Tribunal administratif / Ce mardi 25 avril, se déroulait au Tribunal Administratif de Lyon l'audience opposant la Ville de Lyon au bar Les Valseuses, dont le gérant accuse la mairie de non respect de la procédure pour accélérer une fermeture de son lieu, mettant en danger immédiat sa pérennité. Requête rejetée par le Tribunal, qui a considéré que le bar ne s'était pas suffisamment mis aux normes. Les Valseuses resteront donc fermées jusqu'à nouvel ordre. Nous avons assisté à l'audience : récit.
« D'abord, avant de rentrer dans le lieu, la devanture non règlementaire, qui ne comporte pas d'affichage interdisant l'entrée à des mineurs. Puis, un tissu non ignifugé derrière la scène, une multiprise au plafond, et une signalétique de sortie de secours absente. »
La représentante de la Direction des affaires juridiques de la Ville de Lyon énumère les moindres malfaçons pouvant justifier la fermeture des Valseuses, face à la juge du tribunal administratif, en ce mardi 25 avril, peu après 14 heures. Le tout en s'appuyant sur un rapport des services de la Ville de Lyon, et non sur celui de la police présente ce soir-là, car l'enquête est encore en cours. Elle appuie ses arguments par des photographies fournies par la Ville. Pour elle, tous ces faits justifient la rapidité de la décision prise par Mohamed Chihi (l'adjoint à la Sûreté, Sécurité, Tranquillité de la Ville), car ceci « entraîne une mise en danger immédiate du voisinage, du public et des employés. » Les « habitants » de l'immeuble reviendront plusieurs fois dans son argumentaire.
Émilie Gindre défend les intérêts de Mouz Benkou, le gérant des Valseuses, à l'initiative de la requête, qui considère que la fermeture administrative, sans mise en demeure préalable, est abusive. Pour l'avocate, l'immédiateté est relative, rien ne nécessitait une fermeture aussi brutale, et surtout aussi longue : « à l'annonce du rapport, M. Benkou a opéré une mise aux normes dans les jours qui suivent, preuve à l'appui avec une première facture de 670€ comprenant entre autre l'installation d'un nouvel extincteur. »
L'avocate poursuit : « Les Valseuses, lorsqu'elles étaient encore le Bistroy, et que Guy-Pierre Turco était propriétaire, était l'un des premiers bars à s'imposer toujours une discipline quant à la mise aux normes du lieu : sas d'entrée, isolation... Discipline transmise à M. Benkou, qui a toujours fait preuve de bonne volonté et de réactivité. »
Une lettre recommandée envoyée à l'adresse du bar, pourtant fermé
La représentante de la Direction des affaires juridiques pointe au contraire « le peu de sérieux de M. Benkou et la mauvaise volonté qu'il met dans le suivi de la procédure, car une lettre recommandée lui a été envoyée à l'adresse des Valseuses, demandant des pièces supplémentaire nécessaires à l'avancée de son dossier. » Lettre non réceptionnée.
Maître Gindre lui rétorque que « cette lettre est la seule à avoir été envoyée par courrier, alors même que l'on demande à M. Benkou une procédure par mail, dématérialisée, pour plus de rapidité ! » Elle poursuit : « lettre par ailleurs envoyée à l'adresse des Valseuses, lieu fermé, donc. Alors même que M. Benkou est domicilié en Normandie. » Où il était retourné, ne pouvant plus travailler. L'avocate des Valseuses plaide ensuite le vice de procédure, demandant pourquoi « aucune mise en demeure ou avertissement, suivi d'une injonction de mise aux normes dans un délai imposé, n'ont été effectuées ? »
La partie adverse l'affirme : « parce qu'il y avait urgence pour la Ville de faire fermer ce lieu. Si, pendant cette mise en demeure, quelque chose était arrivé, c'est la responsabilité de la Ville qui était engagée. »
Maitre Gindre poursuit en soulevant le point noir du dossier, ce changement de catégorie ERP (établissement recevant du public) appliqué le jour même de l'injonction à fermeture. Enfin, elle s'étonne des pièces « fournies à soi-même » du dossier de l'opposition, comprenant des photos prises par les services de la Ville de Lyon, pour prouver que la nature de l'établissement relève davantage de la salle de concert (les personnes sont debout sur les photos) que du débit de boisson. Elle questionne alors la volonté politique de fermeture, de la part de la mairie écologiste, derrière cela : « cet établissement existe depuis les années 1990, et a toujours été catégorisé en débit de boisson (ERP 5). C'est un bar, avec du mobilier de bar, des banquettes, des chaises, des tables, une petite jauge, sans entrée payante. L'entièreté du chiffre d'affaire du lieu est liée au débit de boisson. »
L'avocate des Valseuses contredit aussi le rapport gonflé artificiellement selon elle, comptabilisant dans la surface totale du lieu un espace imaginaire, en supprimant tout le mobilier. « Mobilier qui n'est pas supprimable, s'agissant de banquettes fixées au mur ! » Au sujet de l'ERP, toujours, Maître Gindre s'offusque d'exigences supplémentaires ajoutées in extremis au dossier, comme une demande de mise aux normes pour l'accessibilité de personnes en fauteuil roulant. Pour un bar, donc, au cœur des Pentes de la Croix-Rousse, avec tout ce que cela comporte déjà en matière de difficulté d'accès pour ce territoire pentu, exigüe et pavé...
La représentante de la Direction des affaires juridiques répond alors que, bien que l'ERP soit difficile à statuer tant ce lieu est hybride, « on peut constater sur le site Web du lieu, que le seul point de contact est le mail de booking artistique, statuant bien du caractère culturel et musical du lieu. Aucun contact pour le renseignement du public, par exemple. »
1200€ comme dernier salaire
Enfin, elle soulève le fait que Mouz Benkou a effectué un virement en mars 2023 d'un montant 1200€ à son profit, comme dernier salaire, « alors même que le lieu était fermé, ce qui pousse à se questionner sur la relativité de la précarité financière de la structure, et sur l'urgence supposée de réouverture. »
Autrement dit, qu'est-ce qui prouve selon la représentante de la Direction des affaires juridiques que Les Valseuses sont au bord de l'asphyxie, si M. Benkou s'octroie ce dernier virement ? « Le fait qu'il ait une famille, avec toutes les dépenses et urgences que cela engendre » rétorque l'avocate des Valseuses, qui poursuit : « les comptes sont par ailleurs à sec, il reste précisément 3, 95€ au 21 mars 2023, après avoir viré les salaires de ses six salariés, car la structure s'est vue refuser sa demande de chômage partiel, et se retrouve face à l'obligation d'assurer les dépenses relatives au lieu en totalité alors même que l'activité est au point mort. »
Maître Gindre demande une suspension de la procédure, et un nouveau délai pour permettre une nouvelle mise aux normes, suivie d'une visite d'inspection des services pour réévaluer la conformité et le statut du lieu.
À la dernière minute de l'audience, la représentante de la Direction des affaires juridiques réclame alors une mise en conformité totale du système électrique, affirmant que le rapport de la Ville stipule qu'elle doit être effectuée. Injonction qui, selon Maître Gindre, ne figure absolument pas dans le dit-rapport qui lui a été communiqué....
La décision a été mise en délibéré par la juge. Qui a rendu son jugement ce mercredi 26 avril à 14h : la requête de Mouz Benkou est rejetée par le Tribunal, qui a considéré que le bar ne s'était effectivement pas suffisamment mis aux normes.
Émilie Gindre s'est exprimée à l'issue de ce jugement, nous déclarant : « c'est une décision extrêmement sévère qui ne répond pas aux questions de droit soulevées notamment sur l'absence de mise en demeure préalable et de consultation de la commission de sécurité, et sur la classification de Café-Théâtre-Concert (catégorie 5) plutôt qu'en salle de concert (catégorie 4) comme le prétend la Ville. En agitant l'étendoir de la peur et de la sécurité, la Ville s'est exonérée du respect des règles de droit. »
Les Valseuses resteront donc fermées jusqu'à nouvel ordre.