Mardi 16 avril 2024 Les 38 kilomètres de voirie montchatoise se parent chaque printemps d’un nuage parfumé, assorti de somptueuses floraisons. Mais ne vous fiez pas à leur douce apparence, les glycines peuvent aussi être assassines.
2 quartiers, 1 sculpture : l'histoire des Grands Compas de Serge Boyer
Par Raphaëlle Poyet
Publié Mardi 30 avril 2024
Photo : Esplanade de la Compas-Raison Photo Serge et Fabienne Boÿer
Ambiance / Une sculpture évincée de la presqu'île qui refait son apparition, métamorphosée, quelques années plus tard à la Duchère. Il ne nous en fallait pas plus pour vous emmener en escapade.
« Je représente la mairie de Lyon et j'exige que soit enlevée cette sculpture », ordonne Jacques Oudot, adjoint à la Culture. « Et moi, je suis le sculpteur et je veux qu'elle reste là », fulmine Serge Boÿer.
Le scandale remonte au 19 janvier 1991. La scène, que l'on pourrait croire sortie d'une comédie française est retranscrite dans la presse de l'époque. Les faits se déroulent sur la place de la République. Que se passe-t-il ? Les Grands Compas du sculpteur Serge Boÿer, sculptures-fontaines en pierre installées ici depuis 1976, viennent d'être retirées, après quinze ans de bons et loyaux services, pour cause de construction de parking.
Une dalle de béton doit être coulée sur la place, enterrant toute perspective de consensus. L'adjoint municipal chargé du dossier avait pourtant soumis des solutions alternatives : « J'ai même été jusqu'à suggérer de la laisser pendue à une grue. Mais là, les ingénieurs ne voulaient plus travailler. » Lorsqu'on n'a pas vraiment envie de trouver une solution, on propose la pire. « Manque de sécurité évident », commente le Figaro de l'époque.
Sculpture-sitting
Certaines versions de l'histoire racontent que Serge Boÿer s'installe sur son œuvre, la rendant temporairement impossible à déplacer. Le cauchemar recommence alors pour la municipalité : en 1983, le sculpteur René Roche avait dormi cinq nuits sur son Signal Spatial, place Jean Macé, qui fut ensuite déplacé dans le quartier de Gerland.
La sculpture de Serge Boÿer est remisée pendant quelques années, puis elle réapparait au pied de la tour panoramique de la Duchère, modifiée par l'artiste, dans une configuration encore plus spectaculaire.
Il faut dire qu'au départ, Les Grands Compas ne semblaient déjà pas faire l'unanimité, comme le déplore le sculpteur : « Ils n'ont rien compris à la symbolique ésotérique et phallique de mon œuvre qui compte cent huit pierres comme les amants de Pénélope, mais je la défendrai jusqu'au bout. » Cent huit blocs, comme le nombre d'os dans le corps humain. Les compas étant quant à eux une référence maçonnique.
Compas compris
Sur un belvédère d'où on peut apercevoir le Crayon et Fourvière, trône à présent cet ensemble de sculptures, rebaptisé L'erre de la Compas Raison. Il a été démembré (clin d'œil à sa dimension phallique ?) et Serge Boÿer l'a réassemblé sous une autre forme.
Pour le mettre en valeur, la place a été véritablement scénographiée : on a orné le sol d'un octogone géant en marqueterie de bitume. En son centre, une étoile à 8 branches avec remplissage damier. Autour sont disposés en cercle des petits tabourets individuels. Jardin de pierres ou lieu de rituels : la dimension ésotérique de l'œuvre a définitivement pris le pas sur sa symbolique phallique.
Autour du cercle sont gravés au sol les soixante-quatre hexagrammes du Yi-King : ces archétypes sont un condensé de toutes les situations de vie possibles. On les utilise traditionnellement dans des tirages mais ici, pourquoi pas vous en servir pour prendre vos décisions importantes in situ?
Mivilude ou pas ?
Répartis autour de cet octogone mystérieux, nos compas se sont aussi refait une petite beauté : l'artiste a profité du déménagement pour y graver des références mystiques et mythologiques issues de plusieurs cultures. Chaque gravure ouvre une porte vers un mystère à explorer.
Chaudron d'inspiration, porte solsticiale de Janus, fontaine de Zam-Zam... un terrain de jeu ésotérique sans limites pour se prêter à tous types de rituels réels ou imaginaires. Ou jouer au jeu « Mivilude ou pas ? », c'est selon. Ils offriront des heures de recherches à qui cherche une voie spirituelle.
Le granit rose vient d'Espagne, l'inspiration vient de l'espace, et le tout fait un peu penser aux choses qu'on a envoyées à bord de l'ISS pour présenter aux extraterrestres les fondements notre civilisation humaine. L'œuvre a-t-elle enfin trouvé son public ? Il semblerait, si l'on en croit les avis Google :
Quelques détails à remarquer et ce qu'ils disent de votre psyché
Quels sont les détails de la sculpture qui accrochent votre attention ? Voici ce qu'ils disent de vous :
- Chaise d'Idris : vous avez besoin de confort ou vous vous appelez Idris. C'est une référence au Cader Idris, une montagne dans le parc national de Snowdonia, au Pays de Galles. On dit que lorsque l'on y dort, on se réveille soit poétesse, soit fou.
- Carré Sator : vous désirez résoudre les énigmes de la vie. Ou bien vous avez terminé votre livret de Sudoku.
- Difficultés à lire les inscriptions gravées sur la roche : vous ne voulez pas voir un problème alors qu'il est en face de vous. Consulter un ophtalmo par mesure de précaution.
Prolonger la balade en vrai ou en pensée
- Lever les yeux sur la tour panoramique de la Duchère ou sur l'église Notre Dame du Monde Entier, de l'architecte François-Régis Cottin. Tous deux sont labellisés patrimoine du XXe siècle.
- Rebaptiser la statue avec d'autres jeux de mots à base de compas.
- Méditer sur le fait que Pénélope avait autant de "prétendants" que nous avons d'os dans le corps.
- Passer voir l'exposition de l'artiste canadien Louis Bouvier à la galerie L'Attrape-Couleurs au pied de la tour panoramique (en place jusqu'au 6 mai).
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