien Vivès, Falcon Lake, et en fait un objet très personnel à lisière du fantastique. Une œuvre sensible et  hybride pour laquelle on forgerait volontiers le mot-valise de “surnaturalisme”. Rencontre.

Quelle a été la première entrée pour ce film ? Une histoire que vous aviez dans un coin de votre tête ou bien l’album Une sœur de Bastien Vivès — d’autant que, comme vous êtes plasticienne, vous auriez  pu trouver des résonances graphiques dans l’album ?
Charlotte Lebon : C’est un mélange de tout ça… En fait, quand j’étais sur le banc de montage de mon court Judith Hotel, c’est Jalil Lespert qui m’a tendu la BD et m’a dit : « lis ça, ça ferait un bon premier long-métrage ». Je l'ai lu et j'ai senti qu’il y avait un énorme potentiel cinématographique. J’étais sûre de vouloir le faire et ensuite ça a été un peu long : j'ai commencé à écrire seule, j’ai fait des versions fidèles au matériel, sans arriver à monter le financement. Ça a duré environ deux ans. Quand François [NdlR : Choquet, le coscénariste] est arrivé, en discutant énormément — parce que j'avais aussi le désir de faire quelque chose de plus personnel ; je n’avais pas envie de faire un énième récit initiatique — François m'a aidé à me diriger vers le type de cinéma que j’aime, le cinéma de genre, et à insuffler des trucs qui me sont arrivés. Tranquillement, on a construit le scénario et c’est à partir de là qu’on a monté le financement.

On a transposé l’histoire se déroulant en Bretagne dans un lieu qui a été le théâtre de mon adolescence, dans des paysages qui m’ont toujours inspiré. Ensuite, le défi était d’ajouter des éléments de film de genre, de fantômes qui étaient complètement inexistants dans la BD ; toute cette espèce d'étrangeté qui parcourt le film, ça a pris du temps. François m’a aidé a m’assumer là-dedans. C’est difficile d’adapter, surtout quand l’histoire est bonne : Une sœur est un super roman graphique, qui a connu beaucoup de succès, et donc je partais de quelque chose de très fort. Mais en étant trop fidèle, ça ne marchait pas. Même lui m’avait dit, avant même que je commence à travailler sur le scénario : « prends les droits si tu veux, mais je ne pense pas que ce soit adaptable ». Il n’avait pas tort. Je sais qu’il a vu le film et qu’il était très content que je me sois complètement réapproprié l’histoire. Contrairement à Stephen King pour Shining de Stanley Kubrick (rires).

Comment vous êtes vous détachée de l’esthétique préexistante ?
Pour moi, le monde visuel de la BD n'a rien à voir avec celui du film. C’était surtout l’histoire qui me plaisait, pas des supports visuels qui allaient m’aider à construire ma mise en scène. D’ailleurs, quand on a commencé à travailler avec François, j’ai rangé la BD ; je ne voulais plus l’ouvrir.

Après, je viens des arts visuels ; c’était une évidence pour moi de tourner en pellicule parce que j’ai tourné mon court ainsi, je suis aussi attachée à mes premiers souvenirs d’enfance et d'adolescence forts de cinéma en pellicule. Et c’est aussi un film sur la sensualité, la timidité et la nature — qui est un personnage hyper important ; c’était vraiment primordial de tourner avec de la pellicule parce ça me permettait d’accéder à des textures, des lumières, des noirs, des couleurs différentes. De toutes façons, tous les progrès que l’essaie de faire en digital, c’est pour ressembler le plus possible à la pellicule. 

Et ce qui est bien aussi avec la pellicule, c'est que ça instaure une discipline sur le plateau qu’on n'a pas avec le digital : on ne peut pas se permettre de partir dans une boulimie de prises parce qu’on a un matériel physique à respecter.

Pourquoi le choix de ce format carré ?
Le 1.37 ? Au tout départ, on a shooté en 16/9 et pendant le tournage, avec le chef-opérateur, on a commencé à parler du 1.37 et lui voulait tout de suite commencer ainsi. Je n’était pas sûre d’avoir envie de penser à la composition du cadre parfait ; mais plutôt que des accidents arrivent. Donc on a shooté tout le film en 16/9 et au moment de monter, on a regardé si ça marchait — c’était le cas. Ce qui me plaît énormément dans le 1, 37, c’est que le film raconte au début une intimité un peu forcée entre deux adolescents et ça permet de pouvoir accéder à de la hauteur, comme je voulais que la nature soit imposante, qu’elle soit inquiétante, quand je fais les plans larges, je peux vraiment accéder à la hauteur des arbres. Avec le 2.35, ça n’aurait pas été possible. Et puis, je trouve qu’on tourne trop en 2.35 !

J'ai eu la chance d’avoir été actrice pendant dix ans

Vous évoquez cette intimité forcée : qu’est-ce que cela induit en termes de direction d’acteur d’être en permanence avec deux jeunes comédiens adolescents ?
J'ai eu la chance d’avoir été actrice pendant dix ans ; j’ai vécu des choses qui m'ont plu et d’autres pas, donc au moment d'aborder ces scènes-là, tout ce qui importe c'est vraiment une relation de confiance entre les acteurs et le réalisateur. C’est très important que, dès le départ, il y ait ce truc-là entre nous. Avec la pandémie, ça m'a permis d'apprendre à les connaître plus longtemps, de discuter longtemps avec eux. Je voulais qu'on discute aussi des scènes sensibles parce je n’avais pas du tout envie qu’on sacralise le sexe, mais que le sexe dans le film ne soit pas quelque chose de trop mystérieux, trop dense, trop dark, qu’il y ait un côté un peu rigolo — d'où le rire à la fin de la masturbation dans la salle de bain. C’était super important pour moi de garder ce rire parce que la sexualité c'est aussi quelque chose qui peut être rigolo, léger, fin. Et puis, quand on parlait au moment de tourner les scènes avec eux, il y avait quelque chose qui était complètement décomplexé, on arrivait à en faire des blagues… On leur a aussi donné le choix de tourner les scènes intimes au début ou à la fin du tournage, ils ont préféré au début.

On pourrait croire que Falcon Lake n’est pas vraiment un film de genre, que tout reste dans le domaine du fantasme. Comment avez-vous fait pour rester à la lisière en permanence entre le naturalisme pur et le surnaturel ?
Il y a beaucoup de choses qui s’expriment par la nature, alors qu’il ne se passe objectivement rien. Ce sont des choses qu’on a trouvées au montage : des plans “volés” qui n’étaient pas au plan de travail. Parce tout ce qui m’importait sur le plateau, c’était les acteurs. Mais dès que j’avais une minute ou deux et que je voyais un truc qui me plaisais, je demandais à mon chef opérateur de le filmer. Et au finale, j’avais plein de trucs pour m’aider à construire ce sentiment. Et la musique aide beaucoup.

Avez-vous storyboardé le film ?
Quelques scènes, oui. Après, comme je suis maniaque, ça me prenait beaucoup trop de temps parce que j’allais beaucoup trop dans le détails, sur une autre version du roman graphique : c'est super chronophage et à un moment, j'ai arrêté. Mais c'était pratique de savoir dessiner : lorsque par exemple j’arrivais sur le plateau et que j'avais la sensation que mes équipes ne comprenaient pas ce que je voulais, je prenais un bout de papier, je dessinais et c’était clair pour tout le monde. Quand j’ai vu des dessins de Jane Campion — je n’ai pas la prétention de me comparer à elle —, ça ma rassurée.

Comment avez-vous défini les lieux dans lesquels vous alliez tourner ? Il y a effectivement une dimension d’étrangeté liée à la nature extérieure, mais aussi un bordel impossible dans la maison qui lui donne un côté chaleureux ?
Ça a été long, juste pour trouver la maison je pense en avoir visité plus de cent parce que j’en voulais une sur le bord d'un lac directement. Souvent, la maison me plaisait mais pas le lac, et vice-versa. À un moment donné, j’ai abandonné l’idée. On a trouvé la maison à la suite d’une distribution de flyers dans des petits commerces dans la région des Laurentides. Une femme nous a appelé, cela faisait deux ans qu’elle avait perdu son mari, elle avait des problèmes financiers, on est allé visité sa maison qui était en train de s’effondrer — il y avait plein de choses à faire. Et à côté, il y avait un marais.

Pour la plage sauvage, je voulais un endroit qui le soit vraiment parce que je savais qu’on allait tourner à des heures pas possibles. Et aussi une nature qui soit très grande parce que parfois, les forêts sont plus jeunes, les arbres sont bas. On est tombé sur décor fou d’un homme à qui appartient ce lac et qui le loue à certains tournages. Les arbres étaient gigantesques.

Et pour le décor du quai, c’est un autre lac parce qu’on voulait un endroit précis orienté vers l’ouest pour avoir le coucher du soleil…  Ce sont des mois et des mois de repérages. Alors que les coproducteurs québécois disaient que ça allait prendre deux jours, six mois plus tard on y était encore.

Vous avez fait mention de votre carrière d’actrice au passé ; pour vous, est-elle terminée ?
Non non, je vais jouer dans un film au printemps : je vais avoir la chance inouïe d’incarner Niki de Saint Phalle dans son biopic réalisé par Céline Salette — ce sera aussi un premier long-métrage. Donc je suis très excitée. Mais je ne peux pas dire que le métier d'acteur soit un métier coup de cœur : c’est assez passif, à l’inverse de la réalisation. J’ai juste envie de faire des choses qui m’inspirent et me stimulent. Et si ça veut dire ne pas tourner pendant quatre ou cinq ans, je m’en fiche. Ce qui m’intéresse, c'est de travailler avec des gens inspirants, m’épanouir à travers ces projets. Et s’ils ne se présentent pas, eh bien je vais faire mes propres projets.

Vous écrivez déjà la suite ?
D’une certaine manière oui, dans la thématique. C’est librement inspiré de l’histoire d’un ami qui a vécu dans un appartement hanté. Je vais affronter le genre de manière frontale.

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