Marcel Jacno de A à Z, des Gauloises au TNP

Jacno

TNP - Théâtre National Populaire

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Graphisme / Designer, graphiste, typographe… Marcel Jacno a porté plusieurs casquettes tout au long de sa carrière. Pendant près de soixante ans, des années 1920 aux années 1980, son travail a orné de nombreux emballages aussi bien populaires que luxueux. À l’occasion de l'exposition lui étant consacrée au TNP, retour sur la carrière d’un autodidacte couronné par le public.

Créateur d’affiches de cinéma, de plusieurs typographies mais aussi de trois versions du paquet de cigarettes Gauloises reprenant le célèbre casque gaulois de Maurice Giot, son magnum opus reste la création de l’identité du Théâtre National Populaire (TNP) en 1951.
 
Peu de détails sont connus sur la vie de Marcel Jacnovitch, dit Jacno, né en 1904. De lui, on sait qu’il est autodidacte et que sa carrière commence en 1920, en dessinant une vingtaine d’affiches de cinéma pour Gaumont ou la Paramount, principalement pour des films avec Charlie Chaplin ou Louise Brooks. Mais cette carrière le laissait insatisfait. Il voulait créer quelque chose de durable, pas un simple poster à la vie aussi courte qu’un film en salles, pensait-il. 

En se promenant dans le hall du cabaret parisien Le Bœuf sur le Toit, Jacno fait une rencontre qui changea sa vie : la police Bifur, créée par le typographe Cassandre pour la fonderie Deberny-Peignot. Il entreprend de créer sa propre typographie, tout en se servant de son expérience acquise quelques années plus tôt dans une imprimerie spécialisée dans la création de panneaux de rue, où son mentor lui avait appris « les subtilités formelles de l’alphabet. » Inspirée par le monde du cinéma, le résultat est la typographie Film, publiée en 1934 par Debergny-Peignot.

Gauloises

Deux ans plus tard, il sort son deuxième jeu de caractères : le Scribe, destiné au secteur de la publicité en guise d’alternative « plus familière et spontanée » que les modèles classiques anglais de l’époque. La même année, Jacno travaille pour la SEITA en revisitant le paquet de cigarettes Gauloises, très apprécié des Français de l’époque. Il signe ce petit paquet bleu, orné du fameux casque ailé créé par Maurice Giot en 1929, sans savoir qu’il changera sa carrière quelques années plus tard. Peu de temps après, Jacno se rend aux États-Unis afin de travailler en tant que consultant pour plusieurs agences mais aussi comme professeur à la New York School of Fine and Applied Arts.
 
À la fin de la Guerre, Jacno revient en France, est fait prisonnier par les forces allemandes, s’évade, s’engage dans la Résistance et se fait arrêter par la Gestapo, qui le tortura avant de le déporter au camp de Buchenwald, d’où il sortira en 1945. L’année suivante, il rafraîchit à nouveau le paquet de cigarettes Gauloises, avant d’en signer une troisième version en 1947. Et comme le dit l’adage, la troisième est la bonne vu que ce design a fait de lui l’un des graphistes français les plus connus et influents.
 
Ce légendaire paquet bleu est allé se loger dans la poche de millions de personnes pendant des décennies dans le monde entier, en se faisant tirer jusqu’à un milliard et demi d’exemplaires par mois. C’est tout autant de signatures de Jacno qui seront expédiées presque partout dans le monde, faisant de lui l’artiste au plus grand tirage, un record encore inégalé aujourd’hui. « J’étais le recordman des multiples, étant donné que ce paquet si banal était imprimé à un nombre d’exemplaires qui bat tous les records de signatures. Aucune œuvre signée, pas même les innombrables éditions des textes de Lénine, n’approchent ce chiffre, même de très loin », a commenté l’artiste en parlant de son travail.
 
Ce premier grand succès lui ouvre de nombreuses portes dans une foule de domaines différents, faisant de lui l’un des graphistes français les plus demandés : dans l’industrie du tabac en continuant à travailler pour la SEITA, jusqu’au monde du luxe, en réalisant des annonces, conditionnements, coffrets ou flaconnages pour les marques Révillon, Guerlain, Chanel et Bourgeois. Entre temps, il rénove également les lignes graphiques des éditions René Julliard et Denoël et conçoit la formule du journal L'Observateur, ainsi que celle de son concurrent France Soir entre les années 1950 et 1960. Mais c’est dans le théâtre qu’il s’illustrera durablement, et ce dès 1951.

Théâtre National Populaire

Cette année-là, Jacno rencontre le peintre Léon Gischia, qui travaille à l’époque pour Jean Vilar, le directeur du Théâtre National Populaire (TNP). Chargé de créer quelques affiches, Gischia propose le travail à Jacno, qui accepte et signe par la même occasion l’un de ses travaux les plus connus en créant toute une identité graphique pour le TNP. Tout y passe : logos, flyers, affiches, marquage des véhicules, en passant par les oriflammes ainsi que la collection du répertoire (des livres reprenant le texte intégral de la pièce illustré de quelques photographies du spectacle), et même sans le savoir le site internet du théâtre, qui arrivera au début des années 2000.

Esquisses 3 © M. Jacno
Esquisses 3 © M. Jacno

 

Ce projet d’envergure, considéré comme l’un des premiers systèmes d'identité globale réalisé en France, est passé par la création d’un logo. Ce dernier, inchangé depuis sa création il y a près de soixante-dix ans, est l’interprétation par Jacno des tampons utilisés par les troupes de théâtre en tournée pour marquer leurs caisses de transport ainsi que leur matériel. Et pour adorner ce tampon, Jacno a, à son habitude, créé une nouvelle typographie. Baptisée Chaillot, elle s’inspire du lettrage au pochoir pour rester dans le thème du marquage et de la mobilité dans le milieu théâtral. Édité en 1953 par Deberny-Peignot, ce jeu de caractères reste encore aujourd’hui l’un des plus demandés dans le monde de la scène.

Ce travail, Joseph Belletante, directeur du Musée de l’Imprimerie et de la Communication Graphique à Lyon, s’en extasie : « Jacno réussit à travers ses projets multiples à imprimer visuellement son langage typographique dans son époque, mais, comme Roger Excoffon (autre grand graphiste de la même époque), reste plutôt méconnu du grand public, le côté TNP de son travail demeurant le plus célèbre et le plus honoré. Il est vrai que son caractère le Chaillot, dessiné pour le TNP, réussit à donner une impression de mouvement continu et d’estampage, de tamponnage, et c’est une des rares polices typographiques nationales qui a duré dans le paysage graphique. On est à la fois dans le "fait main" et dans la force du design, de l’identité visuelle et du logotype, il atteint ici un équilibre esthétique fort et depuis rarement dépassé. »

À la suite de son succès avec le TNP, Jacno devient une référence dans l’univers du spectacle vivant. Jusqu’à sa mort en 1989, il s’impose comme le graphiste de référence dans le domaine, ses affiches recouvrant tout Paris, à l’image de l’effort du TNP de rendre le théâtre plus populaire. En 1959, le Théâtre des Nations lui confie sa ligne graphique, ses affiches, ses programmes et sa collection du répertoire, avant d’être suivi l’année suivante par l’Opéra et l’Opéra Comique. Dix ans plus tard, c’est à la Comédie Française de lui laisser carte blanche pour redesigner son identité visuelle ; c’est à ce moment qu’il créé l’une de ses dernières typographies, le Molière. Trois ans plus tard, il créé le Ménilmontant pour le Théâtre de l'Est parisien, et signe en 1978 sa dernière typographie, le Corneille, pour le théâtre mémorial éponyme.

En 1960,
En 1960, "Antigone" à Chaillot

 

Du travail de Jacno, qui s’étend sur près de six décennies, on retient à chaque fois une volonté de proposer une lettre "brute", populaire — faite pour la rue et le peuple, dans un souci de démocratie de la culture, pour rendre l’art accessible au plus grand nombre.
 
« Je le vois de mon côté comme un passeur idéal entre la génération de l’âge d’or des graphistes classiques français (les années 1930/1940) comme Charles Loupot, Cassandre, Maximilien Vox et les designers d’aujourd’hui, de Jean François Porchez à Fanette Mellier, en passant par Alice Savoie », témoigne Joseph Belletante. « C’est un inventeur de formes et de lettres qui ne s’arrête jamais et qui s’attache autant aux titres qu’aux dessins, aux volumes. Il est d’abord guidé par le plaisir de la rencontre et ne travaille pas de manière trop "suisse" ou rigide. »
 
Pour célébrer son travail, le TNP organise une exposition en deux parties, la première retraçant sa carrière avec certains de ses travaux les plus connus, mais aussi ses premières esquisses et ses travaux préparatoires, de quoi explorer le processus créatif de l’artiste. Un hommage moderne lui sera également rendu sous la forme d’une seconde partie avec les réalisations de vingt designers européens chargés de créer une affiche en écho au travail de Jacno. Une célébration de roi pour ce graphiste dont les productions restent cultes, encore de nos jours.

Jacno, un homme de caractères
Au TNP jusqu'au mercredi 14 juin 2023

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