Arts visuels / Parmi les nombreuses expositions à voir cet automne, voici nos coups de cœurs qui, une fois n'est pas coutume, font la part belle à la photographie.
Agnès Marillier poursuit depuis près de trois décennies une longue et méticuleuse recherche esthétique autour du corps en tension, fastidieuse quête de sens dans sa fascination pour le vieillissement de la chair et de son enveloppe. Des dessins préparatoires à l'oeuvre finale, le miroir est un passage obligé pour cette artiste qui scrute sa propre anatomie, opposant le sujet et l'objet, faisant de son reflet un corps-lieu impersonnel qu'elle déforme, tiraille ou vieillit, se livrant ainsi à une véritable performance bipolaire de transformisme autobio-pictural. Agnès peint sur toile, sur papier ou sur bois, les dépôts successifs de matière s'y apparentent aux effets du temps sur l'épiderme. Si le seau renversé sur la tête ou la disparition des cheveux évoquent une forme de déshumanisation, l'apparition d'éléments végétaux témoigne de préoccupations plus environnementales. Les corps se mêlent ainsi aux feuilles de Monstrera Deliciosa et aux fleurs de cyclamens. Le regard frontal du personnage archétypal perce celui du visiteur qui à son tour laisse basculer en lui un miroir intérieur. L'exposition En présence dévoile en quelques œuvres aux formats généreux l'univers très personnel d'Agnès Marillier, faisant écho à la peinture des primitifs flamands qui, aux XVᵉ et XVIᵉ siècles, peignaient des corps imparfaits mais bien vivants...
Opérant une dichotomie légèrement différente, la plasticienne Hee Sun Joo propose avec Colors une série de photographies réalisée pendant le premier confinement, pour laquelle elle se met en scène dans des tableaux monochromes. Dans chaque auto-portrait, l'artiste s'entoure d'éléments diverses (mobilier, livres, instruments de musique, objets décoratifs...), sélectionnés pour leur coloris mais aussi leur symbolique. Complétant l'accrochage, quelques toiles répondent aux photos-camaïeux, entretenant le même rapport à la couleur.
Irish patchwork
Illustrateur, plasticien ou photographe, Ronan Scoarnec est un artiste touche-à-tout et un homme discret. Il présente au cœur du quartier Tréfilerie une série d'images plutôt singulière, autour des voitures américaines qu'il a photographiées sur diapositives lors d'un séjour outre-Atlantique. Ronan intervient manuellement à même le film, peignant, grattant ou brûlant chaque petit rectangle de pellicule, de façon à infliger à ses images un traitement radical : virages chromatiques, déformations, accidents et dérapages plus ou moins contrôlés. Les diapos sont in fine tirées sur papier photographique. Un procédé pour le moins original qui donne aux images des allures de cartes postales de la première moitié du vingtième siècle, imprécises et maladroitement colorisées. L'accrochage regroupe une vingtaine de tirages encadrés répartis en deux formats, à travers lesquels Ronan Scoarnec met en lumière le champ des possibles qu'ouvre la photographie analogique aux tripatouilleurs éclairés...
Plus près d'ici, le photographe Bernard Toselli est allé quant à lui cueillir une belle moisson d'images de l'autre côté de la Manche. L'artiste a saisi scènes de rue et paysages entre Dublin et Belfast, deux capitales d'un même peuple déchiré par trois décennies de conflits doublée d'une neverending incompréhension ravivée par le Brexit. Membre du collectif Parallax, Bernard est assurément de l'espèce photosapiens, cinéphile assidu et photographe gourmand. Irish patchwork donne à voir vingt-cinq tirages chargés d'une humanité bienveillante qui en dit long sur leur auteur.
La vie de rêve ?
Représentant respectivement Saint-Étienne et Katowice, Yannick Vey et Michal Smandek exposent ensemble leurs œuvres, successivement dans les deux villes jumelées. L'Assaut de la Menuiserie accueille ainsi le premier round de cette exposition bicéphale, dans des odeurs mêlées de miel et de goudron. Yannick Vey déploie une cosmologie fantasmagorique peuplée de créatures, chimères dont les ombres courent le long des murs, enchevêtrés dans des arabesques labyrinthiques, tel un voyage infernal au centre de la terre. Les œuvres ciselées en papier ciré du Stéphanois convoquent une mythologie intranquille, ici revisitée avec une sincère sensibilité. Dans leur introspection artistique, les deux sculpteurs se découvrent une fascination commune pour l'emploi de la cire d'abeille, que Michal Smandek (lui-même apiculteur) traite en longues bannières, filets de silicone enduits semblables aux cartes perforées des métiers à tisser Jacquard, fragiles dentelles qui évoquent le langage codé des apidés. Les deux plasticiens font ainsi résonner leurs univers respectifs dans un ping-pong artistique, laissant transparaître des affinités inattendues...
Pour sa première exposition personnelle, Sofiane Aissi propose une lente déambulation au coeur d'une Amérique aussi belle que désabusée, où les rêves d'Eldorado se sont fracassés sur le mur froid des inégalités. La vie de rêve, sous quelques centimètres de poussière crasseuse. L'esthétisme poétique des photographies que Sofiane a réalisées au cours de plusieurs séjours aux États-Unis, comme ses influences cinématographiques et musicales, confèrent aux images exposées une noirceur lumineuse où les silhouettes fantomatiques habitent en dilettante des décors crépusculaires de toute beauté, laissant divaguer à son tour notre propre imaginaire.
Agnès Marillier, jusqu'au 21 octobre, galerie Une image... à Saint-Étienne
Hee Sun Joo, jusqu'au 21 octobre à la Médiathèque de Villars
Ronan Scoarnec, jusqu'au 31 octobre au Lobster Club (2 rue Denis Papin) à Saint-Étienne
Bernard Toselli, jusqu'au 4 novembre à la Médiathèque de L'Horme
Michal Smandek et Yannick Vey, jusqu'au 20 octobre à L'Assaut de la Menuiserie à Saint-Étienne
Sofiane Aïssi, jusqu'au 30 novembre chez JEITO à Saint-Étienne